e réseau de vignerons en agriculture durable Terra Vitis, qui va fêter l’année prochaine ses 15 ans, cherche depuis l’origine à installer son label, au cahier des charges très élaboré, dans le paysage du vin français ainsi que sur les marchés internationaux. Sandrine Delobel, animatrice pour le Val de Loire, et Eric Vincent, vigneron (associé du Domaine de la Foliette, GAEC de 40 ha en Muscadet Sèvres et Maine, issu du regroupement de trois exploitations en 1996), nous expliquent à la fois l’état de la démarche aujourd’hui, son positionnement entre raisonné et bio, ses justifications, et les objectifs de conquête de notoriété qui sont visés.
Quel est aujourd'hui le périmètre de Terra Vitis ?Sandrine Delobel : Au niveau national, ce sont environ 400 vignerons dans quatre associations, représentant une surface d’environ 12 000 ha. Pour la Vallée de la Loire, de Nantes à Sancerre, il y a 110 vignerons, plus deux caves coopératives et quelques négociants : ils achètent à des vignerons qui sont Terra Vitis, mais ce n’est pas toute leur gamme. Cependant pour aller jusqu’au bout de la chaîne, toute personne qui appose le logo Terra Vitis sur ses bouteilles a été contrôlée et labellisée par l’association. Les deux coopératives sont celles de Montlouis et celle du Vendômois. A Montlouis, l’ensemble des adhérents sont Terra Vitis, donc tous les vins le sont. A la cave du Vendômois, seul un domaine l’est, la cave trace ses cuvées. Les négociants sont Lacheteau, Castel, P.Bourré et VBBL (Vignobles et boissons du bord de Loire).
Monsieur Vincent, pourquoi avez-vous intégré le réseau ?Eric Vincent : On y est entrés dès le début, je faisais partie du bureau local du Muscadet vers 1999-2000. Depuis longtemps, on pratiquait l’agriculture raisonnée, on se posait beaucoup de questions : comment limiter les phytos, les intrants, prendre un petit peu plus en compte le végétal et l’observation. On faisait déjà ça depuis une dizaine d’années, et quand il y a eu le projet Terra Vitis en Beaujolais, ça nous a intéressé. On a créé le cahier des charges, qui nous a permis de mettre en valeur ce qu’on faisait, d’arrêter de travailler sans validation ni reconnaissance, d’ apporter à nos clients quelque chose de solide. C’est facile de dire qu’on veut de l’agriculture raisonnée ou du durable, mais là avec le contrôle externe, on peut le mettre en avant. Le fait qu’on l’ait fait en Muscadet en même temps que dans le Beaujolais, c’est peut-être parce qu’on était deux vignobles en crise, et c’est souvent dans ceux-ci qu’on trouve le plus de dynamisme pour se sortir du marasme, en se distinguant, et surtout en valorisant ce qu’on fait.
Quelle est aujourd'hui la dynamique nationale du réseau ?SD : En 2004-2006, il y avait 600 adhérents, puis la création de la qualification agriculture raisonnée nous a fait redescendre en dessous de 400. On est en train de remonter, mais l’important c’est que la gamme s’élargit au point de vue de la couverture du territoire français, pour que les importateurs puissent acheter des vins Terra Vitis de n’importe quelles AOC ou vins de pays. En Val de Loire, les vignobles du centre, Sancerre, Pouilly, n’y étaient pas, ils entrent cette année. Tout ce qui était la Gironde, mais aussi la zone Rhône-Méditerrannée, il y avait à peu près toutes les appellations représentées, sauf la Savoie qui rentre aussi cette année. Les champenois viennent de rejoindre le réseau. Il manque encore l’Alsace, mais on a des demandes, ainsi qu’à Cahors … Donc on est quand même dans une dynamique montante en nombre d’adhérents, et en notoriété de la marque, en particulier sur les marchés export.
Que faites-vous pour améliorer cette notoriété ?SD : A l’export, la notoriété commence à croître parce que les importateurs en particulier dans les pays scandinaves et au Canada, veulent avoir un label respectueux de l’environnement, et qui est certifié. On a fait une opération avec UbiFrance en Suède en 2011 : les gens du monopole avaient entendu parler de la démarche, et ils sont venus vers nous pour qu’on la leur présente. C’est ce qu’on fait, et ensuite il y a eu un un appel d’offres de quatre vins Terra Vitis sur des cépages. Mais nous allons aussi commencer un très gros chantier pour nous faire accompagner en communication, parce qu’on est des techniciens et des vignerons, on n’a pas forcément l’habitude de ça ! On va mettre toute la marque à plat, il va y avoir un gros travail sur l’argumentaire, et des actions envers différents publics, qui commenceront en 2013. On a des moyens limités, il n’y a aucune subvention directe dans le budget, donc on ne veut pas partir dans tous les sens. On va plutôt faire des actions ciblées en fonction des vignerons, qui sont propriétaires de leur marque, c’est donc eux qui choisissent les actions qu’ils mènent.
Monsieur Vincent, en termes de valorisation financière, est-ce que le label vous fait gagner un supplément sur le prix de vos bouteilles ?EV : Non, mais ça permet plutôt de conforter les clients qui vont peut-être nous choisir un petit peu plus parce qu’on est dans cette démarche. Entre autres dans les pays nordiques, les gens sont plus sensibles à ça, s’ils ont le choix entre deux systèmes de production, du conventionnel ou du Terra Vitis, ils vont plutôt aller sur du Terra Vitis pour des vins au même prix.
Comment vivez-vous votre positionnement, entre raisonné et bio ?SD : Comme le disent les viticulteurs, c’est une troisième voie, un troisième choix, ils raisonnent leurs pratiques, ils veulent être reconnus pour le travail qu’ils font, ils sont ni bio ni autre, ils sont Terra Vitis, et le cahier des charges leur convient comme ça. Ils se disent plus « durable » que « raisonné », parce que raisonné, c’est surtout le phyto. Là il y a une approche globale de l’exploitation, le Terra Vitis c’est du raisin à la bouteille, avec aussi une traçabilité en cave.
EV : On se pose toujours la question du passage en bio, mais pour le moment on se complaît là-dedans parce que ça nous permet d’avoir une structure qui est viable, qui subit moins les aléas climatiques que dans le bio. Mais on se pose aussi la question. On va ariver à des périodes où on ne va plus être très très loin, c’est un cap à passer, mais est-ce qu’on en a envie ? Pour le moment non, on est vraiment dans un mode de production qui nous plaît, parce que le cahier des charges évolue tous les ans. On se pose des questions au niveau technique, on avance.
Par rapport à quelqu'un qui est en conventionnel, vous êtes à combien de traitements ?EV : En gros l’année dernière on était aux alentours de deux ou trois traitements, alors qu’un conventionnel serait peut-être à cinq. Mais il n’y a pas que les quantités, ce ne sont pas non plus toujours les mêmes molécules qui sont utilisées, on peut avoir des molécules qui sont beaucoup plus soft, qui vont être assez respectueuses de l’environnement, alors que dans l’autre cas on va seulement se poser la question de l’efficacité sur le parasite. Tandis que nous nous posons aussi la question de tout ce qu’il y a autour : vous allez éradiquer le problème, mais tellement bien que vous allez supprimer par exemple tous les prédateurs qui sont là pour un autre parasite, et quelques temps après vous allez voir un autre ravageur prendre sa place, parce que la nature n’aime pas le vide. Quand il y a de la place, il y a toujours quelqu’un qui s’installe !
Rappelez-nous les principes de sélection des produits dans le cahier des charges Terra Vitis ?EV : On cherche les produits qui ont un bon spectre environnemental : une bonne action sur le parasite qu’on recherche, mais qui à côté soient respectueux de l’environnement. Donc qui ne vont pas non plus être facteur de pollution, qui ne vont pas détruire des prédateurs en place, qui vont cibler le parasite et pas un peu tout et n’importe quoi ! Ensuite on se pose la question de comment l’appliquer (sur les feuilles, sur les grappes), mais aussi du bon moment de l’application : y a t il des stades plus intéressants que d’autres, est-ce qu’il ne faut pas faire un seul traitement, éviter de démultiplier les traitements d’une molécule, pour ne pas créer de résistances ? Quand on choisit la liste des molécules ce sont tous ces facteurs qu’on met en avant.
Trouvez que les producteurs de produits phyto ont un peu évolué ?EV : La recherche a pris en compte le fait que les gens étaient regardants sur ce qu’ils utilisaient, et qu’ils n’utilisent pas forcément n’importe quoi n’importe comment. Quand on m’amène une nouvelle molécule, je pose beaucoup de questions : je veux savoir ce que c’est, à quoi ça sert, où ça va, comment ça fonctionne, et quel est son impact sur l’environnement. La preuve qu’ils s’en occupent, c’est qu’ils demandent d’avoir le cahier des charges quand il sort tous les ans ! Pour voir où sont les molécules avec lesquelles ils peuvent travailler, lesquelles ils peuvent vendre. Et comme on est limités à des grammages à l’hectare de certaines molécules, on ne peut pas se permettre deux, trois fois le même traitement, donc eux sont obligés, quand ils vont proposer des programmes de traitement ou des molécules, de mettre en avant qu’on ne pourra l’utiliser qu’une fois. On demande alors ce qu’on pourra utiliser après, et ça les remet en cause énormément je pense, ça fait bouger un peu tout l’ensemble, même sur le conventionnel.
Quelle est l'évolution du cahier des charges depuis ces dernières années ?SD : Tous les vignerons doivent être aux normes pour les effluents. Sur la biodiversité, il y a eu une nouvelle demande forte des adhérents, pour non seulement les accompagner comme avant sur l’aménagement du paysage, mais aussi pour qu’ils prennent conscience de la biodiversité dans les vignes et qu’on les aide à y travailler. Il y a aussi maintenant une traçabilité jusqu’au bout, ce qui n’était pas forcément le cas avant, c’était le handicap par rapport au label d’agriculture raisonnée.
Mais nous restons un label de produit, les gens peuvent apposer le logo sur la bouteille, alors que l’agriculture raisonnée est un label d’exploitation. Et on est un cahier des charges qui ne concerne que la vigne : sur une exploitation mixte en culture, on ne va travailler que sur les vignes. Par contre une exploitation Terra Vitis doit l’être sur l’ensemble de ses vignes, tout le vin et toutes les cuvées, sauf pour les coopératives ou les négociants où il y a un système de traçabilité important.
Comment est abordée la vinification dans le réseau Terra Vitis ? En dégustation on remarque en général un certaine pureté en bouche, y a t il un effort particulier demandé par le cahier des charges ?EV : Dans le cahier des charges, sur la vinification, le plus important c’est la traçabilité, et comme c’est des produits de consommation, on est assez soft sur les vinifications. On se pose des questions partout, à la vigne comme à la cave, on est curieux de techniques, on découvre, on avance, on regarde tout ce qui se fait autour, c’est aussi un pôle important d’échanges.
SD : Les importateurs nous disent souvent qu’ils ont remarqué la qualité des vins, qu’ils trouvent assez constante. Je pense que c’est parce que ce sont des vignerons consciencieux : par exemple, souvent quand on fait les premiers audits des gens qui veulent avoir le label, ils sont déjà dans les pratiques de Terra Vitis. Et puis s’ils veulent être Terra Vitis, c’est aussi pour la pérennité économique de leur entreprise, pour avoir un rendement le moins variable possible, pouvoir utiliser l’alternance de produits, mais ne pas se priver de certains, et avoir un vin de qualité. Nous animateurs faisons aussi un suivi au niveau des ajouts, tout est tracé, on peut donc regarder ce qui est utilisé, et on discute avec le vigneron pour savoir pourquoi il ajoute tel intrant. Le seul produit interdit est le ferrocyanure de potassium.
Madame Delobel, votre travail est assez différent de celui d'une certificatrice ?SD : Pour toute la France nous ne sommes qu’une dizaine d’animatrices ou animateurs, dont seule une personne est salariée à temps plein de Terra Vitis. Pour le reste nous sommes salariés des chambres d’agriculture, on a des conventions pour l’accompagnement, c’est pour ça que certains comme moi ont la double casquette technique conseillère viticole et œnologue ; j’ai aussi une collègue conseillère d’entreprise, ça permet d’avoir une diversité au niveau des compétences. Et on travaille également avec des gens qui ne sont pas en Terra Vitis, avec des bio…
Le principe est que ce n’est jamais celui qui vient conseiller qui va contrôler. Ma mission est d’accompagner, je fais les audits d’entrée, c’est à dire un bilan de toutes les pratiques, une synthèse et un petit plan d’action pour dire ce qu’il y a à améliorer. Après au niveau des contrôles internes, ce seront d’autres animatrices, et ensuite il y a un contrôle par un organisme externe, l’ACTOA (Association de contrôle tiers Ouest Atlantique) qui fait partie de Certipaq. L’association est elle-même contrôlée par l’ACTOA pour voir si on fait bien notre boulot lors des contrôles des viticulteurs.
Quel est le coût pour le vigneron ?SD : Il y a une part fixe et une au nombre d’hectares. Pour un domaine de quinze hectares, c’est à peu près 600 € HT par an, qui comprennent l’ensemble de l’accompagnement et des contrôles, tous les services de Terra Vitis. Dans le coût total, la plus grande partie est fixe, la part variable est entre 2 et 3 euros par hectare. La part fixe paye les charges de fonctionnement, le variable correspond plutôt à la communication, parce qu’une petite exploitation n’aura pas la même valorisation des actions menées. Et la participation à des actions particulières de communication peut aussi donner lieu au paiement d’un supplément, mais c’est au choix de chacun. Par exemple pour Vinexpo on loue une salle, les adhérents qui le souhaitent y disposent d’une demie-journée pour 200 euros chacun, ce qui est raisonnable pour venir à Vinexpo ! La dernière fois il y avait une cinquantaine de vignerons de toute la France. Pour ceux qui ne sont pas du tout sur l’export, on fera encore autre chose.