La Turquie : prochain grand pays producteur de vin en Méditerranée ?

u 18 au 22 juin, la ville d’Izmir, sur la cote Egéenne Turque, a reçue le 35ième Congrès Mondial de la Vigne et du Vin –OIV-.

La Turquie est un grand pays producteur de raisin…de table ! Elle est le 4ème producteur mondial de raisin mais seulement le 36ème producteur de vin car seulement 3% de la production nationale de raisin est vinifiée pour produire 90 millions de bouteilles par an.

Le Congrès de l’OIV aura permis de faire le point sur l’état du secteur en Turquie, qui présente un dynamisme rare en cette période de crise économique mondiale.

 

Ce dynamisme est issu de plusieurs facteurs :

La Turquie est un des berceaux historique du vin. Elle possède ainsi à Théos, dans la région d’Izmir, le plus grand temple dédié à Dionysos. Son industrie du vin est ancienne : les 3 grandes maisons Kavaklidere, Doluca et Kayra- ont été crées il y a 80 ans.

Cette industrie du vin se structure autour d’une dizaine de grands domaines qui produisent chacun entre 500 000 et 5 millions de bouteilles et qui ont récemment réalisé des investissements conséquents pour hisser la qualité des vins à un standard mondial de vinification. Ces entreprises ont aussi développé des politiques marketing en créant des gammes cohérentes, de vins de collection à 30€ prix public jusqu’aux vins de supermarché à 5€,

Ces domaines ont des vignes en propre, mais ils se fournissent aussi en raisin dans l’ensemble du pays auprès de viticulteurs qui s’ajustent à la demande du marché,

La Turquie possède une collection de cépage de cuve de grande qualité, tant en rouge – Bogazkere, Okuzgozu et Kalecik Karasi- qu’en blanc –Naringe, Emir, Sultanie, Bornova Misket- qui produisent des vins de grande qualité et de garde, sur des terroirs et des climats très diversifiés,

Créer son domaine devient à la mode : les grands notables et nouvelles fortunes du pays implantent des « boutiques wineries », avec le concours d’œnologues reconnus –Jean-Luc Colin, Antoine Bastide d’Izard, Stéphane Derenoncourt, et bientôt Michel Rolland chez Suvla, -un domaine dans les Dardanelles- ; le plus souvent dans une démarche très « Bordelaise » de travail sur les cépages internationaux – Cabernet-Merlot-Chardonnay- et avec des élevages sous bois,

En plus de ces domaines «de luxe», il existe à travers le pays, notamment en Thrace à l’est d’Istanbul et en mer Egée, une poignée de vignerons –Arcadia (conseillé en viticulture par Alain Carbonneau), Corvus, Urlice, Cankara, qui réalisent des vins de belle facture et qui vont encore progresser,

Le marché local est porteur avec des marges confortables réalisées dans un marché protégé par une taxation importante des vins étrangers. Dans les grandes villes la consommation de vin est en progression et l’accroissement du tourisme permet d’écouler les produits auprès des CHR (environ 60% des vins de qualité)

Bien que le gouvernement soit très prudent avec le vin, rappelons que la Turquie est un pays laïque à dominante religieuse musulmane dirigé par un gouvernement conservateur, l’activité vitivinicole est soutenue par les autorités : c’est ainsi que le gouvernement apporte 2 millions d’euros par an à l’association « Wines of Turkey » qui assure la promotion des grands domaines à l’international.

Enfin, en terme de communication, depuis 5 ans des Masters of Wine, Jancis Robinson en tête, ont souligné les efforts des domaines viticoles Turcs, qui recevront en novembre 2012 à Izmir le EWBC, le plus grand congrès mondial de bloggeurs.

 

Voilà pour les points positifs. Il reste cependant de gros efforts à faire pour hisser la qualité globale des vins et à « singulariser » les vins Turques à l’image de la réussite de ceux de l’Argentine ou de la Nouvelle-Zélande.

 

Au moins cinq axes de progrès sont visibles :

Dans le domaine de la formation : seuls trois Turcs travaillent dans le pays avec un diplôme équivalent à un DNO et les domaines ont du mal à convaincre leurs fournisseurs/partenaires que les raisins de table ne se travaillent pas comme les raisins de cuve,

Dans le travail sur les variétés locales : les dégustations des domaines réalisées lors du congrès de l’OIV n’ont pas totalement convaincues sur la capacité des vignerons à exprimer le meilleur de ces cépages et de leur terroir. En outre les démarches bio, voire la biodynamie, sont quasi inexistantes,

Dans la définition de zones d’appellation afin de qualifier les meilleurs sols et de réglementer les rendements et les pratiques,

En direction des outils de vente et de promotion : il y a peu ou pas de bar à vin ou de cavistes dans les grandes villes, le niveau de conseil au consommateurs très faible, et les grandes marques ont des marchés d’exclusivité dans les restaurants ce qui restreint l’offre aux clients,

Enfin sur les capacités d’export : compte tenu de leur qualité perfectible, les vins Turcs sont trop chers et donc peu performants dans la compétition internationale, malgré les efforts de quelques domaines qui investissent les grandes foires et les marchés les plus réceptifs -UK, Allemagne, Belgique, Chine-

 

Reste que, compte tenu de sa croissance économique, de son « sens du commerce et de l’accueil» et de la vigueur de son marché local, la Turquie est un formidable pays d’opportunité pour la viticulture et pour des investisseurs ou des « pionniers ». Après les œnologues français, place aux vignerons qui voudront s’investir dans ce nouveau jardin méditerranéen…