t si un petit point d'étape s'imposait ? Depuis la création de l'AOC Languedoc en 2007, la hiérarchisation des appellations du Languedoc-Roussillon est en marche. Elle cause des remous, se questionne pour ne laisser personne derrière (ni la production, ni la consommation) et poursuit son avancée vers une structure pyramidale.
Mais tout n'est pas clair pour tout le monde. Pourquoi parle-t-on toujours de l'AOC Coteaux du Languedoc alors que l'AOC Languedoc existe depuis 2007 ? Pourquoi parle-t-on de socle pour cette appellation ? Comment les étages suivants s'organisent-ils entre les appellations régionales, les appellations de zones, les appellations communales, lesquelles sont assorties, ou non, de dénominations géographiques complémentaires, les crus ou grands crus en devenir (et a-t-on seulement le droit de parler de crus ? De grands crus ?) ?
On parle, on parle, mais les démarches sont-elles engagées auprès de l'INAO pour la reconnaissance de ces appellations et dénominations ? Si oui où en sont-elles et quand aboutiront-elles ?
Au commencement était le socleL'appellation Languedoc existe depuis 2007. Elle remplace l'appellation Coteaux du Languedoc, créée en 1960 avec le statut de Vin Délimité de Qualité Supérieure (VDQS) devenue Appellation d'Origine Contrôlée (AOC) en 1985 Dans un régime transitoire, l'utilisation de la mention Coteaux du Languedoc était tolérée jusqu'en 2012, « cette période transitoire a été prolongée jusqu'en 2017 » précise Jean-Philippe Granier.
L'appellation Languedoc a la particularité d'être beaucoup plus vaste que l'ancienne AOC COteaux du Languedoc, car elle a vocation à être la porte d'entrée qualitative des vins de la région, le socle de leur gamme, qui formerait une pyramide. Elle englobe donc géographiquement les autres appellations et ses règles de production sont généralement au moins aussi permissives, sinon plus.
En 1960, le VDQS languedocien ne comprenait pas les dénominations des Pyrénées-Orientales (Collioure et Côtes du Roussillon), ni les Corbières dans l'Aude (où seules les dénominations de La Clape et de Quatourze ont adhéré au VDQS languedocien, que 66 communes ont rejointe au fil du temps, ainsi que la dénomination Picpoul de Pinet en 1984). « Mais en 2007, 47 ans après, nous avons pu réunir les Catalans, les Cathares et les Occitans dans l'AOC Languedoc », explique Jean-Philippe Granier, directeur technique du syndicat de l'appellation Languedoc.
L'AOC Languedoc s'étend jusqu'au Roussillon ? Oui. Et jusqu'au Gard à l'Est (pour consulter le cahier des charges de l'appellation, cliquez ici, la liste des communes s'étend des pages 3 à 5). Cela ne signifie pas que l'ensemble de la région doit produire de l'AOC Languedoc, mais que tous les producteurs des communes du Languedoc-Roussillon listées dans le cahier des charges peuvent demander le classement de leurs vin en AOC Languedoc dès lors qu'ils appliquent également ses règles de production.
On note en particulier :
le rendement et le rendement butoir (50 et 60 hl/ha pour les rouges, 60 et 70 hl/ha pour les blancs alors que ces rendements maximaux sont le plus souvent plus restreints dans les appellations de zone et communales),
l'entrée en production des jeunes vignes (dès la deuxième année en AOC Languedoc, alors qu'elle est souvent plus tardive ailleurs)
le degré d'alcool naturel minimal (11,5° pour les blancs comme pour les rouges alors qu'il est le plus souvent supérieur ou égal à 12° dans les autres appellations, surtout en rouge)
les cépages autorisés et les contraintes d'assemblages, les densités de plantation...
Le cahier des charges téléchargeable sur le site de l'INAO présente les conditions de production de l'AOC Languedoc et rappelle les dénomination géographiques complémentaires existantes et les conditions de production spécifiques en « Languedoc-Grés de Montpellier » (depuis 2002), « Languedoc-Terrasses du Larzac » (depuis 2004), « Languedoc-Pézenas » (depuis 2006), « Languedoc-Sommières » (depuis 2010).
Il reconnaît également de nouvelles dénominations géographiques complémentaires ce qui porte leur nombre à 14 en rouge (Cabrières, La Clape, Grés de Montpellier, La Méjanelle, Montpeyroux, Pézenas, Picpoul de Pinet, Pic-Saint-Loup, Quatourze, Saint-Christol, Saint-Drézéry, Saint-Georges-d’Orques, Saint-Saturnin, Sommières, Terrasses du Larzac) et une en blanc (Picpoul de Pinet). Il fixe leurs conditions de production, le plus souvent plus exigeantes que celle de l'AOC Languedoc, car les rédacteurs du cahier des charges ont anticipé les futures demandes de reconnaissances de ces dénominations en AOC à part entière auprès de l'INAO. L'AOC Picpoul de Pinet a ainsi vu le jour en novembre 2013, la demande de l'AOC Pic-Saint-Loup est en cours de traitement à la commission permanente de l'INAO.
Que manque-t-il pour le passage à l'AOC des dénominations complémentaires dont les règles de production spécifiques sont déjà fixées par le cahier des charges de l'AOC Languedoc ? Il reste les délimitations communale et parcellaire, à faire valider par la commission permanente de l'INAO après avis consultatif favorable et transmission du dossier au niveau national par le comité régional.
Le premier étage des appellations de zone, marquées par des spécificités climatiquesNous avons opté pour le terme "zone", il n'est pas très heureux, mais des appellations comme Côtes du Roussillon, Corbières ou Minervois sont au premier étage de la pyramide et ne sont à pas proprement parler des appellations régionales (ce terme est réservé à l'appellation régionale Languedoc, socle de la pyramide).
« Ce sont de vastes appellations, mais leurs spécificités géographiques se traduisent par des différences climatiques évidentes et cela se retrouve dans le verre : n'importe quel dégustateur à qui vous mettez côte à côte un Côtes du Roussillon, un Corbières, un Minervois, verra tout de suite la différence », résume Jean-Philippe Granier.
Les producteurs de ces appellations peuvent choisir de faire agréer leurs vins en appellation Languedoc en fonction de leurs rendements, de leurs cépages, de leur densité de plantation. Il peuvent également, dans certaines communes, accoler une dénomination géographique complémentaire comme il en existe accolées à l'appellation Languedoc, ce sont notamment Corbières-Boutenac, Saint-Chinian-Berlou et Saint-Chinian-Roquebrun.
Parmi les dénominations géographiques actuellement accolées à l'AOC Languedoc, certaines sont assez vastes pour avoir vocation à devenir des AOC de zone (Terrasses du Larzac) au premier étage de la pyramide, d'autres sont si nettement reliées à un village qu'elles peuvent revendiquer l'AOC communales (Montpeyroux, Saint-Saturnin...) au deuxième étage.
Le deuxième étage : les appellations communales et les unités de solAu sein des appellations du socle et du premier étage de la pyramide, des appellations reliées à des spécificités de sols, de climat (l'unité climatique de zones aussi vastes que les Corbières ou les Côtes du Roussillon reste très relative), d'exposition... qui correspondent le plus souvent à des communes identifiées. Elles existent à l'heure actuelles à l'état d'AOC reconnues (Collioure, Banyuls, Maury, Faugères...) ou de dénominations complémentaires accolées à des appellations existantes : Corbières-Boutenac ou Languedoc-Sommières.
Des demandes de reconnaissance sont en cours pour celles de ces dénominations géographiques complémentaires qui souhaitent accéder au rang d'appellation à part entière. C'est le cas de Montpeyroux, dont le nom peut déjà figurer sur les étiquettes aux côtés de celui de l'AOC Languedoc et où, précise François Boudou, président de la cave coopérative et du syndicat des producteurs : « les règles de production correspondant à l'étage d'exigence de l'AOC sont déjà validées dans le cahier des charges de l'appellation Languedoc, qui consacre les dénominations géographiques complémentaires (rendement butoir à 42 hl/ha, définition des assemblages autorisés...), anticipant les attentes de l'INAO en la matière. Reste à faire valider les délimitations géographique (communale) et parcellaire par la commission nationale de l'INAO. La procédure est en cours, nous avons d'ores et déjà reçu un avis consultatif favorable du comité régional. »
Des demandes de reconnaissance de nouvelles dénominations complémentaires sont également en cours au sein des appellations de zone (pour relire notre article sur la présentation d'un certain nombre d'entre elles lors du dernier salon Vinisud par Matthew Stubs MW, cliquez ici) et notamment pour Cazelles, au sein de l'appellation Minervois, et son plateau calcaire à 200 mètres d'altitude en contrebas du plateau de Saint-Jean de Minervois, qui a fait l'objet d'une présentation devant la presse internationale lors de la semaine Millésimes en Languedoc.
Un dernier étage à construire : celui des crus du Languedoc-RoussillonLe dernier étage en préparation : les crus sont actuellement des lieux-dits, au sein même des appellations dont les caractéristiques géologiques, pédologiques et climatiques ont été identifiés et qui ont encore d'autres particularités à mettre en avant. Dans sa présentation, Jean-Philippe Granier cite, comme exemple de zone à vocation de cru, celle d'Arboussas, à Aniane, « Robert Mondavi ne s'est pas trompé sur la qualité de ce terroir spécifique, qui mérite, pour toutes ses particularités, d'être érigé au rang de cru, inclus dans la future appellation communale d'Aniane, au sein de l'appellation Terrasses du Larzac, sur le socle de l'appellation Languedoc. »
Les questions qui fâchaient et celles qui fâchent encore :La délimitation parcellaire
Pour l'ensemble des appellations, l'étape des délimitations géographique et parcellaire pose régulièrement des problèmes humains, dès lors que des vignerons et viticulteurs voient certaines de leurs parcelles exclues de ces appellations alors qu'ils apposaient jusque là la dénomination géographique complémentaire correspondante sur leurs bouteilles. « Toute la question », précise un responsable d'appellation, « est alors de savoir jusqu'à quand nous pouvons attendre que des producteurs qui ne sont pas prêts à nous suivre pour grimper à cet étage, aient fait les réformes nécessaires au vignoble pour cela. Ou faut-il y aller sans les attendre en espérant qu'ils sauront monter dans le train en route ? »
Cru ou Grand Cru
L'INAO a dit non, l'utilisation du terme « Grand Cru du Languedoc" ne sera pas autorisée pour le dernier étage de la pyramide. Le terme Grand Cru est réservé à des produits identifiés et le Languedoc-Roussillon en compte un : le Banyuls Grand Cru. Mais il n'est pas extensible à volonté. « En revanche », précise Jean-Philippe Granier « l'utilisation du terme "cru" est libre ». La question est réglée.
Une hiérarchie de prix
Au-delà du plaisir intellectuel de la définition des terroirs, la question est de savoir si la hiérarchie qualitative de la pyramide (ou les cercles plus ou moins concentriques que forme la superposition des appellations régionale, de zones, communales et des crus) se traduira par une hiérarchie de prix et donc par une gamme languedocienne et roussillonnaise mieux structurée et plus lisible. La lisibilité de ces nouvelles appellations, sur le marché domestique et plus encore à l'export, reste cruciale. Ce qui appelle une dernière question :
Trop d'appellations tue l'appellation ?
Les revendications des terroirs se heurtent à l'exigence de lisibilité des appellations alors que la complexité des appellations françaises fait déjà bien assez souvent l'objet de critiques. La mode est à la simplification. A l'export, chaque reconnaissance pose la question de savoir si le nom sera prononçable à l'étranger.
Faut-il pour autant renoncer à identifier des terroirs différents, au sein d'appellations existantes ?
« Non », répond Jean-Philippe Granier, « C'est une hiérarchisation logique, nécessaire, et nous avons seulement besoin de temps. Nous avons du retard dans nos définitions et nos hiérarchies : mais le temps détruit ce qui se fait sans lui et nous sommes face à une difficulté majeure qui est notre richesse : nous avons beaucoup de sols, beaucoup de terroirs, beaucoup de cépages... Nous prendrons le temps. »