our les collectionneurs compulsifs, la collection complète des guides Hachette des vins s'étalerait sur 1,30 mètres de long, avec ses 34 000 pages pour 250 000 vins sélectionnés (sur 800 000 vins dégustés depuis 1985*). Pour Stéphane Rosa, le directeur de la publication du guide depuis 4 ans, « si l'on mettait bout à bout les trente éditions, on verrait l'évolution des modes de consommations et des goûts, que l'on sent bien au gré des dégustations ». Dans cet entretien il revient sur les grandes tendances qui parcourent l'histoire du Guide Hachette et secouent autant le production française de vins que ses marchés (émergence des rosés et effervescents, de l'oenotourisme, des ventes en ligne...).
Aussi foisonnante que la jungle des foires aux vins, la rentrée littéraire des guides d'achat (Bettane & Desseauve, Revue des Vins de France, Jean-Marc Quarin...) n'est qu'une étape obligée pour le Guide Hachette des vins, qui se définit plutôt comme un outil de gestion de sa cave. Un instrument tiré à 90 000 exemplaires qui se base sur une relation simple à l'amateur de vins. « Je le rappelle souvent à nos dégustateurs : la question c'est simplement de savoir s'ils ouvriraient la bouteille pour accueillir des amis à dîner » explique Stéphane Rosa. L'enjeu du Guide est désormais de diversifier son lectorat (l'utilisateur du guide papier est typiquement masculin, CSP+, âgé de 35 à 60 ans, avec 100 à 300 bouteilles en caves...), notamment avec le développement de services numériques pour un public plus féminin, jeune et urbain.
* : pour le volume 2015, les jurys de professionels réunis en région ont dégusté 40 000 vins et en ont retenu 9 217.
Avec votre démarche de dégustation par des professionnels du vin à l'aveugle, vous voyez-vous comme l'équivalent d'un concours, type Concours Général Agricole ?Stéphane Rosa : Il y a en effet des points communs, à commencer par les dégustations collégiales, mais la comparaison s'arrête là. Le CGA est payant pour les viticulteurs, le dépôt d'échantillons aux dégustations du Guide Hachette est libre et gratuit. Notre seule limite est le nombre de cuvée, un quota mis en place pour des questions de volume de traitement. Nos dégustations sont exclusivement réalisées par des professionnels du vin, sans les mélanger avec le grand public. A une ou deux exceptions près, nos dégustateurs sont des professionnels de la région. Ce sont des représentants de toutes les familles de métiers du vin (producteurs, négociants, courtiers, sommeliers, cavistes...). A notre avis ils sont les plus à même de juger de la qualité des vins de la région. C'est aussi l'une de nos plus grosses différences par rapport aux autres guides. Par rapport à la concurrence, on goûte également un nombre raisonnable d'échantillons. Le palais des dégustateurs a ses limites. C'est une question de confort de dégustation et cela permet de travailler véritablement sur la description des vins.
Autre point commun avec un concours, le guide Hachette propose des colerettes...C'est une histoire toute simple, il y a 15-20 ans cette idée est venue face à des abus. Certaines cuvées se trouvaient chapeautées par des colerettes alors qu'elles n'étaient pas sélectionnés. La mise en place d'une colerette sécurisée (gérée par un prestataire de service) permet de contrôler les correspondances, notamment par rapport aux volumes commercialisés. C'est aussi un complément d'activité intéressant, même si la marge est faible.
Comme dans les foires aux vins, les guides d'achat et revues spécialisées semblent essayer de se distinguer les uns des autres avec l'argument de la meilleure sélection de bouteilles en rapport qualité/prix.La ligne « bonnes affaires » est présente depuis le premier Guide Hachette, le plus ancien guide d'achat du marché, cela fait partie de notre ADN : proposer une sélection populaire. Nous indiquons pour chaque cuvée sélectionnée le rapport qualité/prix en fonction d'un barème propre à chaque appellation et du prix indiqué par le producteur. Les revues spécialisées ne sont pas en concurrence avec nous, ne serait-ce que parce que nos réseaux de distribution sont différents, entre la presse et les livres. Il s'agit d'approches complémentaires entre un magazine qui donne une actualité et une dégustation de séries, alors que le guide d'achat est plus pérenne dans le temps. Nous sommes aussi un outil d'achat lors des foires aux vins, mais nous permettons à nos lecteurs de gérer sa cave et de suivre son vin.
Quel est le profil du lecteur du Guide Hachette ?Notre cœur de cible est très classique, son profil est peu original : il est essentiellement masculin, à 80 %. C'est le lot de toutes les publications spécialisées sur le vin, a fortiori pour un guide ! Comme je le disais c'est un outil de gestion de cave, avec un côté encyclopédique qui permet une approche d'expert. Nos lecteurs sont issus des catégories socio-professionnelles supérieures, âgés entre 35 et 60 ans, voire 40 à 65 ans. Ils possèdent une cave à vins composée de 100 à 300 bouteilles. Sur le site internet, le lectorat est totalement inversé, il est essentiellement féminin, plus jeune et urbain. Nous travaillons actuellement à fournir à ces utilisateurs des outils répondant à leurs besoins : plus légers, moins compliqués... Cela passe par internet et des applications.
Le site du Guide Hachette ne vend d'ailleurs pas de vins en ligne. Est-ce une activité inenvisageable pour vous ?C'est une vraie question que nous nous posons. On ne sera jamais caviste et on ne vendra pas de vins, ce serait traverser une ligne jaune. Même en travaillant consciencieusement, le risque pour notre image serait trop important. Nous avons déjà des partenariats avec des cavistes en ligne, vers lesquels nous dirigeons nos lecteurs lorsqu'ils proposent un vin de la sélection. Une mise en relation qui répond à l'objet de notre guide : permettre l'achat, être au plus près de la bouteille. Dans la version papier cela passe par la mise en relation directe du client avec le producteur. Cela vient d'une volonté historique, à l'origine du Guide Bleu qui s'insère dans un terroir.
En termes touristiques, le Guide Hachette précise justement les possibilités de visites et de dégustations. Avec le développement de l'oenotourisme, comment cela va-t-il évoluer à l'avenir ?L'approche touristique est à l'origine du Guide, elle est maintenue et nous avons des idées pour la développer. Nous publions déjà un atlas touristique du vin, qui est séparé du Guide Hachette, et notre site internet propose des routes du vin. Nous réfléchissons à ajouter dans la version papier des données dépassant le cadre du vin : gastronomie régionale, produits locaux... De manière générale, les évolutions à venir dans le Guide papier répondront à la volonté d'introduire de plus en plus de chair, en faisant des portraits et des liens avec les opérateurs. Tout en gardant la substantifique moelle de nos dégustations.
Cette année, le chapeau de chaque domaine sélectionné présente l'histoire, la géographie et le patrimoine de la propriété. C'est une double lecture qui est désormais faite systématiquement.
Comment le Guide Hachette se place-t-il par rapport aux modes : développement des rosés, émergence des effervescents hors-Champagne, déclin des liquoreux, boom des bags in box (BIB), création de la catégorie des vins de France ?La sélection du guide est le reflet des modes et évolutions de la viticulture française depuis 30 ans, de manière pointilliste, chorale. Si l'on met bout à bout les 30 éditions, on verrait l'évolution des modes de consommations et des goûts, que l'on sent bien au gré des dégustations. C'est le marché qui veut des rosés, et ce sont tout simplement les vignerons qui proposent plus de rosés à la dégustation. De même pour les effervescents, même si la Champagne continue malgré tout de proposer de bons rapports qualité/prix et reste la région des effervescents en France. Ce qui n'empêche pas les autres régions de proposer des crémants d'excellente qualité. La désaffection des liquoreux est grande, ils sont peut-être moins présents en sélection... Ce qui est sûr, c'est que leur consommation baisse. Nous ne traitons pas les BIB, nous sommes restés très traditionnels, sur les vins mis en bouteille. Nous restons également sur les vins à indications géographiques (AOP et IGP), pour une raison historique nous sommes attachés aux terroirs (et soutenus par l'INAO et les syndicats). Ce qui n'empêche pas de très bons vins d'être produits en dehors des canons régionaux, que l'on appellerait les vins d'auteurs. Cela nous titille, mais cela exige un grand travail de tri. Il n'est pas exclu que nous nous y ouvrions à l'avenir.
Les vins bio sont également mis en avant avec un pictogramme dédié, mais vous ne suivez pas la mode des vins en biodynamie ou nature. Est-ce une position éditoriale ?Personnellement je trouve que le développement de la bio va dans le sens de l'histoire, pour la santé publique des consommateurs et des salariés viticoles. Ensuite, les vins bénéficiant du pictogramme sont certifiés par la réglementation européenne de 2012, s'ils sont en biodynamie nous l'indiquons dans le texte. Nous traitons ces vins comme les autres, il y a différentes écoles et typologies, mais cela reste un vin. On ne veut pas rentrer dans des querelles de chapelles, on déguste tous les vins de la même manière. Editorialement cela peut être intéressant de créer des guides spécialisés, cela répond à une demande, mais dans l'absolu tous sont traités à la même enseigne. La première règle qui doit nous guider, c'est le plaisir. Je le rappelle souvent à nos dégustateurs : la question c'est simplement de savoir s'ils ouvriraient la bouteille pour accueillir des amis à dîner.