aissons de côté les records battus par la 152ème vente des vins des Hospices de Beaune, 5,2 millions d’euros pour 412 tonneaux, dont la pièce du président - 350 litres du corton grand cru cuvée Charlotte Dumay- enlevée par un milliardaire ukrainien à 270 000€. Passons aussi le traditionnel rendez-vous du Beaujolais nouveau, dont la fête a été, cette année, ternie par les difficultés financières des viticulteurs de la région. Plusieurs centaines pourraient cesser leur activité, le rendement des vignes ayant été entamé par les intempéries. L’actualité nous sert ces deux dernières semaines des échos convergents/divergents des tendances à l’œuvre : Amazon.com, numéro un de la vente en ligne, ajoute le vin à son panel, ce qui n’empêche pas le petit Nicolas d’être une grande cave. L’Espagne s’offre une campagne dont on se demande si elle serait autorisée en France : « Qui sait boire, sait vivre ». Selon le journaliste britannique Tim Atkin, presque plus rien ne différencie les vins du Nouveau et de l’Ancien monde, l’un et l’autre s’étant copiés et absorbés. Ce que pourrait confirmer le palmarès annuel du Wine Spectator, fidèle à lui-même. Bonne semaine.
Catherine Bernard
Du vin en ligne chez AmazonCette fois aura été la bonne. Une dépêche de l’AFP reprise par Le Point, annonce que « le distributeur en ligne Amazon a lancé jeudi un service de vente de vin en ligne ». Celui-ci est « limité pour l'instant à une partie des États-Unis », 13 Etats, mais est déjà annoncé comme « susceptible de bouleverser le système de distribution très réglementé dans ce pays ». Le journaliste rappelle que « le système de distribution du vin aux États-Unis, hérité de la prohibition, repose sur une série d'intermédiaires (importateurs, grossistes), ce qui contribue à renchérir le prix final payé par les consommateurs. En outre, chaque État a ses propres réglementations, et certains interdisent les achats de vin par correspondance ». La force d’Amazon est de permettre « aux établissements vinicoles américains intéressés pour commercialiser leur production sur sa plate-forme de le contacter directement ». Le communiqué de presse du distributeur repris par l’AFP a fait à peu près le tour du monde. Le blogueur Dr Vino y a bien sûr jeté son œil critique : « Il sera intéressant de suivre l’évolution. En général, les wineries ne proposent pas les meilleurs prix pour leurs vins. Ce que font les détaillants. Une rapide recherche de quelques vins sur la base de données Wine-searcher montre que les prix de départ sont 10 à 25% moins chers que ceux offerts sur Amazon. (…) Pour l’instant ce secteur est dominé par Cellar Tracker (…) mais si la liste des vins proposés par Amazon se glisse en tête de recherche, les amateurs pourraient fondre sur le site ». Ainsi qu’il l’écrit, Jacques Berthomeau est « allé traîner sur Amazon.com/wine ». Il nous livre le mot du vice-président, Peter Faricy : «Que ce soit pour aider les consommateurs à trouver leur cépage préféré, faire des achats pour les fêtes ou agrandir leur cave avec une bouteille spéciale, nous fournissons les outils et l'information nécessaire pour les guider jusqu'au vin parfait ». Personne ne pose la question que tout le monde se pose, Amazon pourrait-il vendre du vin en ligne en France ?
Le grand petit NicolasEn attendant, nous avons nous Nicolas. Le magazine économique Capital (http://www.capital.fr/enquetes/succes/comment-le-petit-nicolas-est-devenu-un-geant-du-vin-788389) décrypte dans une enquête fouillée « comment le petit Nicolas est devenu un géant du vin ». Le secret du succès repose peut-être dans ce raccourci : « La chaîne se donne des airs de petit caviste. Mais en réalité, ses méthodes imitent celles de la grande distribution ». « Chez Nicolas, on ne badine pas avec les consignes. C’est d’ailleurs l’un des secrets du plus célèbre caviste de France : une organisation ultracentralisée, quasi militaire, calquée sur celle de la grande distribution. Et tant pis si cette mécanique bien rodée lui vaut le dédain de bon nombre d’œnophiles et autres amoureux du terroir, qui fustigent ces «supermarchés déguisés en petits marchands de vin». A 190 ans, la maison n’a plus à faire ses preuves. Avec ses 466 boutiques, Nicolas accapare à lui seul 10% des ventes réalisées par les 10 000 cavistes de France. Soit 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011 pour un bénéfice opérationnel de 13,6 millions ». Propriété du groupe Castel depuis 1988, on apprend que tout comme Leclerc, Nicolas a un père petit commerçant, Louis Nicolas, qui, « le premier, avait eu l’idée de vendre le vin en fûts à une époque où l’on se désaltérait surtout dans les tavernes ». C’était en 1822. L’enquête d’Emmanuelle Andreani commence à Thiais, siège de l’enseigne, dans le laboratoire où sont sélectionnés les vins : « Pour entrer chez Nicolas, il ne suffit pas d’être bien noté en goût. La maison est très attentive à la typicité du vin, c’est-à-dire au fait qu’il respecte son appellation. «Un bourgogne qui ressemble à du chinon, même s’il est excellent, ne sera pas retenu», explique le DG, Eudes Morgan. La mode des vins biodynamiques et sans soufre attendra : Nicolas privilégie les valeurs sûres ». Elle se poursuit avec la logistique « d’une impressionnante précision », et se termine dans les boutiques avec les techniques de vente des cavistes : « pour être embauchés, les apprentis cavistes n’ont nul besoin de connaître la différence entre un volnay et un gevrey-chambertin. Nicolas se fait fort de leur apprendre le b.a.ba de la bonne bibine en seulement un mois. Soit deux semaines de formation au siège et deux semaines en magasin pour s’initier aux cépages et appellations ». La phrase magique apprise au cours de cette formation ? « Oui, il est très bon ce vin, je l’ai bu hier soir avec ma femme ». Rien que du bon sens.
La campagne d'EspagneEt si Nicolas exportait son succès en Espagne ? Le blogueur Vincent Pousson qui vit un pied de l’autre côté des Pyrénées, rapporte dans son billet du 13 novembre la campagne que s’offrent, « avec l'aide de leur gouvernement et de la Communauté européenne, les producteurs de vin espagnols et leurs consejos reguladores, leurs syndicats d'appellation », la quelle a, selon lui, tout d’un SOS : « "Quien sabe beber, sabe vivir" clame le slogan, "qui sait boire, sait vivre". Un site Web vient d'être inauguré, pas plus sexy que ça, mais qui explique à un peuple qui l'a oublié que le vin est une part de sa culture, de son identité, qu'il a contribué à forger son histoire, son économie et ses paysages ». Vincent Pousson applaudit : « Il est agréable de voir des pouvoirs publics prendre conscience du rôle du vin dans la société, de son rôle positif, moteur. Bravo! ». Il tente, dans un langage peu châtié, une analyse assez fine du désamour des Espagnols pour le vin, « un comble dans le pays qui possède le plus vaste vignoble au monde » : « Comment en est-on arrivé là?, s’interroge Vincent Pousson. Sans tomber dans la sociologie de comptoir, je crois qu'il y a d'abord un phénomène historique. En devenant "riches", c'est-à-dire en intégrant l'Europe, les Espagnols ont voulu, consciemment ou pas, couper le lien avec leurs racines, se "décrasser les ongles" et donc tourner le dos à ce qui les connotait comme méditerranéens, latins. Le vin, c'était pour les pauvres, pour les gens du Sud. Les "riches", eux, on le voyait bien à la télé, il buvait du whisky, du gin, de la bière aussi, et ils roulaient dans des grosses voitures, ils étaient "modernes". Le reste n'a été qu'une longue suite d'erreurs. La communication du vin, son usage, sa production, même, a été accaparée par des bourgeois qui ont voulu en faire une sorte de Rotary où l'on se retrouve entre soi, dans des masterclasses, des meetings, des expériences où l'on s'emmerde à cent sous de l'heure, où l'on joue aux Anglais, à l'opposé de l'ambiance du bistrot français ou italien. Ce qui a encore brisé le lien, donnant l'image d'un produit distant, froid et cher. Il faut ici rappeler que la figure du petit vigneron, indépendant, doit être considérée outre-Pyrénées comme une exception; on compte huit fois moins d'exploitations en Espagne qu'en France, dix fois moins qu'en Italie ». A l’appui de son analyse, il cite un exemple, « pas plus vieux qu’hier » : « Ça se passe après un de ces nombreux évènements autour du vin que tentent d'organiser ici et là des courageux, dans tout l'Espagne. Là, c'est à Sabadell, dans la banlieue de Barcelone. Eh bien, savez-vous en quoi consistait un des temps forts de cet évènement? Comme souvent (presque toujours), une "masterclass de gin-tonic"! Présentée comme il se doit par un "sommelier ». Chacun appréciera.
Vins de l'ancien et du nouveau monde
Dans une boucle sans fin, le journaliste britannique Tim Atkin propose un time-break afin d’évaluer la situation. Vingt-deux ans après ses premiers articles sur le sujet, il s’interroge : « Quelles différences y a-t-il entre les vins du Nouveau et de l’Ancien monde ? ». Alors, rappelle-t-il, celles-ci étaient « nettes ». « Si les vins du Nouveau monde étaient fait à la cave, ils se faisaient dans l’ancien monde, à la vigne ». Il ajoute comme seconde grande différence : « Si les vins du Nouveau monde offraient un plaisir immédiat, ceux des régions plus classiques mettaient du temps à s’ouvrir et à livrer leurs arômes et saveurs ». Tel n’est plus le cas aujourd’hui relève Tim Atkin. « Vins du Nouveau et de l’Ancien monde se sont rapprochés. (…) L’élégance n’est plus seulement l’apanage de l’Ancien monde tandis que le fruit trouve sa place dans les austères et classiques vins européens, de Bordeaux par exemple ». Tim Atkin en arrive à la conclusion suivante : il conseille à ses lecteurs de concentrer leurs achats sur des vins australiens, chiliens, et néo-zélandais, « moins sujets à la spéculation ». On notera que son point de vue est un fidèle reflet du palmarès annuel du Wine Spectator. Le Top Ten des « meilleurs vins » du magazine américain est parfaitement international : trois Californiens, 2 Côtes-du-Rhône, 2 Bordeaux, 1 Brunello di Montalcino italien, 1 argentin de Mendoza. Voilà de quoi méditer.