u'elles soient directement utilisables sur moût, congelées ou adaptées à tout type de vins, de type Oenococcus oeni ou Lactobacillus plantarum, les souches de bactéries lactiques de la nouvelle collection automne-hiver 2014 misent toutes sur le pilotage et la maîtrise de la fermentation malolactique (FML). Clé de voûte de la révolution œnologique, le contrôle de la transformation bactérienne de l'acide malique en acide lactique n'est ni acquis ni banalisé (encore moins démocratisé), mais son développement reste indiscutable. « Il y a encore 6 ans les bactéries lactiques n'étaient utilisées que quand la malo ne se faisait pas spontanément (hiver froid, difficultés...), maintenant elles sont intégrées aux recettes de vinification » note l'œnologue Nicolas Prost (Christian Hansen), ajoutant que « la lutte contre Brettanomyces donne aux bactéries un rôle de bioprotection des vins » (si le Beaujolais et le Bordelais sont à la pointe de la FML, ce serait ainsi à cause de leur expérience des contaminations par la levure Brettanomyces).
La réduction des fenêtres de vides microbiologiques (propices aux micro-organismes de déviation) donnerait donc un nouveau souffle aux ensemencements bactériens, technologie encore considérée comme dispensable à cause de son coût. Si l'analyse des concentrations en acides malique et lactique est devenue courante, l'investissement dans un kit FML ne l'est pas. « Le prix des bactéries est souvent rédhibitoire pour les caves, qui ne s'arrêtent qu'au coût direct d'utilisation » reconnaît Caroline Bonnefond (responsable produits bactéries à l'Institut Coopératif du Vin), « mais il faut voir que le vin est disponible plus rapidement pour être présenté aux acheteurs et que des coûts cachés sont évités (chauffage des cuves quand les températures chutent, traitements post-fermentaires en cas de déviations) ».
Elios Alto (groupe ICV) : une souche pour un pilotage tout terrain de la FML (blancs, rosés et rouges)Ayant recentré sa gamme de bactéries lactiques sur la classique souche Elios 1 (15 millésimes au compteur), l'ICV propose pour le millésime 2014 une nouvelle préparation : Elios Alto. En test depuis 5 ans sur le bassin méditerranéen, cette bactérie est de type Oenococcus oeni, mais elle est surtout la première adaptée « aux trois couleurs (blanc, rouge et rosé), avec une large fourchette d'utilisation, sur une plage de pH de 3,2 jusqu'à des degrés alcooliques de 16,5 °.alc » détaille Caroline Bonnefond (groupe ICV). Une bactérie tout terrain en somme, contrairement à Elios I, adaptée « aux vins rouges, avec des caractères aromatiques typés (notes épicées et fruits rouges) ». Le principal objectif de cette souche est la maîtrise de la FML. Contrairement au monde des levures pour la fermentation alcoolique, la contribution des bactéries aux profils aromatiques des vins ne se pose pas encore sur le terrain regrette Caroline Bonnefond. L'enjeu reste la bonne réalisation de la malo, indissociable d'une bonne implantation de la souche bactérienne. Dans le cas d'Elios Alto elle est « très rapide, visible par une phase de latence courte, suivie d'une dégradation de l'acide malique efficace, ce qui rassure toujours le vinificateur » ajoute l'experte.
Fruit du travail de sélection de l'ICV, cette souche a été testée sur les trois couleurs sur le bassin méditerranéen (France, Espagne, Italie...) et notamment « sur des vins rouges issus de thermovinification, où l'on sait que la malo est plus compliquée, comme le merlot » rapporte Caroline Bonnefond. Maître de chai de la cave d'Adissan, Antoine Lefèvre confirme les performances d'Elios Alto. Ayant testé la souche « sur une cuvée rosée de syrah qui n'était pas forcément facile (pH pas idéal, TAV à 13°, un peu de SO2...), la malo a été réalisée en une quinzaine de jours ». Pour piloter au mieux cette étape, la cave a également utilisé les tests FML proposés par l'ICV, il s'agit d'un nouvel outil analytique permettant de juger de la facilité de réalisation d'une FML ensemencée pour un vin donné (de facile à très difficile). Reposant sur un test en laboratoire d'échantillon de vin (FML accélérée par ensemencement), ce contrôle d'aptitude à la malo « teste la matière réelle. Ce n'est pas une prédiction à partir de données analytiques (pH, SO2...). Il permet d'aider les caves aux choix de stratégies de FML en fonction du comportement à la malo des vins du millésime » juge Caroline Bonnefond.
Diffusé dans les 10 laboratoires du réseau ICV, ce test coûte une trentaine d'euros par type de levure étudiée. Pour la souche Elios Alto, la production est réalisée par la société Lallemand. La fourchette de prix des kits (dépendant du type de bactéries, de la dose (pour 25 ou 250 hl) et de la quantité commandée) va de 1,4 à 2,6 euros/hl. Ayant intégré les bactéries lactiques dans ses protocoles pour avoir des vins rapidement prêts et nets, Antoine Lefèvre s'y retrouve économiquement en utilisant un kit de 250 hl pour les têtes de cuvée et un kit de 500 hl pour les assemblages (insémination sur une cuve et dès qu'elle est arrivée au tiers de la FML, elle est utilisée comme un pied de cuve pour faire un bassin de FML).
Il est à noter que si Elios 1 est une bactérie à ensemencement direct (MBR), prête à l'emploi, pouvant soit être réhydratée (dans vingt fois le poids de bactéries en eau minérale), soit ajoutée telle quelle dans la cuve (« mais en ouvrant bien le sachet, ce n'est pas comme la tablette de lave-vaisselle... » s'amuse Caroline Bonnnefond), Elios Alto est une bactérie « 1 step », pré-acclimatée qui nécessite un levain de 24 heures (moins si co-inoculation). Toutes deux ne sont de plus pas OGM et n'ont pas de gène codant pour la production d'amines biogènes.
NoVA (Christian Hansen) : réaliser sa malo en quelques jours... avant même la fermentation alcoolique !« C'est la première fois que l'on peut ajouter les bactéries avant les levures » tranche l'œnologue Nicolas Prost (Chr. Hansen), lorsqu'il présente la souche ''NoVA'' (pour No Volatile Acidity), qui vient d'intégrer la gamme Viniflora du fournisseur danois. Ces bactéries lactiques peuvent en effet réaliser la FML directement sur moûts, spécifiquement ceux de vins rouges à pH élevé (de 3,6 à 3,9). « NoVA répond à la demande des vins du bassin méditerranéen, qui présentent à la fois des pH élevés et des flores bactériennes spontanées élevées » explique Nicolas Prost. « NoVA permet de prendre le dessus rapidement et de régler, dès le début du processus, le problème récurrent de l'implantation des bactéries (à cause de leur sensibilité aux sulfites). Grâce à NoVa les vinificateurs peuvent réduire leurs doses de SO2, la bactérie jouera en partie un rôle d'antiseptique. »
Sélectionnée par l'université sud africaine de Stellenbosch, cette souche n'est pas du type Oenoccocus oeni mais de celui Lactobacillus plantarum. Ce qui joue notamment au niveau aromatique, deux activités enzymatiques étant propres aux lactobacilles par rapport à Oenoccocus, NoVA dégage des « esters aromatiques plus sur le fruit rouge et moins sur le compoté, sans notes beurrées ou lactées » détaille Nicolas Prost après deux ans d'essais sur le bassin méditerranéen. Ayant participé à ces tests, l'œnologue conseil Adeline Bauvard (Natoli & Coe) a utilisé NoVA sur un domaine de Montagnac (cuvée de merlot à pH 3,7). D'après son expérience, elle conseille de réaliser l'insémination « au cours du remplissage, dès que l'on est au tiers de la cuve, avec un remontage d'homogénéisation le lendemain. Le plus tôt est le mieux, si l'on est frileux on peut levurer 24 heures après, 48 à 72 heures sinon. » Au final l'expérimentation a été des plus satisfaisantes, la FML étant réalisée en 4 jours. L'œnologue conseil estime qu'il vaut mieux travailler « en phase liquide (thermovinification, rosés...). On s'est aperçus qu'en fin de FA il y avait des relargages d'acide malique, si les raisins n'étaient pas tous bien foulés. De l'acide malique qui ne peut plus être dégradé par la suite (les concentrations étant trop faibles pour relancer une FML). »
Le prix des kits NoVA se veut comparable au traitement par bactérie classique. Selon les volumes et quantités, le coût va de 1,3 à 2 euros/hl. A l'occasion des vinifications 2014, Chr Hansen étend également sa gamme de levures Viniflora disponibles sous le conditionnement Freasy (bactéries congelées). Jusque là réservées aux gros utilisateurs et nécessitant un stockage à -45°C, cette technologie est accessible aux petits domaines (le kit peut être conservé 3 mois à -18°C, soit la température d'un congélateur classique). En 2013, Chr Hansen avait commercialisé la souche CH11 sous conditionnement Freasy en Beaujolais, en 2014 ce sera le tour de la CH16 à Bordeaux. Le coût de vente est inférieur aux sachets lyophilisés, comme il s'agit « d'une matière première, les bactéries sont plus actives, résistantes et adaptées aux conditions difficiles du vin » ajoute Nicolas Prost.
[Photo : Chr Hansen ; ICV ; Chr Hansen]