es intervenants de la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS), qui ont présenté mardi 14 février le bilan des exportations françaises (voir notre dossier consacré à ce bilan général) se sont également livrés à une analyse des évolutions de marché selon les zones géographiques. Si l’Europe reste le premier continent d’export, le dynamisme est toujours du côté américain, et a fortiori du côté asiatique. Mais la réussite des vins et spiritueux français dans les pays tiers pourra encore se renforcer si de nouvelles barrière tarifaires tombent, comme en Corée, en Inde et au Brésil.
Le marché global : l'Europe derrière les « pays tiers »Les exportations françaises de vins et spiritueux ont été réalisées dans 171 pays en 2011, mais le chiffre d’affaires a été enregistré à 89% dans 20 d’entre eux. Parmi les dix premiers importateurs de vins français, on compte aujourd’hui deux pays d’Amérique du nord (Etats-Unis, 1er importateur ; Canada, 9ème) ; quatre pays européens (Angleterre, 2ème, Allemagne 4ème, Belgique 6ème et Suisse 10ème), et quatre pays asiatiques dont trois gagnent des places (Chine, 3ème pour la première fois, à la place de l’Allemagne ; Singapour, 5ème ; Hong-Kong, 7ème ; le Japon , 8ème). L’Europe, qui est encore la première zone de commercialisation, ne représente plus que 47% des exportations françaises en valeur, contre 53% pour les pays tiers, où se situent les plus fortes progressions. Les spiritueux ont des exportations équilibrées entre les trois zones, alors que pour le vin, le niveau des ventes reste très important en Eruope. On peut donc dire que le vin est plus exposé à la situation économique du marché européen que les spiritueux.
Marchés : les Etats-UnisMalgré la progression de l’Asie, les Etats-Unis gardent leur place de premier pays d’exportation des vins et spiritueux français (entre 17 et 18% des exportations totales, +8,5% en valeur en 2011, et +5% en volume) et restent une zone stratégique pour toutes les catégories de produits, parce que la consommation générale y augmente tous les ans, même faiblement, et le pays est aujourd’hui le premier marché au monde. Patrice Pinet (Cognac Courvoisier) comme le champenois Paul-François Vranken ont insisté sur le lien entre les bons résultats français en Amérique et la culture française, faite d’art de vivre et de gastronomie, dans un pays qui apprécie de plus en plus la convivialité à table, et vers lequel se réalisent depuis plusieurs années 20% (en valeur) des exportations françaises de vins et spiritueux. A tel point que ces dernières atteignent aujourd’hui 7,5% des exportations totales françaises vers ce pays, tous secteurs confondus. La phase actuelle est aussi propice pour les vins français parce que le redémarrage de l’économie américaine est palpable, ce qui encourage les gens à boire à nouveau des grands vins.
Cependant, les opérateurs ont souligné une importante modification dans la structure de la distribution américaine : depuis cinq ans s’est produite une importante concentration chez les grossistes, ainsi que la constitution de grandes chaînes de vente de vin, comme Costco (premier vendeur de vins aux Usa aujourd’hui), Trader Joe’s ou Wholefoods. La constitution de ces chaînes nationales rendrait les négociations plus difficiles, un peu comme en Angleterre. Autre conséquence, il serait plus utile aujourd’hui de renforcer le travail de conviction auprès des distributeurs que les dégustations sur le terrain, auprès des consommateurs. Cependant cette concentration offre aussi un avantage : comme la distribution constitue 50% des ventes de vin aux Etats-Unis, une fois que les contrats avec ces grandes chaînes sont conclus, la diffusion des produits sur le territoire peut être plus rapide.
Pour Bordeaux, les Etats-Unis sont véritablement de retour, avec des ventes en progression de 28% en volume et de 21% en valeur, même si les niveaux d’avant la crise de 2008 n’ont pas encore été retrouvés. Pour la Champagne, qui ne vend que 20 millions de bouteilles aux Etats-Unis, il y a encore un potentiel de croissance régulière. Pour le Cognac, dont les Etats-Unis sont le premier marché (48,5 millions de bouteilles), l’économie allant mieux, les Américains, qui s’étaient tournés vers les entrées de gamme en 2008-2009, sont remontés en gamme en 2011.
Les opérateurs signalent aussi le dynamisme des ventes au Canada (+10% en valeur en 2011), dont l’économie se porte bien.
Marchés : l'AngleterreLe Royaume-Uni est plutôt un marché pour les vins français que pour les spiritueux. Alors que la consommation anglaise de vins a beaucoup augmenté (passée de 11 à 16 litres par personne et par an en une génération), il y a eu un désintérêt pour les vins français, qui s’est traduit en 10 ans par une perte de 28% en volume et de 11% en valeur. Et c’est à l’époque actuelle, pourtant l’une des pires périodes économiques de l’après-guerre pour ce pays, que les exportations de vins et spiritueux français ont réussi une performance plus qu’honorable (+5,7% en valeur en 2011, mais –2,1% en volume). Plusieurs facteurs l’expliquent : un raffermissement de la livre vis à vis de l’euro, mais aussi un regain d’intérêt des clients « qui reviennent en France chercher des produits dont ils ne voulaient pas il y a cinq ans » selon Philippe Castéja.
La France n’a cependant pas retrouvé ses niveaux de vente antérieurs, et le marché anglais reste très difficile, parce que très compétitif, mais aussi parce que les négociateurs anglais sont redoutables, et enfin parce les droits d’accise, qui ont augmenté en 2011, devraient subir une nouvelle augmentation en 2012. Des hausses de taxes que les acheteurs demandent bien sûr à leurs fournisseurs de supporter pour ne pas avoir à changer le prix pour les consommateurs…Au total le marché anglais « n’est pas le plus profitable pour la filière !», conclut Louis-Fabrice Latour avec un sens de l’understatement très…anglais.
Marchés : l'AsieSi la zone asiatique est en progression de 29% au total en valeur (à 2,5 milliards d’euros, devant l’Amérique du Nord à 2,1 milliards), ce sont pour l’heure surtout les vignobles de Bordeaux et de Cognac qui en profitent.
En Chine, les exportations françaises de vins et spiritueux, qui ont décollé depuis 2001 (passées de 0 à 900 millions d’euros en dix ans), date de l’adhésion du pays à l’OMC et de la baisse des droits de douane de 65 à 14%, constituent aujourd’hui 7% des exportations françaises totales dans ce pays (comme aux Etats-Unis). Ces exportations (en progression de chiffre d’affaires de 52% en 2011) sont faites en valeur à 75% par Bordeaux et Cognac à égalité. Pour Patrice Pinet, « la Chine est un pays de grande culture gastronomique, la cuisine chinoise est excellente, et le Cognac va bien avec cette cuisine. » Il ajoute cependant qu’ « il faut prendre ensemble les chiffres de la Chine, de Hong-Kong et de Singapour, parce qu’il y a des produits qui partent de Hong-Kong vers la Chine continentale, et de Singapour vers l’Asie du Sud-est et aussi vers la Chine. » Le marché singapourien a littéralement explosé (+20% en valeur en 2011) parce que 70% des vins et des spiritueux y sont réexportés vers l’Indonésie (Djakarta et Bali), la Malaisie, une partie de l’Inde, mais aussi la Birmanie, la Thaïlande, le Viêtnam et la Chine. Quant à Hong-Kong (+38% en valeur), les produits les plus chers y sont exportés, parce que les vins ne sont pas taxés, et ils sont ensuite réintroduits en Chine par un marché parrallèle de porteurs de bouteilles…
Au Japon, malgré la catastrophe de Fukushima, et même si le pays perd une place dans le top ten des importateurs de vins et spiritueux français, le marché ne perd que 5% en valeur en 2011. Comme l’explique Paul-François Vranken, « on vend bien le Champagne là où existe une culture de la convivialité autour de la table, aux USA comme au Japon, qui l’a découverte depuis 25-30 ans. C’est pour ça que le Japon, malgré ses difficultés est le pôle d’attraction pour toute l’Asie. Ils sont remontés pour le Champagne de 30% sur deux années ! »
En Corée, suite à un accord récemment passé avec l’Union Européenne, les droits d’entrée sur le marché ont été supprimés. Depuis 2004, date à laquelle le Chili avait obtenu cet avantage, la France, si elle avait maintenu sa première place en valeur, n’avait pas vu ses volumes croître, alors que le marché a beaucoup progressé, ce dont le Chili a beaucoup profité. Au cours du deuxième semestre 2011, les ventes françaises en Corée ont bien évolué, et la France devrait reconquérir des positions sur ce marché dès 2012.
Perspectives pour 2012 : anticipations de consolidationTous les membres du conseil d’administration de la FEVS pensent que le début d’année 2012 est « plutôt normal ». Selon Louis Fabrice Latour, « nous ne sommes absolument pas dans un syndrôme style 2009, où la filière vins et spiritueux avait décroché dès le mois de janvier. Il faut être vigilant, mais la situation de stocks est relativement basse, les clients ont des besoins. » A ce sujet, Paul-François Vranken estime que « la crise a apporté surtout chez les distributeurs une meilleure gestion des stocks : auparavant, ils étaient parfois de 6 mois, voire plus, mais il y a eu une réorganisation en 2011. Les tuyaux ont été remplis en début d’année, la fin 2011 a conduit à une gestion moins excitante, mais il n’y a pas de surstocks. »
Cependant, du côté des distributeurs, si aucune catastrophe n’est anticipée, si personne n’est pessimiste et s’il n’y a pas de signe de ralentissement des réapprovisionnements, il n’y a cependant pas beaucoup de visibilité, et personne ne peut dire si l’année sera dynamique ou pas. Selon le président de la FEVS, « raisonnablement aujourd’hui, aller au delà de 10 milliards de chiffre d’affaires ne nous semble pas chose aisée, à moins qu’il y ait une embellie générale, et que le dollar reprenne des couleurs de manière plus nette». A signaler enfin, les exportateurs anticipent une reprise du marché russe en 2012.
Perspectives de long terme : l'ouverture de nouveaux marchésA plus long terme, « l’ambition est de faire tomber les barrières douanières dans les pays émergents, parce que là sont les relais de croissance et de valeur ajoutée : plus on va loin, plus on vend cher ! », explique Benoît Stenne, délégué général adjoint de la FEVS. Pour les exportateurs, des marchés encore un peu fermés aujourd’hui peuvent être des grands marchés de demain, en particulier l’Inde et le Brésil. Dans les deux cas, des négociations sont en cours pour faire baisser les taxes. « Les Indiens », explique Patrice Pinet, « sont des gastronomes, ils attendent les produits français, qui reçoivent un bon accueil. Pour les spiritueux, le marché est de 250 millions de caisses ! », soit 1,8 milliard de bouteilles…Quant au Brésil, où le potentiel concerne plutôt les vins que les spiritueux, l’augmentation en volume est supérieure à celle en valeur, ce qui indiquerait que le marché est en développement.