in festif par excellence, le champagne connaît les inconvénients de ses avantages. Ses ventes seraient en effet plus sensibles au moral de ses consommateurs qu'à l'environnement économique global. C'est ainsi que Jean-Marie Barillère analyse le repli des volumes de champagnes vendus en ce début 2013, alors que l'optimisme reste ténu sur la zone euro. Président de l'Union des Maisons de Champagne et co-président du Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne depuis 2013, il se penche avec nous sur l'ensemble contrasté de l'économie du vignoble champenois. Car si les marchés français et européens sont difficiles, « nécessitant des ajustements de la stratégie commerciale des entreprises », les expéditions lointaines ne faiblissent pas. Elles devraient même atteindre de nouveaux records en 2013.
Se félicitant de la rapidité du négoce et de la production, à trouver un accord sur les rendements 2013 de l'AOC Champagne, Jean-Marie Barillère affiche également un front uni par rapport aux dossiers brûlants : directive nitrate, exonération de la main d'œuvre saisonnière... Plus généralement, il revient sur les enjeux de la France et de l'ensemble de ses vins à l'export. Estimant que l'idée d'un « marché de niche mondial n'existe pas » et devient une illusion dangereuse.
Pour ce début d'année 2013, quel est le bilan économique du vignoble champenois ?Jean-Marie Barillère : en terme de chiffre d'affaires nous sommes stables, l'évolution est de -0,6 % sur les six premiers mois 2013 par rapport à 2012. Il y a en même temps une baisse des volumes expédiés (à -3,1 %) et une croissance des prix moyens (+2,6 %), les deux phénomènes se compensant quasiment. En Champagne, le premier semestre compte pour le tiers de nos expéditions sur l'année. Avec 108 millions de bouteilles vendues à la fin juin, nous misons sur 305 à 307 millions de bouteilles pour 2013.
Ces prévisions donnent un volume d'expéditions stables par rapport à l'année dernière, cela nous paraît logique car nous ne voyons pas de signe d'amélioration du moral des consommateurs. Contrairement aux autres vins, le champagne est le baromètre du moral des populations. Plus qu'à l'économie, nos performances sont liées au moral des consommateurs.
La tendance sur le marché français reste donc morose ?Sur le premier semestre 2013 nous restons sur un repli de 5 %. Mais la tendance négative du marché devrait s'estomper en fin d'année. Les ventes de champagnes risquent d'être au niveau de 168 à 170 millions de bouteilles : les chiffres les plus bas de ces dix dernières années ! Les pays proches de la France connaissent une situation identique. Vous ne serez pas surpris si je parle de l'Italie ou de l'Espagne. En ce qui concerne le Royaume Uni [le premier marché export en valeur pour la Champagne], ce n'est pas un bon début d'année. On y note un fort attentisme, avec la volonté du trade anglais de piloter vers le bas ses stocks.
En Belgique et en Allemagne les ventes se tiennent bien, il faut différencier l'Europe du Nord de celles du Sud et de l'Ouest. Le sentiment global en Champagne, c'est que plus l'on est présent sur la France et les marchés voisins et plus la tendance est négative pour les expéditions. C'est l'inverse quand on se tourne vers les marchés lointains, et que l'on y est proactif.
Quels sont ces marchés lointains actuellement porteurs ?La courbe des expéditions de champagnes vers l'Asie, l'Afrique et l'Amérique ne va certainement pas tarder à croiser celles des expéditions en Europe. En Asie il s'agit avant tout du Japon, ainsi que de l'Australie à une moindre échelle. Depuis deux décennies, le marché nippon est en émergence, avec une croissance à deux chiffres qui ne ralentit pas. On s'attend à une superbe année là-bas. Bien sûr la Chine continue de se développer. Comme les autres exportateurs français, les entreprises champenoises ont dû s'enregistrer pour la procédure d'enquête chinoise. Mais ça n'est pas vraiment une menace pour l'avenir. Les barrières sanitaires sont plus à craindre, même si ce n'est pas un risque nouveau : il y a vingt ans il s'agissait de la procymidone.
Le marché américain est un marché émergent depuis maintenant vingt ans. Y travailler reste difficile, car il n'y a pas un marché, mais plusieurs. En Afrique, le Nigeria décolle. Ça reste un petit marché, mais avec ses taux de progression très forts, il est très prometteur, comme le Brésil et la Russie. La Champagne doit aujourd'hui se relancer dans un travail de grands voyageurs commerciaux. Comme il y a deux siècles, il faut porter les produits dans les bons endroits. Les transports rendent la tâche plus simple, mais les administrations la rendent plus complexe.
Avec la croissance continue du prix de vente moyen, les champagnes vont-ils se résumer à un produit de luxe ?Il faut faire attention aux effets de moyenne. Les marchés proches de la France sont les moins rémunérateurs et sont actuellement en baisse, tandis que les marchés lointains s'orientent de nouveau vers une année record, en achetant les plus belles marques et les cuvées les plus chères. Cette croissance de la moyenne des prix est bien plus forte que celle, faciale, vue par le consommateur.
Il semble que le succès à l'export des vins français se résume au haut de gamme et qu'il soit admis que la bataille des volumes a été perdue au profit de celle de la valeur. Y-a-t-il encore une place pour les vins d'entrée et de cœur de gamme ?L'un n'exclut pas l'autre ! Ce serait une idiotie de ne produire en France que des vins haut de gamme. C'est une aberration que de faire croire que plus de 20 % des vins français d'appellation sont d'exception. Il y en a peut-être 10 %, qui sont capables d'être exceptionnels. Le reste doit trouver son propre positionnement. La France bénéficie d'une trés bonne image dans le monde, à condition de ne pas la galvauder.
Personnellement je ne comprends pas la politique viticole qui consiste à ajouter sans cesse de nouveaux signes de qualités. Trop de signes de qualité tuent la qualité. Nous sommes restés très gaulois en France, en jouant clocher contre clocher, bassin contre bassin... Il faut réussir à se souder derrière un label France pour s'imposer. L'idée d'un marché de niche mondial n'existe pas pour les vins de France.
Les rendements des vendanges 2013 viennent d'être fixés en Champagne. En 2012, l'accord entre les maisons et la production avait été plus difficile à trouver. Qu'est-ce qui a changé depuis ?L'an dernier, il s'agissait plus d'un problème de méthodologie que de points de vue. L'accord entre le vignoble et le négoce a été rapide car nous étions d'accord sur la méthode et que nous avions le même raisonnement sur les stocks actuels et les besoins à venir. C'est une vision qui ne s'arrête pas à la période 2013-2014, car la prochaine rentrée de vendange ne sera commercialisée qu'en 2016. Notre convergence de vue s'est arrêtée sur un rendement de 10 500 kilos de raisins par hectares, tirables en 2014.
Avec 1,2 milliards de bouteilles, les stocks sont actuellement élevés par rapport aux prévisions commerciales. Mais le pilotage de ce stock rend la situation saine. C'est un exercice difficile que de savoir si l'on est en sur ou sous-stock. Dés qu'une bouteille de champagne est vendue en plus, il en faut trois de plus en stock. Et inversement.
Le vignoble champenois vient d'essuyer plusieurs orages de grêle. Les pertes liées auront-elles un effet sur la production champenoise dans son ensemble ?Ces pertes n'auront pas d'impact global, leur effet est complétement lissé par les réserves. Quand on voit un vignoble grêlé, personne ne reste insensible. C'est un arrache-cœur, qui réduit à néant le travail de l'année et compromet celui de l'année suivante. Mais le système de réserve en Champagne affranchit la production de cette insécurité. En assurant nos arrières, ce dispositif nous permet de bien contrôler la mise en marché. Car depuis plusieurs décennies, ce n'est plus le producteur le maître du marché, mais le consommateur.
Les premières estimations de récolte sont de 12 à 14 000 kg/ha, ce qui est au dessus du rendement tirable. Pour ceux qui le pourront, ce surplus pourra alimenter leurs réserves individuelles. La récolte va être tardive, il ne reste plus qu'à suivre les conditions climatiques d'août et de septembre pour juger ce millésime en qualité et quantité.
Pour l'UMC, quels sont les sujets de mobilisation syndicale : la directive nitrate, l'exonération des employés saisonniers..?Avant toute chose, nous vivons du raisin. La directive nitrate est une erreur administrative grossière. Excusez-moi de le dire, mais certains écrivent des bêtises sans avoir la moindre idées de leurs conséquences ! Le mal est déjà fait, mais on espère que le bon sens paysan va l'emporter, même chez les politiques. Il est hors de question que plus de 40 % du vignoble champenois soit interdit de fertilisation. Ce serait une aberration.
Nous sommes alertés par la fin de l'exonération des saisonniers. Cela va entraîner un coût supplémentaire de 10 centimes d'euros au kilo. La fiscalité des entreprises de Champagne est un autre point à revoir. Plus une maison a de stock, plus elle est pénalisée en terme d'imposition. Et il y a le sujet de la taxation des vins. C'est un serpent de mer qui est une crainte supplémentaire. Tout ça ne va pas dans le bon sens. In fine ce sera le consommateur qui paiera, mais il n'y aura pas eu de création de valeur, ni pour lui ni pour la filière viti-vinicole !
[Photos et illustrations : UMC]