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Bernard Farges : « dire que la France est moins compétitive parce que ses vins perdent des parts de marchés, c'est un peu court... »
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Bernard Farges : « dire que la France est moins compétitive parce que ses vins perdent des parts de marchés, c'est un peu court... »

Par Alexandre Abellan Le 31 juillet 2014
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Bernard Farges : « dire que la France est moins compétitive parce que ses vins perdent des parts de marchés, c'est un peu court... »
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 Rester dans sa tranchée, c'est être sûr d'avoir raison... Mais tout seul ! Ce qui est extrêmement confortable, mais sans aucune efficacité » tranche Bernard Farges, résumant ainsi sa feuille de route de représentant de la filière viti-vinicole. Président depuis un an du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux, c'est en tant que président de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vins à Appellation d'Origine Contrôlée (CNAOC) qu'il répond à nos questions s'articulant sur le plan stratégique des vins français (tout juste rendu par la filière au ministre de l'Agriculture). Ayant bien appris les valeurs du jeu en équipe (que ce soit dans la coopération vinicole, en GAEC ou par la pratique du handball*), il soutient avoir réussi à passer de « bons moments » durant ces « débats passionnants ». Pour ne pas dire échanges passionnés, notamment sur la question du potentiel de production. Le négoce demandait que les interprofessions en pilotent leur gestion (cliquer ici pour relire l'interview de Michel Chapoutier), ce que le vignoble a vigoureusement refusé.

« Que les viticulteurs rappellent que l'appareil de production leur appartient, et reste leur prérogative, ce n'est pas une gestion malthusienne ! Mais que le pilotage de la production soit partagé n'est pas aberrant » tempère Bernard Farges, qui a proposé le modèle (retenu) d'une proposition déposée par l'Organisme de Défense et de Gestion (en se basant sur des indicateurs économiques « froids ») avec un avis de l'interprofession. Si la recherche du compromis n'est pas la compromission pour lui, il ne se fait pas d'illusion sur les postures appuyées de chacun (à commencer par les siennes), entre le négoce « tout libéral, qui veut un produit qui lui va bien, au prix qui lui va bien et pour le moment qui lui va bien » et un vignoble qui cherche « à toujours plus valoriser son produit ».

Dans cet entretien Bernard Farges revient notamment sur les vins sans indications géographiques (« la capacité à construire existe, en revanche la capacité de nuisance est forte »), les assurances récoltes (« pour moi cela fait partie des coûts fixes d'une exploitation »), les cépages résistants (il souhaite « pouvoir mener des expérimentations encadrée au sein même de l'AOC »), le prochain projet de financement de la sécurité sociale (« les débats s'annoncent très durs »)...

 

* : gaucher, il joue arrière droit.

Pour la filière vin, la remise de la stratégie d'avenir au ministre de l'Agriculture sera-t-il l'événement de l'année ?

Bernard Farges : Je ne pense pas que cela marquera 2014... Le plan stratégique est une commande du ministre de l'Agriculture à la filière viticole, comme à toutes les autres filières agricoles. C'est une excellente chose, très utile, que l'on se pose tous ensemble pour réfléchir à l'avenir. Mais la filière viticole avait déjà eu l'obligation de réfléchir en 2013, pour préparer la réforme de la Politique Agricole Commune et travailler les cinq prochaines années de l'Organisation Commune du Marché. La filière avait fait alors de vrais choix, pas par défaut, mais par ambition. Ne pas aller vers les aides à l'hectare était un choix fondamental, très structurant pour la promotion vers les pays tiers, l'investissement dans les chais, la restructuration du vignoble, la recherche et le développement... Structurellement, il est clair que les choix les plus puissants ont été faits en 2013. Ceux de 2014 en découlent.

Alors qu'il se fixe sur l'horizon 2025, le plan ne se limite-t-il pas à une série de constats, plus qu'à des propositions ?

Il faut bien rappeler que les opérateurs n'ont pas attendu d'être convoqués au ministère pour décider d'une politique de filière. Ici, la question de se projeter dans l'avenir a été posée avec l'orientation, venue dont ne sait où, de réfléchir sur la supposée perte de compétitivité française par rapport à ses concurrents. Oui, à l'export il y a une perte de parts de marchés des vins français sur l'entrée de gamme. Faisons le parallèle avec le textile ou la sidérurgie, ces productions ont disparu de France car d'autres pays producteurs sont capables de produire à des coûts bien inférieurs. Et face auxquels nous ne sommes plus capables de nous battre. Mais aujourd'hui, dire que la France est moins compétitive parce qu'elle a perdu des parts de marchés, c'est un peu court...

D'ailleurs, est-ce que ces parts de marché devaient être conservées coûte que coûte ? Je n'en suis pas certain, surtout si cela entraîne une viticulture de misère. Générer une croissance des parts de marché sur les produits qui sont valorisés pour tous les étages de la filière, c'est l'objectif qui être celui de tous : production, négoce et administration. Après, nous avons perdu certains marchés (Allemagne, Etats-Unis, Royaume-Uni...) parce que nous n'étions pas suffisamment bons en terme de marketing et de capacité de générer de la plus-value aux distributeurs. Quelque soit le produit, si le distributeur ne se dégage pas de marge, il se tournera vers un autre fournisseur... Et il aura raison !

En tant que président de la CNAOC, vous ne partagez donc pas la vision d'un déclin de la compétitivité du vignoble français, qui remet en cause le modèle pyramidal « tout AOC » ?

L'entrée dans les discussions du plan stratégique a été très marquée par un constat dramatique sur les parts de marché de la maison France (porté par l'administration, mais également le négoce). Ce n'est pas faux. Mais si l'offre française est largement dominée par les vins à indications géographiques, ce sont les viticulteurs et les négociants qui ont fait que ces produits ce sont vendus, et ont duré. La pyramide n'est pas subie, elle est voulue : c'est une somme de choix individuels. Mais que l'on ne me dise pas que la CNAOC ou des ODG l'ont fomentée ! A d'autres moments, la part des viticulteurs faisant des vins de table (selon l'ancienne terminologie) a été plus importante, aujourd'hui je n'affirmerais pas qu'ils gagnent plus dans le modèle du "tout AOC", mais il est sûr que l'autre modèle n'est pas plus valorisant... Aujourd'hui, vouloir ramener la viticulture française dans une logique de volumes n'est pas accepté par tous. Certains ont encore en mémoire des moments de dérégulation (à Bordeaux, Cognac...) qu'ils ont très mal vécu.

La question de la gestion du potentiel de production semble justement avoir été la pomme de discorde entre le vignoble et le négoce. Avec des tensions pour les Vins Sans Indication Géographique...

Il y a zéro tension sur les VSIG. La catégorie est née à la récolte 2008, aujourd'hui elle existe. Si un viticulteur et un négociant veulent en faire, personne ne peut les en empêcher. Le potentiel de production des VSIG n'est aujourd'hui pas limité par le futur dispositif d'autorisations de plantation : ça reste 100 % du vignoble français. Si ça doit se développer, ça peut se développer. Qu'en Crozes-Hermitage on ne fasse pas de vins de France, je peux le comprendre, mais que dans les autres régions de France on ne fasse pas plus de VSIG, c'est un mystère. Ce n'est pas le conseil spécialisé de FranceAgriMer qui décide si un négociant est capable de créer une marque !

Aujourd'hui on voit peu de négociants encore en capacité de proposer un projet industriel sur la durée pour les VSIG. Si je ne veux pas d'une viticulture de misère, nous avons le potentiel pour en bâtir une compétitive avec des partenariats d'avenir et une bonne rémunération des vignerons. Les grands metteurs en marché du négoce ne feront pas le choix d'un approvisionnement franco-français pour être dans l'entrée de gamme des VSIG. Dans l'automobile, Renault fait de l'entrée de gamme, mais Dacia n'est pas produit en France (comme Volkswagen avec Skoda).

La capacité à construire existe, en revanche la capacité de nuisance est forte. L'ensemble de la filière l'a redit, de manière unanime (et ce n'était pas évident), en Conseil Spécialisé : nous souhaitons un dispositif de gestion qui encadre le potentiel de manière étanche entre les segments, tout en dégageant des potentiels de croissance pour chaque catégorie.

Les avis étaient plus divisés en ce qui concerne le rôle de l'interprofession dans la gestion du potentiel de production...

Dire que la gestion du potentiel de production est un enjeu interprofessionnel, c'est un point de vue. Que je ne partage pas. Dans potentiel de production, il y a production : l'élément patrimonial de la viticulture. La production n'a jamais demandé à gérer le potentiel commercial, laissant les équipes commerciales et de conditionnement au négoce. La production n'accepte donc pas que le potentiel de production soit aux mains du négoce. Et que le négoce n'accepte plus que le cette gestion soit laissée à la production. Pour nourrir la réflexion, le vignoble a pris exemple sur des initiatives régionales (Bordeaux, Champagne, Cognac...). Leur expertise utilise des indicateurs économiques, des données de production et de marché qui n'appartiennent à aucune famille : des données froides. Ces chiffres permettent à chacun de se positionner et de nourrir un choix pour le rendement, le Volume Complémentaire Individuel, le potentiel de production... On sort tout de suite des querelles de clocher.

La viticulture a donc proposé au négoce de gérer le potentiel de production sur le schéma suivant : l'ODG bâtit sur les indicateurs interprofessionnels la gestion du potentiel de production, puis les transmet simultanément à l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et à l'interprofession locale pour un avis. La décision finale est rendue par le Comité Régional et le Comité National : c'est une proposition de l'ODG avec un avis de l'interprofession. Par le passé, il n'y a pas eu un ODG qui ait fait passer une proposition à l'INAO avec un avis contraire de l'interprofession.

Se basant sur des données économique, Michel Chapoutier (président de l'UMVIN) considère que la filière française est sous le coup d'une dérive malthusienne.

En tant que président d'un ODG, Michel Chapoutier sait mieux que quiconque que les viticulteurs souhaitent une meilleure valorisation de leurs produits. Comme je l'ai dit, certaines zones ont expérimenté de mauvaises gestions de leur production, et sont donc attachées à la régulation. Que les viticulteurs rappellent que l'appareil de production leur appartient, et reste leur prérogative, ce n'est pas une gestion malthusienne. Mais que le pilotage de la production soit partagé n'est pas aberrant. Ce n'est pas une décision syndicale, les orientations sont prises à partir d'éléments froids et objectifs.

Pour certaines exploitations, l'enjeu d'avenir n'est pas l'horizon 2025, mais l'année courante, notamment après la succession d'aléas climatiques. Quel est votre avis sur la proposition ministérielle d'une assurance récolte obligatoire ?

Le ministre ne propose pas une assurance obligatoire, on n'en aura jamais (saut peut-être un minimum). L'enjeu est de savoir comment nous faisons pour bâtir un système assurentiel répondant aux besoins du plus grand nombre. Le ministre a passé l'enveloppe du fonds national de gestion des risques agricoles de 80 à 100 000 euros, cette ouverture est une bonne nouvelle, même si cela reste largement insuffisant pour répondre aux besoins. Le travail de la filière avec les assureurs a construit des pistes intéressantes, mais on ne veut plus y travailler en ne connaissant pas le devenir du taux aidé (65 % pour la filière vin, alors qu'il a été descendu à 43 % pour les autres). On ne joue plus, il faut que le sujet devienne un enjeu national de filières, quitte à faire des arbitrages. Dès lors qu'il y aura une visibilité sur la dotation, on pourra travailler et en faire la promotion.

Il faut rendre visible et faire connaître les assurances, pour que chacun puisse se positionner en vraie connaissance de cause. Après les orages de grêle de l'été 2013, jai vu des choses terribles. Et j'ai beaucoup entendu dire que les assurances étaient chères, les viticulteurs qui le disaient le croyaient, sauf que ce n'était pas la réalité. Il y avait une grande méconnaissance des offres. Je suis moi-même assuré. En fait je ne suis pas objectif sur la question : je suis issu d'une famille qui a subi des aléas climatiques consécutifs et j'ai toujours entendu dire que l'assurance récolte faisait partie des coûts fixes.

Le plan d'avenir évoque la nécessite d'investir dans la recherche et le développement, mais c'est un sujet à peine effleuré. Il est à peine question des maladies du bois, mais pas trace de viticulture de précision, de cépages résistants...

En effet, c'est même volontaire ! Nous avons estimé qu'il fallait avant tout fixer des objectifs, des besoins et une gouvernance. Aujourd'hui il nous manque de manière frappante une gouvernance de la R&D. Le travail sur la maladie du bois en est l'exemple, chacun y travaille dans son coin et l'on a perdu beaucoup de temps, d'énergie... d'argent sans doute. Il faut travailler à ce que les compétences s'agrègent, pour faire en sorte que les quelques initiatives locales ou individuelles actuelles s'insèrent dans un projet global, unique, français ou européen.

Les cépages résistants sont encore un autre sujet... Comme se prépare-t-on au changement climatique ? Aujourd'hui, dans le cadre d'une appellation d'origine, on ne peut pas ! Alors que ça intéresse de nombreux vignobles... Notre idée est de pouvoir mener des expérimentations encadrée au sein même de l'AOC, pour la faire avancer en son sein, se projeter sans la renier. Le travail est en cours à l'INAO, le Comité National a validé dernièrement une expérimentation de cépage résistant à Cognac, mais hors-AOC.

Le plan d'avenir souhaite aussi relancer la consommation de vins sur le marché intérieur. Mission impossible avec la proposition de financement de la sécurité sociale qui se dessine ?

Les débats s'annoncent très durs... D'après la rencontre récente de Vin et Société avec le ministère de la Santé, cela va même être ardu. Les prises de position fortes du ministre de l'Agriculture face à une hausse de la fiscalité nous rassurent, mais nous restons vigilants. Les restrictions de la communication sur internet (et les réseaux sociaux) nous inquiètent, alors que la définition même de publicité reste floue dans la loi Evin, et que les messages sanitaires sur les bouteilles pourraient se durcir. Pour des professionnels de la filière cela semble incompréhensible. Mais il faut voir qui l'on a en face. Prenons l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA), une structure indispensable pour accompagner les alcooliques et lutter contre l'alcoolisme. Je rencontrais avec la nouvelle équipe de Vin & Société les représentants de l'ANPAA en juin 2013. Rapidement on a compris que l'on ne pouvait pas discuter : ils ne veulent pas de compromis, pour eux ce serait de la compromission ! Si leur position reste celle-ci, chacun dans sa tranchée ! Nous assumons que Vin et Société soit un outil de lobbying, comme l'ANPAA. Ce n'est pas un gros mot, le lobbying fait partie du jeu politique et institutionnel moderne.

 

 

 

[Photos : Vitisphere ; Ministère de l'Agriculture ; FranceAgriMer ; SGV ; CIVC ; Advini ; Maison Chapoutier ; DR ; RAUDIN ; ANPAA]

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