quelques semaines du prochain Vinexpo, Robert Beynat, directeur général du salon, répond à nos questions sur l'atmosphère qui enveloppera les allées du parc expo bordelais du 16 au 20 juin prochain. Il partage son ressenti de la crise sur la filière vin, ainsi que de son optimisme sur les conséquences du développement viticole de la Chine. Il reste cependant pessimiste sur la consommation française, du moins tant que la loi Evin sera appliquée strictement.
Robert Beynat devient plus réservé quand on lui demande si cette édition 2013 sera sa dernière, en tant que directeur général de l'évènement. Sans esquiver la question, il précise « avoir passé le cap des 65 ans et penser à passer la main un jour ou l'autre... Ce salon est une belle réussite, sa notoriété et nos chiffres le montrent. Mais je ne suis pas seul aux commandes, c'est le travail d'une équipe de 22 personnes. J'ai également eu la chance que mon projet soit porté par de grands, comme Xavier de Eizaguirre (Baron Philippe de Rothschild ), Dominique Hérard Dubreuil (Rémy Cointreau), Claude Taittinger (maison Taittinger)... »
Au sein de l'offre Vinexpo, le salon de Bordeaux est-il toujours pertinent quand on voit le développement de celui de Hong-Kong ?Robert Beynat : le salon de Bordeaux reste pertinent car il reste le salon numéro un pour les vins et spiritueux dans le monde ! Même dans une période de crise comme celle que nous vivons actuellement, les entreprises choississent d'être présentes et nous classent toujours en première position. Notre avantage, c'est de ne pas tenir un salon annuel, car venir à Vinexpo représente de gros investissements humains et matériel. Nos exposants préfèrent être amenés sur d'autres marchés. L'implantation de Vinexpo à Hong Kong est un succès, pour la prochaine édition nous allons même ouvrir un nouveau hall d'exposition (+ 50 % en superficie). De nombreux exposants souhaitent y participer et nous sélectionnons parmi ceux déjà présents sur le marché chinois. Des producteurs chinois exposeront d'ailleurs en 2014, ils veulent exister dans le marché mondial du vin. D'autres nouveautés sur Vinexpo Asia seront dévoilées prochainement...
Pour en revenir à Bordeaux, Vinexpo garde cette primeur car si nous ne garantissons pas d'affaires (ce n'est de toute façon pas une foire aux vins où l'on achète des cartons de bouteilles), nous assurons une mise en contact qui permet de préparer les deux ans qui suivent. Nous offrons des possibilités, mais nous ne pouvons pas se substituer aux vendeurs ou aux acheteurs ! Nous donnons des conseils, nous menons des études lourdes de prospective sur les marchés et la distribution, mais un salon doit obligatoirement se préparer en amont. Et je ne recommande pas de rester les bras croisés au milieu de son allée ! Quand trois à six mois après Vinexpo des commandes sont passées, c'est surement un petit peu grace à notre salon. En tout cas c'est ce que doivent se dire ceux qui reviennent depuis 30 ans !
Le leadership de Vinexpo est en partie expliqué par la renommée et l'attrait de la ville de Bordeaux. C'est une ville du vin qui est appelée à le rester. Vinexpo est l'un des mécènes du Centre des Civilisations du Vin, qui sera opérationnel en 2016. Je serai d'ailleurs présent à la pose de la première pierre le 19 juin, pendant le salon.
Vinexpo 2013 va-t-il enregistrer un repli de son nombre d'exposants ?En 2013, Vinexpo accueillera le même nombre d'exposants qu'en 2011. Mais il faut être honnête : ça n'a pas été facile. Au final il n'y aura qu'un exposant en moins par rapport à la précédente édition. Il y a eu un équilibre entre les entrants et les sortants. C'est une édition difficile, mais nous sommes ravis qu'il y ait autant d'exposants. Les visiteurs savent quant à eux que Vinexpo est indispensable. Les pré-enregistrements sont actuellement en avance par rapport à 2011, mais je ne me risquerai pas à annoncer une hausse de 20 % ! On ne peut pas inventer des acheteurs, à moins d'ouvrir les portes au grand public. Vinexpo est en effet le seul salon à garantir l'absence de consommateurs dans ses allées. Nous contrôlons les inscriptions et vérifions en cas de doute. Celui qui met le pied sur un stand est forcément un professionnel !
D'autres salons souffrent dans ce contexte, comme la London Wine Fair. De ce que l'on m'a rapporté, la dernière édition était « désolante », comme le disent les Anglais. D'une manière générale, toute concurrence est bénéfique. Et nous n'avons pas peur de la concurrence. Nos forces priment sur celles des autres salons.
La crise se fera-t-elle plus sentir sur cette édition 2013 que durant la précédente ?En effet... En 2011 la crise économique mondiale n'avait que trois ans d'âge, les professionnels de la filière jugeaient que « ça allait s'arranger, la vigueur allait revenir ». Mais la vigueur n'est pas revenue, du moins en Europe où l'on sent toujours la crise. Mais attention, il faut se rendre compte qu'il n'y a pas eu d'arrêt de la consommation mondiale de vins ! Globalement, elle a continué à croître, même si le niveau de croissance est moins rapide qu'auparavant. L'augmentation de la consommation en valeur est plus de deux fois supérieure à celle en volume, ce qui confirme la tendance du « boire plus et boire mieux ».
Désormais le vin est un produit de grande consommation, au même titre que l'eau, la viande... Ces produits ont connu un repli de leurs achats après la crise. Ce qui n'est pas le cas du vin. A notre grande satisfaction ! Il faut préciser que derrière la moyenne mondiale de la consommation de vins, il y a aussi bien des pays aux tendances positives que négatives. C'est le cas de la France, de l'Italie, de l'Espagne... Ce qui pousse à l'export et implique de nouveaux investissements, notamment dans la politique marketing. A terme cela veut dire des rapprochements, des partenariats, si ce n'est des fusions. Une petite entreprise n'a en effet qu'une gamme étroite à disposition. Face aux grands acheteurs d'entreprises musclées, elles ne font pas le poids et doivent céder leurs marges. A Bordeaux, seuls Castel et Baron Philippe de Rothschild sont capables de traiter d'égal à égal avec Suntory. On voit actuellement ces phénomènes de concentration dans la filière, et ça va continuer. Pour Vinexpo ça ne veut pas dire moins d'exposants, mais plus de superficie nécessaire pour chaque stand !
Les acheteurs chinois seront-ils toujours aussi présents ou le temps est-il venu à la Chine d'émerger en tant que pays producteur et donc vendeur ?La Chine est aujourd'hui le huitième pays producteur de vin au monde. En 2016, nous prévoyons qu'elle occupera la sixième place. Nous allons accueillir des grands producteurs chinois cette édition, notamment des entreprises issues de joint-ventures avec l'Europe, comme celle de Dinasty et de Rémy Cointreau. Cela ne veut pas dire que leurs produits viendront prendre la place des produits européens ! Il ne faut pas craindre cette nouvelle puissance viticole. Au contraire c'est l'une des meilleures nouvelles que l'on ait ! Car un pays produisant plus de vins devient un pays qui en consomme plus. C'est un phénomène connu : que serait aujourd'hui le marché américain s'il n'y avait pas eu de Mondavi ou de Gallo ? La Chine ne va pas inonder le marché mondial de vins, elle aura déjà assez à faire avec sa consommation domestique...
Comme pour 2011, toutes les attentions semblent focalisées sur le marché asiatique...En Asie, on enregistre une baisse de la consommation des alcools forts locaux au bénéfice, la plupart du temps, des vins. Mais attention au miroir aux alouettes ! Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Les marchés émergents sont des relais de croissance indéniables, mais il ne faut pas oublier les marchés plus anciens, comme le Canada, les Etats-Unis, le nord de l'Europe... Les pays scandinaves n'ont pas atteint leur potentiel de consommation. Je peux vous dire que de nombreaux acheteurs de Norvége, de Suède et du Danemark seront présents à Vinexpo !
Malgré les difficultés, il ne faut pas non plus oublier le marché anglais. Les consommateurs y boivent de plus en plus de vins. Il y a dix ans, si l'on observait les clients d'un pub ils ne consommaient que de la bière, maintenant il n'est plus rare de voir des verres de vin. Cependant, la situation économique anglaise est préoccupante. Dans notre dernière étude prospective, c'est le seul pays pour lequel les perspectives de consommation sont orientées à la baisse.
Peut-on encore avoir de l'espoir dans le marché français ?Si la loi Evin est abolie, oui ! Quand on voit qu'une réglementation française se pose contre l'un des produits emblématique de notre pays à l'étranger, on ne peut s'étonner de le voir de plus en plus diabolisé par les ayatollahs de la santé. Actuellement il serait question de hausse de la fiscalité des vins. Le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll a démenti et il devrait en dire plus lors de l'inauguration de Vinexpo, qu'il assurera.
Je ne suis pas optimiste quant à une remontée de la consommation française de vins, je l'espère au moins stable... Les professionnels doivent agir pour permettre un assouplissement de la loi Evin. C'est le rôle de la filière que d'aller plus loin. En Angleterre, la Wine & Spirits Trade Association (WSTA) va jusqu'à proposer des textes de loi qui précédent celles du gouvernement.
Alors que la production de vins en 2012 a été marquée par sa faiblesse, il y a toujours autant de difficulté à les vendre. Notamment en primeurs, à Bordeaux.Les grandes et petites récoltes sont le propre des productions agricoles. Avec des vendanges en dents de scie, le vin ne fait pas exception. Et heureusement, sinon ce serait un produit industriel ! En 2012 il y a eu une petite récolte, dont acte. Mais le vin ne se boit pas dans l'année, il y a des phénomènes de stocks et de substitutions qui servent d'amortisseur. Ca ne m'émeut pas, 2012 finira par se vendre.
Les primeurs n'ont rien à voir avec ça, il s'agit d'un problème économique et non quantitatif. Ni même qualitatif. Aujourd'hui, sur toute la chaîne de distribution qui va du producteur au vendeur final, personne ne veut plus porter les stocks. C'est un problème financier et tout le monde se retourne vers le producteur. Le phénomène observé avec les primeurs en est une caricature.
Pour cette édition 2013, constatez-vous le développement des vins bio, rosés, aromatisés..?Le phénomène des vins bio est indéniable, mais ils resteront à la marge des échanges mondiaux. Ils ne représenteront pas l'essentiel du marché dans les 50 prochaines années. Pour les rosés, il faut se rappeler que ce sont des vins rares, ils représentent moins de 10 % du marché mondial. La France est bien placée au niveau de la production et notre pays est surtout le premier consommateur mondial de rosé. Mais ce n'est pas un produit de développement, la croissance de la consommation mondiale se fera par les vins rouges et les vins effervescents, au sens le plus large du terme. Quant aux vins aromatisés, pourquoi pas... Mais il y a suffisament de sensations et de goûts dans le vin pour que l'on puisse répondre à toutes les demandes de tous les marchés ! Cette richesse des produits est multipliée par la diversité des produits, chaque millésime étant particulier.
[Photos de Robert Beynat et illustration : Vinexpo]