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Allan Sichel : « il n'est pas normal qu'un bordeaux puisse être vendu 1,5 € ! »
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Allan Sichel : « il n'est pas normal qu'un bordeaux puisse être vendu 1,5 € ! »

Par Alexandre Abellan Le 04 novembre 2013
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Allan Sichel : « il n'est pas normal qu'un bordeaux puisse être vendu 1,5 € ! »
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i l'on en revient à la racine étymologique, le négoce est une mise en pratique de l'art diplomatique. PDG de la maison de négoce Sichel (fondée en 1883 à Bordeaux, l'une des premières à posséder un chai de vinification et des marques propres), Allan Sichel est donc, en bon négociant, un fin diplomate : un gant de velours pour une poigne de fer. Si pour lui « le négoce à Bordeaux est un outil puissant de distribution et de commercialisation à la disposition de tous », gare à ceux n'en respectant pas la règle fondamentale : la confiance. Allan Sichel n'a ainsi aucun « problème avec la vente directe », évidemment « tant qu'il ne s'agit pas de nos clients et que les prix de ventes sont identiques ».

Président de l'Union des Maisons de Bordeaux, il fait de la cohérence un enjeu majeur pour l'ensemble de la filière. A l'heure d'une petite vendange girondine (dont il défend la qualité, « étonnante »), cela ne peut passer que par la continuité des marchés. Et donc des cours, comme il nous l'explique dans cet entretien, avec l'objectif de 1 200 euros le tonneau. Même s'il confie avoir « conscience que c'est insuffisant pour le viticulteur qui a perdu une part importante, voire l'intégralité, de sa récolte cette année ». A l'heure d'une visibilité accrue, cette cohérence le pousse à défendre, non pas la transparence, mais le professionnalisme de tous les acteurs. Ce qui nécessite « une filière puissante et coordonnée pour se mettre en adéquation avec les attentes des consommateurs ». D'une manière moins diplomatique, cela donnerait : le repositionnement (des vins de Bordeaux), c'est maintenant !

Comment négocier ce millésime 2013, à l'interface entre la petite production et la demande des marchés ?

Allan Sichel : le premier besoin du négoce, c'est d'abord de continuer à faire des affaires ! Dans le périmètre de Bordeaux, il faut prendre une vision à plus long terme. La récolte 2013 est très déficitaire, on parle de moins de 4 millions d'hectolitres de vins. Ce qui est mieux qu'en 1991 (2,3 millions hl), mais pire qu'en 2008 (4,5 millions hl) ! On connaît par l'histoire les conséquences d'une évolution soudaine des cours, qui aboutit très rapidement à des pertes de parts de marché qui sont au combien longues, voire impossibles, à récupérer par la suite. Forts de ce constat historique, et de la relation forte unissant le négoce et la viticulture, tout le monde comprend bien qu'il y a besoin de prendre en compte les marchés. Surtout dans une situation économique mondiale qui, je le rappelle, reste difficile.

Avec la très faible production 2013, ce sera compliqué d'éviter une rupture de marché. Et, je le sais bien, ce sera difficile pour les viticulteurs vendant intégralement leur production dans l'année. Des tensions sont attendues sur l'entrée de gamme. L'historique de la régulation par le plan Bordeaux Demain est trop courte pour qu'il y ait eu des réserves nécessaires, l'idée étant d'alimenter correctement le marché en vins. Il faut également y repositionner nos vins.

Qu'entendez-vous par un repositionnement les vins de Bordeaux, notamment en terme de cours ?

Il y a quelques années, les cours du Bordeaux rouge étaient à 750 euros le tonneau. Ces deux dernières années nous sommes plutôt montés à 900 € et actuellement nous sommes déjà à 1 150 €. L'objectif est de tenir le cours moyen à 1 200 € le tonneau. J'ai bien conscience que c'est insuffisant pour le viticulteur qui a perdu une part importante, voire l'intégralité, de sa récolte en 2013 avec la fleur difficile, la grêle... Mais à ces prix là, on se trouve dans le fil conducteur du plan pour accompagner le développement à l'export.

L'objectif est de repositionner les cours moyens sur les bordeaux du cœur de gamme, il se trouve dans le cadre du plan Bordeaux Demain, qui identifie quatre segments de vins : basique, fun, exploration et art. La gamme des vins d'art est à part, ce sont les crus prestigieux. Celle des vins basiques est importante à Bordeaux (20 % des 5,7 millions hectolitres produits traditionnellement), l'objectif est de diviser de moitié ces volumes, tout en maintenant et développant la qualité attachée au nom de Bordeaux. Le repositionnement est la bascule des vins basiques vers les vins funs. Chaque opérateur s'inscrit dans cette logique.

Le segment basique dépend surtout de l'orientation, à la baisse, des prix. Notamment sur le marché national. C'était une anomalie que jusque là que les vins de Bordeaux ne soient qu'exportés au tiers de leurs volumes. Alors qu'il y a appétence des consommateurs vers des valeurs sures, les vins de Bordeaux peuvent légitimement s'inscrire dans la valorisation. Il n'est pas normal que des Bordeaux soient vendus à 1,5 € TTC en grande surface ! Aucun consommateur ne s'attend à des bordeaux à moins de deux euros la bouteille. Et aucun consommateur ne s'offusquerait que le prix de vente soit supérieur ! Ceux qui achètent à bas prix pourraient prendre d'autres vins, n'ayant comme premier critère que leur budget.

La faible disponibilité du millésime 2013 facilitera-t-elle alors, mécaniquement, cette montée en gamme auprès des consommateurs ?

La faible disponibilité peut créer une conversion logique du basique vers le fun, mais faut être attentif : ces transferts nécessitent des années pour qu'il y ait un bon repositionnement. A 1 200 € le tonneau, cela va nécessairement tailler dans le segment basique, tout en restant acceptable pour la catégorie fun. Il faut surtout que les prix ne s'effondrent pas en 2014, il y aurait de la confusion face à cette incohérence : plus personne ne comprendrait ! Je pense qu'il faut mettre les choses en perspective, un défaut peut ainsi devenir un avantage. Il y a encore quelque temps notre filière se plaignait de voir tous les avantages des autres pays producteurs : faible coût de la main d'œuvre en Afrique du Sud, réglementation plus laxiste aux Etats-Unis, pas besoin de traitements au Chili... Mais désormais on voit que c'est nous qui avons tous les avantages, en ayant la chance que l'image de la France et de Bordeaux soit conservée.

La Gironde représente 2 % de la production mondiale de vins, et là dessus nous avons un a priori de qualité et de prestige favorable. Il est donc légitime que les vins de Bordeaux ambitionnent de cibler les 20 % du haut de la pyramide des occasions de consommation de vins. C'est ambitieux, mais atteignable ! Il faut créer de la cohérence pour positionner l'image de nos vins de manière rassurante auprès des consommateurs. Certaines personnes ne dépenseraient jamais moins de 30 euros pour une bouteille. D'autres en dépensent rarement plus de 10 euros, si pour cet achat exceptionnel ils choisissent Bordeaux, nous aurons gagné !

En faisant ce pari de la valorisation, ne laissez-vous pas sur le carreau tout le vignoble d'entrée de gamme ?

Est-ce que Bordeaux peut faire des vins de qualité pas chers à Bordeaux ? Avec nos conditions climatiques peu favorables et les coûts de production, la réponse est non ! On ne peut pas faire le choix de s'attaquer au segment basique. Plein de régions peuvent faire aussi bien pour moins cher. Cette compétition n'est pas gagnante, il faut privilégier la reconversion. Par exemple avec le repositionnement différencié des rosés de Bordeaux, dont le cahier des charges demande des notes bleutés nous différenciant des rosés de Provence. Notre volonté n'est pas de se substituer à ce qui se fait ailleurs, mais de trouver le moyen de basculer des volumes. Comme une éponge au basique. Idem avec le projet de claret, un vin rouge léger légitime à Bordeaux. La mise en place de son cahier des charges est en cours de discussion.

Pour le millésime 2013, vous parlez de quantité, mais il semble que qualité soit déjà mise à mal, notamment par des journalistes de la presse anglo-saxonne...

Ont-ils seulement goûté des jus ? Il faut faire la part des choses, je ne pense pas que les grands crus fassent de très grands vins en 2013. Mais je m'intéresse plus globalement aux vins de Bordeaux, on a une belle couleur, une acidité qui, après la malo, devrait nous donner un pH de 3,75 à 3,80 et des taux d'alcool plus conformes aux attentes des consommateurs, à 12,5-13°. Je suis au contraire surpris par l'absence de signes de sous maturité, d'astringence ou de rugosité. Nous avons des vins souples, aux couleurs profondes et degrés digestes. Personnellement ce ne sont pas les vins que je garderai le plus longtemps dans ma cave, ils sont à consommer jeunes. Mais je ne suis pas inquiet de la qualité que l'on aura, c'est la quantité qui me préoccupe !

Comment pressentez-vous la prochaine campagne des primeurs ?

Il faudra d'abord goûter les vins ! Mais il faudra surtout susciter l'intérêt des consommateurs. Cet événement est l'occasion d'un gigantesque focus sur les Bordeaux pendant un mois. C'est un gros avantage à préserver. Pour ça il faut faire en sorte que les acheteurs sont contents, et fassent des affaires en primeur. Pour les millésimes 2009 et 2010, la hausse des prix allait de paire avec une qualité exceptionnelle. Pour 2011 et 2012, l'augmentation a été plus modeste, les prix de ventes sont restés élevés pour conforter et préserver des positionnements de prix. En 2013, la qualité est moins séduisante. Pour intéresser les acheteur, il n'y a pas de secret, une baisse de prix significative est nécessaire. Les habitués des primeurs ont réduit leurs achats l'an dernier, les primeurs sont comme le négoce : un outil !

Devenu le premier marché export de Bordeaux, la Chine ne marque plus tant les esprits par la hausse de ses importations que par la question des phtalates et des enquêtes qui laissent planer la menace d'une hausse des droits...

Pour Bordeaux, la Chine est en effet devenue un très gros marché, qui, dans ses développements, a connu une progression tellement fulgurante ces cinq dernières années quelle ne pouvait durer sur le long terme. Il y a un plafonnement et un repositionnement de la demande. Actuellement, les acteurs du marché sont également en cours de consolidation. Il y a encore des opportunistes qui se brûlent les ailes et certains qui pensent faire fortune en y envoyant trois containers de vins.

Les Chinois sont cependant très pragmatiques. Les phtalates représentaient une grosse difficulté d'interprétation d'un texte réglementaire européen, cette mauvaise lecture faisait apparaître beaucoup de vins au-dessus des seuils. La question des droits est plus grave, il s'agit d'une réaction directe au problème des panneaux photovoltaïques. En parallèle, il y a aussi de grands projets de développement de la production chinoise de vins. Et ils s'aperçoivent que ça coûte plus cher que prévu de produire du vin. Ils ont alors tendance à mettre des barrières, pour protéger production locale. Il y a encore beaucoup de projets et de chemin à faire avant que la Chine ne produise de grands vins de manière régulière.

Quoiqu'il en soit, l'enquête est lancée, la collecte des informations pouvant s'apparenter à de l'espionnage industriel... A nous de la laisser suivre son cours pour convaincre les Chinois que nos vins ne bénéficient ni de dumping, ni d'aides européennes. La destination chinoise reste importante pour nos vins, même si elle diminue en valeur avec la réduction de la demande de grands crus, suite au holà gouvernemental sur les achats ostentatoires. Mais ce n'est pas le reflet des capacités de Bordeaux et de la France à exporter vers la Chine. Je considère qu'il y a encore beaucoup à faire en Chine, et plus généralement en Asie, avant de passer à d'autres marchés émergents, plutôt l'Amérique latine avant l'Inde.

 

 

 

[Illustrations : CIVB ; Photos : Alexandre Abellan (Vitisphere)]

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