etrouvez tous les mois sur Vitisphere.com, la Tribune de BEM-Bordeaux Management School autour d'une problématique professionnelle dans le vin et les spiritueux. Chaque tribune est rédigée par un professeur de l'équipe de recherche "Marché des Vins et des Spiritueux" de BEM. L'auteur de cette tribune consacrée "aux paradoxes apparents des vins bio" est Pierre Mora.
Elément de contexte : la réglementationLa récente évolution de la règlementation sur les vins biologiques remet sur le devant de la scène les paradoxes apparents de ce type de viticulture. Il y a en effet au moins un triple paradoxe à construire un modèle de développement qui a pour conséquence d'accroître les risques du viticulteur-entrepreneur. Pourtant tous les chiffres montrent aujourd'hui une progression de la viticulture biologique aussi bien dans la production (progression des surfaces en conversion) que dans les points de vente (progression dans les linéaires de la grande distribution, ouverture de cavistes spécialisés). Après avoir évoqué ces types de risques nous verrons, au travers d'une étude récemment menée auprès d'un groupe de viticulteurs bio, quels profils de viticulteurs répondent à ce triple défi.
Les risque de la production, du marché et d'opposition à la professionLe premier paradoxe tient bien évidemment aux risques liés à la production d'un vin bio : réduction drastique du traitement de la vigne et méthodes de vinification alternatives rendent, selon certains, plus probables divers aléas dans l'élaboration du produit. On sait les nombreuses résistances de la profession qui, loin de considérer les producteurs bio comme des innovateurs, voient au contraire dans leurs actions, des initiatives sans lendemain à l'heure où la mondialisation des marchés réclamerait une standardisation des productions et de leur mise en marché.
Le risque marché représente le deuxième paradoxe : dans un contexte de stagnation ou de réduction de la consommation française de vin, comment faire comprendre et accepter au consommateur, que le prix d'un vin bio – à positionnement égal – sera assez souvent plus élevé que celui de ses concurrents ? On sait en effet que la plupart des produits offerts aux consommateurs devront, pendant de nombreuses années à venir, tenir compte d'une baisse notable de son pouvoir d'achat, notamment parmi les classes moyennes qui sont au cœur du marché des vins français.
Enfin, entreprendre dans la viticulture biologique c'est aller à l'encontre d'une profession fortement structurée autour de puissantes interprofessions qui, à ce jour, n'ont pas toujours montré une réelle motivation pour promouvoir ce type de viticulture. Les observateurs auront au contraire pu observer de nombreux conflits qui ont animé plusieurs régions viticoles françaises.
Typologie des entrepreneurs du vin bioPourtant, les chiffres sont têtus et la motivation à entreprendre dans le bio ne se dément pas selon les tendances à la hausse que tout le monde s'accorde à constater. Les théories sur la motivation à entreprendre nous aident à mieux comprendre les raisons d'une telle évolution. Une récente étude, présentée lors du dernier congrès de l'American Association of Wine Economists (Auteurs : Mora, Bey et Akhter) qui s'est tenue à Princeton en juin 2012, nous éclaire sur ce point. On y apprend que quatre profils caractérisent généralement les "green entrepreneurs" :
1. Des entrepreneurs qui voient dans les productions "vertes" de réelles opportunités commerciales, face à un segment de marché ayant un certain pouvoir d'achat.
2. Des entrepreneurs qui souhaitent, par leurs actes de production, témoigner et militer en faveur d'orientations qu'ils estiment être l'avenir de leur filière et nécesaires aux équilibres planétaires.
3. Des entrepreneurs qui développent ce modèle économique avant tout pour une cohérence de vie personnelle et professionnelle, sans désir marqué de prosélytisme.
4. Des entrepreneurs qui se sont tournés vers le bio "un peu par hasard", notamment par la rencontre d'acteurs déjà engagés dans une telle démarche.
En appliquant cette typologie à un groupe de viticulteurs provenant de l'ensemble des régions de production françaises, l'étude révèle que le type 3 (cohérence du projet avec des valeurs personnelles) prédomine pour ce qui concerne les vins bio.
Ceci rejoint les tendances en matière de consommation : désir de se porter sur des produits sains et réduction du pouvoir d'achat concourent en effet à rechercher cette "sobriété heureuse" qui s'affirme de jour en jour comme une réalité incontournable des marchés.