a société Richard distribue chaque année 30 millions de cols de vin (y compris des Bag in box) dans les cafés, hôtels et restaurants de la région parisienne, pour un chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros. Pour arriver à ces résultats, elle a déployé une stratégie très aboutie qui va depuis la sélection et même la production de vins (sur 600 hectares en propriété) jusqu'à la fourniture de verres à ses clients, en passant par toute la logistique.
Au cœur de cette chaîne se trouve également une activité de conseil qui a pour but l'amélioration des ventes de vin dans les établissements. Voulue par la présidente du groupe, Corinne Richard-Saier, cette stratégie est en particulier orchestrée par l'oenologue conseil et journaliste du vin Myriam Huet. Un conseil qui va de la formation à l'éclairage sur les gammes de prix, et qui consiste également à accompagner les grandes tendances de consommation, en ce moment le vin au verre, le vin rosé, et les bouteilles à petits prix.
Du conseil jusqu'à la logistiqueL'oenologue Myriam Huet, aidée parfois de sommeliers comme Nicolas Rebut, ancien responsable du vin de l'hôtel Meurice, aide les restaurateurs clients à constituer leurs cartes des vins. Ce travail se fait à l'Annexe, une cave créée par le groupe dans le 7ème arrondissement de Paris, où des espaces sont réservés à la dégustation. Ce conseil a pour objectif de proposer « des vins bien complémentaires », mais aussi d'inciter les restaurateurs à inclure dans leurs cartes des vins qui ont « du caractère », des petites productions intéressantes comme la cuvée Trinch, un Bourgueil bio de Catherine et Pierre Breton, pour générer un réel attrait dans la tête du client final, le tout à des prix bien pensés. Le résultat est un chiffre d'affaires du vin qui progresse assez vite d'au moins 20%, voire plus dans des catégories de restauration assez éloignées de la culture du vin, par exemple les restaurants indiens, « où ça augmente facilement de 40% ».
Les établissements sont ensuite approvisionnés par les véhicule du groupe, à partir de l'entrepôt de Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine. Le système présente de multiples intérêts pour le restaurateur, qui, à la différence d'une livraison en direct par le vigneron par 60 ou 120 bouteilles, n'est pas obligé de commander en quantités importantes : « il va prendre aujourd'hui 12 bouteilles du Roches Neuves de Thierry Germain, 12 bouteilles du chenin de Mabileau, 6 bouteilles d'Alsace grand cru de Zinck, etc., le volume dont il a besoin pour la semaine, et s'il est bon, il a vendu ses vins avant de les payer ! », explique Myriam Huet. La livraison est d'autre part assez rapide, le lendemain ou le surlendemain de la commande ; elle se fait en petits camions maniables dans une agglomération parisienne où la circulation est parfois difficile ; enfin, les chauffeurs connaissent bien leurs clients, savent aussi où se garer à proximité. Les établissements sont d'autre part visités par une cinquantaine de commerciaux qui ont pour rôle de faire connaître les dernières promotions, mais aussi les vins nouvellement entrés dans la gamme, dont ils savent parler pour les avoir dégustés en compagnie de Myriam Huet.
Un rôle important de formation des serveursL'oenologue dispense aussi des formations au personnel des restaurants, qui sont financées par le FAFIH, le fonds de formation professionnelle du secteur hôtelier. Ces formations sont très utiles pour les restaurateurs, qui, rappelle Myriam Huet, « gagnent plus en mettant une bouteille sur la table qu'avec une entrecôte dans un menu du jour à 12 euros ! ». Pourtant, malgré l'important supplément de marge que le vin procure aux restaurateurs, le savoir sur le vin a du mal à diffuser dans le personnel, soit parce que dernier ne compte pas de sommelier, ou soit parce que le sommelier « veut rester le connaisseur dans le restaurant, garder son savoir », et ne le transmet pas aux serveurs. Une attitude déplorable alors même que ces derniers recevraient aujourd'hui, selon de nombreux témoignages, des formations au vin beaucoup trop succinctes dans les écoles hôtelières, malgré les dénégations récentes du ministère de l'éducation (pour en savoir plus, cliquer ici).
Dans ce contexte, la formation dispensée par Myriam Huet consiste à expliquer le vin, et à décomplexer les serveurs à son égard. La première partie est consacrée à la base de la connaissance générale (élaboration, étiquette, législation), la deuxième à une initiation à la dégustation, qui donne les clés de la compréhension des demandes des clients : « les gens disent, je voudrais un vin léger, ou un vin costaud, les légers c'est quoi ? Ceux qui n'ont pas de tannins, qui sont frais, qu'on peut servir un peu frais, qui sont plutôt dans les fruits ; les vins tanniques sont ceux qui râpent un petit peu sur la langue, qui sont plutôt sur des viandes...A chaque fois, sur leur carte des vins, je leur demande : à votre avis, c'est lesquels les légers ? Ah ben, le Brouilly, c'est léger ! Très bien. Saint Nicolas de Bourgueil, ben oui, c'est vrai que c'est léger aussi, Bordeaux, ah non, ça c'est plus structuré... »
Ces formations ne sont malheureusement pour l'heure pas très demandées, « parce que les restaurants ont beaucoup de formations sur la caisse, sur l'hygiène, ils ont d'autres priorités ». C'est pourquoi Myriam Huet prend aussi du temps pour aller faire du « service après-vente » dans les restaurants : elle réunit les serveurs entre les services, pendant une heure et demie, et leur fait goûter les nouveaux vins de la carte, pour qu'ils en parlent entre eux et avec elle ; le meilleur moyen pour qu'ils puissent ensuite savoir en parler à leurs clients !
Un coefficient raisonnable pour vendre plus de vinMyriam Huet joue aussi un rôle de conseil sur l'épineuse question du prix de vente du vin au restaurant. Son maître mot, c'est l'incitation à « des marges raisonnables, sinon le vin ne se vend pas. » Pour elle, un coefficient raisonnable c'est « 3 à 3,5, mais beaucoup de gens sont à 4-4,5, et j'ai vu des endroits qui font 6 de coeff ! ». Ces coefficients exorbitants se rencontrent en particulier sur les premiers prix, parce que les restaurateurs pensent souvent qu'il y a des seuils psychologiques de prix en dessous desquels le vin ne doit pas être vendu, souvent 15 euros. La réaction de Myriam Huet dans ce cas est de dire « si vous voulez que le premier prix soit 15 euros, prenez une bouteille en conséquence, comme ça les clients auront du plaisir pour 15 euros ! ». Une réaction de bon sens, qui consiste simplement à rappeler que le prix doit être en adéquation avec la qualité...
Mais les bons exemples existent heureusement aussi, et leur réussite démontre l'intelligence de leur démarche. L'oenologue cite l'exemple d'une brasserie d'un quartier très touristique de Paris, l'île de la Cité, qui pratique des coefficients inférieurs à 3,5, et met par exemple à sa carte un Saint Joseph des Vins de Vienne à 18 euros pour un pot de 50 cl, une quantité idéale pour deux personnes qui mangent une bonne viande lors d'un repas de midi.
Le vin au verre, une tendance exigeanteLa société Richard est engagée depuis longtemps dans le développement du vin au verre, puisqu' en 2003 elle a par exemple acquis 80 000 verres à vin, qu'elle a distribué gratuitement à ses clients. Le but de Corinne Richard Saier est que les établissements, en particulier dans les quartiers d'affaires, « proposent six à huit verres de vins différents le midi ». La tendance est bien enclenchée, puisque selon FranceAgriMer, 87 % des restaurants français vendent aujourd'hui des vins au verre. Cependant, dans les faits, plusieurs questions se posent : combien de vins mettre au verre, pour quelle centilisation et à quel prix ?
-La gamme : comme le dit Myriam Huet, « on ne peut pas mettre tous les vins au verre, ou alors il faut vraiment que ça tourne. Vous avez une petite salle, pas beaucoup de gens ? Mettez 5 vins au verre maximum. » Elle conseille également l'utilisation du système de conservation sous azote : « L'Enomatic, ça coûte 1000 euros du bec, ce n'est pas pour tout le monde, mais sur 4 becs, pour des vins haut de gamme, et dans certains restaurants, ça marche, comme au Café de la Jatte sur l'île de la Jatte à Neuilly, qui propose des vins au verre à 12 euros. Quand je sais que mon vin est là-dedans, je vais oser prendre un vin plus cher ! Sinon je n'ai pas envie de mettre plus de 4 euros sur un verre de vin quand j'ai peur qu'il soit oxydé. »
-La centilisation : si les plus petites (3 cl) sont réservées à des lieux très spécifiques (par exemple le bar à vins Wine by One à Paris 1er, qui permet de goûter cent vins différents conservés sous Oenomatic), certains restaurants et bars consacrés au vin proposent des doses de découverte à 7 cl ; c'est le cas du 110 Taillevent, l'annexe bistronomique du restaurant étoilé, qui vend cent dix vins au verre. La taille de 12 cl est très commune, elle sied à la fois à des endroits spécialisés dans le vin, comme les bars à vins, parce que les gens vont vouloir prendre plusieurs verres pour découvrir des vins variés, mais aussi pour des brasseries où les gens veulent ne boire qu'une quantité très modérée au déjeuner. Des établissements qui ont une clientèle plus jeune, ou qui sont un peu plus haut de gamme, vont s'orienter vers les 14 ou 15 cl. Et le soir, un moment où les gens boivent un peu plus, il n'est pas rare de trouver des 18 cl, une centilisation proposée également par la chaîne de restaurants à viande Hippopotamus à côté de la dose traditionnelle de 12 cl.
Mais la centilisation fixée doit impérativement être respectée, elle est d'ailleurs contrôlée activement aujourd'hui par les services de répression des fraudes. A juste titre : un verre vendu pour 15 cl mais servi à 12 cl correspond à un manque de 20% en volume et une augmentation du prix du vin de 25% ! C'est la raison pour laquelle Richard fournit aujourd'hui à ses clients des verres qui indiquent systématiquement la centilisation. Comme le dit Myriam Huet, le vin au verre est un excellent système, mais « il faut que ce soit pro !»
-Le prix : en toute logique il devrait être le résultat de la division du prix de la bouteille à la carte par la quantité de verres rendue possible par la centilisation : 4 verres pour 18 cl, 5 verres pour 15 cl, 6 verres pour 12cl, etc. Dans les faits, on constate qu'il y a deux tendances. D'une part, la tranche des 3 à 5 euros, qui est plutôt celle des bars à vins ; d'autre part, celle des 7 à 10 euros, qu'on trouve plutôt dans les restaurants. Cette situation est parfois justifiée par les centilisations évoquées précédemment (entre 12 et 18 cl, il y a 50% de vin en plus, donc 50% de prix !) mais elle amène dans certains cas à s'interroger sur la qualité des verres servis à ces prix. Des abus trop nombreux pourraient être de nature à casser la belle dynamique actuelle du vin au verre, qui est pourtant la meilleure chose qui soit arrivée au vin au restaurant depuis bien longtemps... C'est ce que déplore Corinne Richard-Saier, qui constate qu' « il n'y a pas assez de restaurants qui vendent des verres à 3 euros. Ils peuvent le faire, surtout quand le vin est acheté en Bag in box, avec un coût matière inférieur, et ils en vendraient plus ! Mais certains proposent aussi des carafes, qui viennent en concurrence avec le vin au verre. »
Plus de saison pour le rosé !Comme les vignerons, les distributeurs ont constaté la « désaisonnalisation » de la consommation de rosé : «maintenant, dès février-mars on passe au rosé », décrit Corinne Richard Saier ; « en cinq ans, les ventes de rosé à cette période ont été multipliées par deux ». En conséquence, les cartes des brasseries les plus courantes, qui antérieurement comptaient un ou deux rosés pendant l'hiver, en général un Côtes de Provence et un Tavel, en présentent maintenant au moins trois, et passent à six références en été. En pourcentage, comme dans les ventes en grande distribution, la consommation de rosé est passée devant le blanc (à 27% contre 23%). Corinne Richard Saier explique le phénomène en partie par le fait que généralement « le rouge est servi trop chaud ». Mais c'est aussi la couleur pâle du vin qui continue à être recherchée.
Comme les ventes augmentent fortement, mais sur un nombre de références encore bien inférieur à celui des vins rouges, la rotation de chaque ligne de rosé de la carte est d'autant plus importante, à tel point qu'en 2011, explique Myriam Huet, « il a fallu gérer les ruptures, sur le Pétale de rose ou sur le Château Minuty, qui ont explosé ». Une situation propice à l'émergence de nouvelles références, en particulier parce que les prix des vins rosés restent cantonnés entre 15 et 25 euros, incitant les restaurateurs à chercher les bons rapports qualité-prix. C'est la chance des IGP comme les Sables de Camargue, l'île de Beauté, ou encore l'IGP Méditerrannée. Mais un marketing bien pensé permet même de vendre des appellations un peu délaissées aujourd'hui, comme le fait Richard avec le Beaujolais rosé de son château de Corcelles, dénommé « Rosé d'une nuit », ou avec le Bordeaux rosé de son château Gantonnet, qui, malgré sa couleur profonde de vin issu de merlot, et non pas de cinsault comme en Provence, bénéficie de la bonne réputation des rouges et blancs de la propriété.
A la recherche des petits prix, hors vins de cépagesSelon Corinne Richard Saier, « le consommateur est beaucoup plus curieux qu'avant, à partir du moment où son porte-monnaie s'en porte bien ! ». Le distributeur doit donc proposer des bouteilles à petits prix qui incitent à la découverte. Un petit prix, « c'est moins de 3,5 euros hors taxes à l'achat », ce qui de son expérience « devient de plus en plus difficile à trouver quand on est restaurateur et qu'on veut sortir des vins de cépage ». Richard propose alors des appellations peu présentes sur les cartes, comme le Roussillon « même si on est plus vers 4 euros », ou encore la nouvelle appellation Côteaux Bourguignons, qui permet d'assembler du gamay du Beaujolais avec du pinot noir bourguignon.
C'est également la chance des IGP comme les Côtes de Gascogne, y compris en rosé, ou de l'IGP Sables de Camargue, par exemple le Petit Chaumont, un rosé multi-médaillé, vendu à 3,4 euros hors taxes. On trouve encore dans cette catégorie des vins espagnols, comme les blancs bien secs de cépage verdejo de l'appellation Rueda. Des vins sur lesquels les restaurateurs, selon Corinne Richard Saier, devraient ne pas prendre plus de 10 euros de marge, et qu'on devrait retrouver sur les cartes des restaurants à 12 euros plutôt qu'à 20...