rédéric André est directeur général de la Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural du Languedoc Roussillon (SAFER LR) depuis la fin avril 2012. Il a succédé à Jean-Philippe Tronche, qui était en poste depuis 1992 (pour en savoir plus, cliquer ici). Le gardois Frédéric André n’avait pas de lien particulier avec le foncier ou l’agriculture. Géographe de formation, son parcours professionnel l’a mené à se pencher sur le développement économique de la Côte d’Azur et à la co-direction de l’Agence De l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il a été désigné directeur général en avril dernier par le conseil d'administration de la SAFER LR, sur proposition du président Dominique Granier.
La SAFER LR est le premier et plus important opérateur de foncier viticole de la région Languedoc Roussillon. En 2011, la SAFER LR a vendu 1 268 hectares de vignes, ce qui représente 17 millions d’euros. La SAFER LR s’était ainsi chargée de 25,7 % des surfaces viticoles vendues dans la région, pour 29,3 % de la valeur des transactions régionales.
Pourriez-vous nous présenter ce qui différencie une SAFER d'une agence immobilière ?Frédéric André : Avant toute chose, une SAFER est une société anonyme sans but lucratif. Nos actionnaires ont en effet la particularité de ne pas attendre de retour de dividendes, mais des effets positifs sur le territoire. De plus, une SAFER se définit par une dualité : d’une part nous remplissons des missions d’intérêt général, mais de l'autre nous ne le faisons pas peser sur le contribuable. Notre financement ne repose pas sur des fonds publics, mais sur les activités foncières que nous réalisons. Nous touchons en effet une marge de rétrocession sur chaque transaction menée à bien. Le modèle économique des SAFER est original, mais également fragile.
Je retrouve dans ma fonction un prolongement de mon parcours professionnel antérieur. Il y en effet a une exigence de résultats comme pour une société privée (NDLR : les SAFER sont sous la tutelle du Ministère de l'Agriculture), mais nous réalisons des missions d'intérêt public. Les SAFER participent activement à la préservation, la structuration et la valorisation du foncier agricole.
Quelles sont les particularités du vignoble languedocien ?Dernièrement, l’enjeu du vignoble languedocien était bien entendu la conduite de sa restructuration, notamment par la politique d’arrachage et de reconversion. Mais avec plus de recul, il apparaît que la spécificité du foncier en Languedoc Roussillon est son émiettement, typique du bassin méditerranéen. L'éclatement du parcellaire est très important : les parcelles ont une surface moyenne de 50 ares dans la région. De plus, 70 % des domaines sont opérés par des propriétaires, les 30 % restants sont en fermage. Au niveau national c’est l’inverse, le fermage est la première modalité de culture représentant 70 % des exploitations agricoles.
La structure viticole foncière n’est pas facile en Languedoc Roussillon. De nombreuses problématiques y sont accentuées, comme l’accès à l’irrigation. De nouvelles surfaces seront mises en eau par le biais du projet Aqua Domitia, mais nous travaillons également avec la compagnie BRL sur l'optimisation de l’utilisation des réseaux actuels.
Quel portrait faîtes-vous du foncier languedocien ?Les cas sont très variés actuellement... Pour les appellations de renom, les prix sont devenus significatifs. En Pic Saint-Loup, à Picpoul de Pinet ou dans la partie rhodanienne du Gard on trouve des propriétés vendues de 20 à 40 000 euros ou plus l’hectare. Bien sûr cela reste modeste par rapport aux prix de Châteauneuf-du-Pape, qui est à proximité, ou des prix bordelais. Mais c’est déjà une amélioration manifeste. Les marchés des vignes à Narbonne, dans le Minervois sont globalement plus faibles, avec des perspectives difficiles.
En ce qui concerne les vins d'Indications Géographiques Protégées, la situation est bien plus contrastée. Elle dépend nettement de la conjoncture. En juin, les caves du Languedoc Rousillon stockaient encore dans leurs caves 70 % des volumes produits l’an passé, ce qui déstabilise le marché.
Quelles sont les tendances émergentes de ce marché viticole ?Depuis quelques années, la SAFER LR constate l'émergence soutenue d’une demande pour des domaines viticoles associant un vignoble et un bâti de caractère (les fameux châteaux pinardiers ou « folies » du XIXème siècle). Les problématiques que nous posent ces clients sont très différentes de celles des clients parcellaires habituels. Ces nouveaux investisseurs nous ont poussé à créer au sein de l’entreprise un réseau de chargés d’affaires spécialisés. Un service « Grands Domaines » a été spécialement créé à la SAFER LR pour répondre à ce besoin. Ces dossiers nécessitent en effet des connaissances pointues au niveau fiscal, patrimonial... Ces investisseurs croient de plus en l’oenotourisme, autre tendance de fond du vignoble. Ils développent ces services d'accueil aux vignobles et valorisent le patrimoine viticole. Ils jouent souvent la carte du réceptif très haut de gamme pour une clientèle à haute valeur ajoutée.
Parmi les autres tendances majeures, je perçois également le poids grandissant des préoccupations environnementales : développement de l’agriculture périurbaine, des circuits courts, qualité de l’eau qui nous conduit en partenariat avec l'Agence de l'Eau à protéger les périmètres de captage, compensations environnementales… Je note également le développement des exploitations conduites avec des modes de cultures alternatives : bio, biodynamie...
La SAFER s'intéresse également à l'installation de jeunes viticulteurs.En effet, la question de la pérennité des exploitations est primordiale en Languedoc Roussillon. Aujourd’hui, le tiers des viticulteurs de la région a plus de 55 ans. La problématique de la transimission est essentielle. Il importe dans ce contexte pour tous les acteurs de la profession agricole de détecter et accompagner l’exploitant qui est en situation de transmettre son domaine et n'a pas de succession. Concernant la SAFER LR, notre coeur de métier est de faire la transition entre l'acheteur et le vendeur d'un bien viticole, tout en favorisant le renouvellement des générations par l’installation des jeunes agriculteurs. En 2011, c’est ainsi le tiers de notre activité la SAFER LR en surface qui s’est réalisée au profit de cette cible privilégiée.
Mais pour l’installation d’un jeune, le premier verrou n’est pas le foncier viticole. C’est la rentabilité économique de l’exploitation qui freine les projets. Il faut rappeler que le foncier est avant tout un support aux activités économiques. Même si l’évolution du cours des vins languedociens est globalement positive, les effets du marché du vin ont des impacts forts, comme on l’a vu précédemment. Actuellement les importants retards de retiraison ne jouent clairement pas en faveur d’une dynamique d’installations.
Quels sont les enjeux que la SAFER LR suit avec attention ?La région Languedoc Roussillon connaît un retard structurel important, son Produit Intérieur Brut est inférieur à la moyenne des régions européennes. Pour rattraper ce retard de développement, la région met en place de nombreux projets d'infrastructures. Il y a ainsi des projets de Lignes Grandes Vitesses (LGV) entre Perpignan et Montpellier, ainsi qu'un contournement Montpellier-Nîmes. Ces projets ont bien entendu un fort impact sur le foncier agricole. Ils nécessitent donc l'implication en amont et en aval de la SAFER LR. En effet, pour le seul projet Nîmes-Montpellier, il faut trouver 2 000 hectares de compensations environnementales. Depuis le Grenelle de l’Environnement, tout ouvrage d’art majeur doit en effet proposer une compensation de l’impact environnemental de ses chantiers.
Un autre phénomène inquiétant est l’artificialisation croissante des terres agricoles. Le solde démographique de la région est de 30 000 habitants par an. Et on estime que pour 4 actifs citadins il faut compter 1 hectare de foncier... Le grignotage qui en découle menace des terres agricoles de bonne qualité, il s'agit rarement de garrigues ! La mission de la SAFER LR est d'encadrer ces mouvements de foncier, quitte à réaliser parfois du stockage de foncier à la demande des collectivités.