hristelle Craplet, directrice d’études chez Ipsos, n’en revient pas : « de tous les secteurs d’activité sur lesquels nous enquêtons en France, seuls les patrons de bars à vins font preuve d’une telle confiance dans leur activité ! » A l’occasion du salon des vins de Loire, Interloire a demandé à la société de sondages d’interroger 100 patron(ne)s de bars à vins de toute la France, dont un tiers à Paris, pour mieux connaître les spéficités de ce type de lieu d’achat et de consommation du vin, ainsi que la place qu’y tiennent les vins de Loire.
Il en ressort une image assez différente du discours habituel sur la sociologie du public, plus féminin et plus jeune, sur la consommation, très variée et ouverte (grâce à la dégustation festive que permet le vin au verre), plus blanche que rosée, et sur les perspectives économiques du secteur, très positives.
Un succès indéniableTout le monde a remarqué que le nombre de bars à vins un peu partout en France est en croissance. Il n’existe pas de décompte officiel, mais pour l’auteur de ces lignes, qui a écrit deux guides sur le sujet, un pour la France entière (Les zinzins du zinc - Editions Fleurus, 2007) et un pour Paris (Les meilleures adresses des amateurs de vins à Paris - Editions Dakota, 2011), il y avait environ 500 bars à vins en France en 2005, et il y en aurait au moins 1000 aujourd’hui. Quant au journaliste Barthélémy, auteur d’un guide sur les Bars à vins de Gironde (Féret, 2011), il estime que « la seule ville de Bordeaux en compterait aujourd’hui entre 40 et 50 », contre à peine une dizaine en 2006.
Une clientèle mixte pour le sexe comme pour l'âgeLa clientèle est totalement paritaire pour 66% des lieux, plutôt masculine pour 18%, plutôt féminine pour 16%. C’est évidemment une rupture avec une vision du vin dominée par les hommes, mais c’est aussi plus équilibré que les statistiques sur les achats de vins en grande distribution, plutôt réalisées par les femmes. Quant à l’âge des clients, 61% des patron(ne)s disent qu’il va de 30 à 45 ans, ce qui est en rupture avec l’image traditionnelle du buveur de vin, dont on dit qu’il commence à aborder ce breuvage à 35 ans, en devient connaisseur à 45, et est un buveur régulier au delà de 55. Mais il n’y a pas d’exclusive, puisque pour 21% des endroits tous les âges sont réunis dans la clientèle, et pour seulement 15% des établissements elle dépasserait les 45 ans. Le bar à vins réunit donc les genres comme les âges, tout en rajeunissant le public du vin et en actant sa féminisation.
Autre conclusion très intéressante, il y a une distribution très harmonieuse de la clientèle entre trois catégories de population attirées par le vin : 23% de néophytes, 53% d’amateurs, et 19% d’amateurs éclairés. Les nouveaux venus sont donc relativement nombreux, et parmi les amateurs ce ne sont pas les plus pointus qui dominent. Mais il y a aussi ici une leçon pour la communication du vin : s’il existe bien trois niveaux de connaissance, ils peuvent cependant être réunis autours de certains concepts conviviaux comme les bars à vins.
Des budgets très à la carteLa répartition des budgets consacrés à une sortie dans un bar à vins est aussi très intéressante : elle est extrêmement étalée, entre moins de 10€ et plus de 35€. Quand on fait de grandes catégories, trois grandes tranches se dégagent, les moins de 15€ (30%), les 16 à 25€ (28%), et les plus de 25€ (37%). On voit tout l’intérêt de ce genre d’établissement, où la gamme des budgets de sortie est très large, entre un petit apéro et un vrai repas, en passant par un grignotage dînatoire, mais toujours autour de verres de vin. Vin dont la consommation aussi est modulable, autant en terme de nombres de verres (pour la conduite et la santé) que d’argent (pour le budget en temps de crise). La moyenne générale est à 23€, 27 à Paris, 21 ailleurs.
Les raisons du succès : le vin et son art de vivreInterrogé(e )s sur ce qui motive la clientèle à venir et revenir dans les bars à vins, les patron(ne)s mettent en avant le besoin de fréquenter un lieu plus convivial qu’un bar ou un restaurant (49% des réponses). C’est donc bien ici l’art de vivre, fait de partage, que véhicule le vin, qui est au centre du succès (par exemple, dans les bars à vins, les conversations entre inconnus sont beaucoup plus fréquentes que dans un restaurant). Mais on n’y vient pas que pour faire la fête, et le vin n’est pas qu’un prétexte, on s’y intéresse vraiment : on veut aussi déguster des vins de qualité (45%) et découvrir de nouveaux vins et de nouvelles saveurs (44%). Le bar à vins c’est donc la dégustation festive, et l’accès facile à tous les goûts et les provenances du vin, qui étaient auparavant réservés aux dégustateurs professionnels, alors qu’aujourd’hui les bons vins sont innombrables et produits dans tous les vignobles, même les plus méconnus. Christelle Craplet, qui a interviewé plusieurs gérants, commente : « c’est le côté découverte, on cherche à être décoiffé par le goût, la surprise et le partage, et on ne vient pas chercher des vins connus et des valeurs sûres. » Enfin, pour 25%, les gens viennent aussi chercher des conseils sur le vin. A ce titre, les tenanciers ont en général un discours très différents de beaucoup de sommeliers : plutôt que de placer le plus d’informations dans le minimum de temps, ils préfèrent ne pas en dire trop sur les vins qu’ils servent, laisser les gens goûter, et ensuite ils sont disponibles pour répondre aux questions, leurs réponses étant alimentées par leurs rencontres fréquentes avec les vignerons. A ce titre, ce sont de véritables passeurs de connaissance, mais en toute décontraction.
Une culture à l'aise en FranceLes patron (ne)s, interrogés sur les atouts de leurs établissements, donnent des réponses qui qui sont en totale cohérence avec une étude récente de France Agri Mer en date de 2011, qui mettait en avant l’image toujours à deux facettes que véhicule la France à l’étranger (nature et de culture, authenticité et sophistication…). A 76% les interrogés invoquent la convivialité (pensons à l’inscription du repas des français au patrimoine de l’Unesco), à 44% le terroir (c’est la base du discours français sur le vin), à 20% le fait d’être cosy (le sens de l’accueil), 15% la tendance (les français aiment la mode !), à 11% le rétro (le retour nostalgique à un passé un peu rêvé, typique des temps de crise), à 11% le classicisme, à 8% l’avant-gardisme (on aime bien ceux qui innovent, même si on les critique !) et à 3% le fait d’être branché (donc pour la plupart loin du cliché des bars à vins réservés aux « bobos ».) Au total pour l’Ipsos le discours se partage équitablement entre classicisme (60% des réponses) et modernité (40%).
Une clientèle qui a compris le vinLes interrogés pensent que le premier critère qui va influer sur les comportements d’achat de vin de leurs clients est le prix (à 74%), mais l’Ipsos modère ce résultat en indiquant que c’est le premier critère qui ressort de toutes les enquêtes de consommation, tous sujets confondus ! Viennent ensuite l’origine à 36%, la nouveauté pour 23%, la notoriété de l’AOC pour 20%, le cépage pour 15%, le millésime pour 16%, la marque pour 5%. On voit donc que, si l’origine est encore prégnante, les critères de choix sont multiples, et aucun ne domine vraiment. Le consommateur de vin formé dans un bar à vins a donc compris que l’approche du vin ne peut être que diverse.
Des cartes de vin fournies et variéesEn moyenne, les carte des bars à vins comptent 132 références, une offre donc plus variée que pour la moyenne des restaurants, même si un tiers (32%) ont moins de 50 vins. Pour le reste, 17% en ont de 50 à 100, 17% de 100 à 200, et 23% au dessus de 200.
La provenance des vins est française à 96%. Les cinq premières régions sont la Vallée du Rhône (66%), la Bourgogne (65%), la vallée de la Loire (62%), Bordeaux (57%), le Languedoc-Roussillon (55%). Vient ensuite un groupe comprenant le Beaujolais (38%), le Sud-Ouest – Gascogne (31%), l’Alsace (28%) et la Provence (27%). L’expérience de l’auteur de ces lignes peut faire un peu nuancer le portrait : dans les faits, il y a souvent une différence entre la carte des bouteilles, qui peut contenir des références des deux grandes régions prestigieuses que sont Bordeaux et la Bourgogne, mais les cartes de vins au verre présentent pour leur part beaucoup de rouges du Languedoc-Roussillon et du Rhône, souvent des blancs des Côtes de Gascogne, et un ensemble assez équilibré de Loire des deux couleurs. Enfin, 26% des établissements proposent des vins étrangers, en premier lieu espagnols (14%) et italiens (11%).
Le blanc plus fort que le roséQuant aux couleurs, la suprise vient de l’inversion de la hiérarchie des couleurs blanche et rosée dans les bars à vins par rapport aux statistiques de la grande distribution : les rosés n’occupent que 8% de l’offre, alors que leur part est de 29% dans les ventes en grande distribution, tandis que les blancs constituent 29% des cartes, contre 16% des ventes en GD. Sur ce point, les progrès radicaux faits dans la production des vins blancs français (maîtrise des températures, réduction des doses de soufre, travail sur les maturités et la fraîcheur) ont porté leur fruit ; d’autre part la structure plus légère des blancs, la diversité et le côté aérien de leurs arômes, les rend parfois plus faciles à boire pendant toute une soirée (le bar à vins reste un bar avant d’être un lieu de restauration) que les rouges ou même les rosés. La part des rouges est exactement la même qu’en grande distribution, à 55%.
Des patron(ne)s dans les domaines et les salonsPour sélectionner leurs bouteilles, les gérant(e )s disent visiter à 62% des domaines. On nuancera en disant que c’est souvent le cas au début, avant de monter le bar à vins ; après, il y a tout une période de démarrage de l’activité pendant laquelle le patron ne se déplace plus beaucoup. Ils sont alors plus nombreux à se rendre à des salons (46%). Quant au démarchage, c’est une source d’approvisionnement secondaire mais réelle (15% par les agents, 10% par les producteurs eux-mêmes), la presse et les sites internet spécialisés n’influençant que respectivement 10% et 3% d’entre eux.
Des vins de Loire très présents et appréciés, encore à découvrirLes vins ligériens sont présents dans 89% des établissements, et en progression dans 24% des cas. Pour les interrogés, ils ont pour avantage d’être intéressants à faire découvrir (à 92%), d’avoir un bon rapport qualité-prix (82%), d’être frais et jeunes (68%). Mais ils sont encore méconnus par les consommateurs (pour 63%), et seulement 37% des patron(ne)s disent qu’ils sont « à la mode ».
L'avenir : positif en se distinguantPour continuer à avoir du succès, 58% des interrogés considèrent qu’ils doivent aussi savoir organiser des évènements exceptionnels, et qu’ils doivent renouveler de plus en plus vite leur carte (55%). Pour 51% la fréquentation va continuer à progresser, seuls 11% la voient régresser, tandis que pour 32% elle va être stable. 50% pensent que le nombre de bars à vins va encore augmenter, seuls 15% le voient régresser, 28% le voient stable. A ce titre on peut préciser que par rapport aux 20 000 établissements de cafés-restaurants français, le millier de bars à vins d’aujourd’hui semble encore raisonnable.
Cependant, les interrogés sont conscients de certaines difficultés, en particulier un déficit de notoriété de leur concept, de leur intérêt spécifique, par rapport à des restaurants et à des bars traditionnels. A ce titre, on peut penser qu’au-delà du concept du bar à vins, c’est la diffusion des fondements de son succès dans tous les débits de boisson et les établissements de restauration qu’il faut encourager : des cartes de vins au verre variées, à de bons rapports qualité-prix, des vins servis dans de bonnes conditions, avec l’envie de faire découvrir tout ce que le vignoble produit d’intéressant aujourd’hui




