orinne Lacoste-Bayens (Armagnac Lacoste) est présidente depuis quatre ans de l’interprofession-ODG du Floc de Gascogne dans le Sud-Ouest. Elle nous explique comment cette production un peu confidentielle, mais importante pour l’économie locale, a traversé les années récentes, entre réforme d’un système d’agrément un peu dépassé et réflexion sur l’image d’un produit vitiviniccole mais doté d’une image de boisson d’apéritif.
Dans quelle situation économique se trouve la filière du Floc de Gascogne aujourd'hui ?Corinne Lacoste-Bayens : Après deux années de baisse significative des ventes, le marché du Floc est en train de se rouvrir, et nous terminons l’année 2010 à +8% en volume, On était redescendus en deçà du million de bouteilles, et ça y est, là on le raccroche, c’est une bonne nouvelle ! On se bat pour préconiser un positionnement prix relativement élevé pour ce type de produit, 9 euros à peu près dans le Sud-Ouest, et on est à une douzaine euros dans le reste de la France, jusqu’à 14 euros en région parisienne. En grande distribution, les rapports commerciaux étant ce qu’ils sont, on est souvent plus près de 8 à 8,5€.
Du côté de la production, le facteur important c’est le volume d’Armagnac : quand la distillation est peu importante, ou moins importante suite à des problèmes climatiques comme le gel d’il y a deux ans, on a une production de Floc qui s’infléchit légèrement parce qu’on n’a pas suffisamment d’Armagnac pour faire du Floc. Globalement, sur l’ensemble des exploitations viticoles, le Floc est un complément de gamme, entre l’Armagnac et les vins de pays de Gascogne. La répartition des trois produits est très variable selon les domaines, ça peut être 50 à 70% de la production en Floc pour les plus gros faiseurs, comme 5 à 10% pour les moins importants. Sur les 120 producteurs, on a une quarantaine de producteurs dont le Floc est vraiment un des éléments moteurs de leur production, pour les autres c’est une frange de la gamme. La distribution se fait à 60% en vente directe, par les 120 producteurs, le reste se partage entre cavistes et grande distribution.
Les exportations représentent une petite dizaine de pourcents, essentiellement vers la Belgique et les Pays-Bas, les Belges sont de très très grands amateurs de Gascogne ! Nous ne pourrions faire croître nos exportations de façon très importante, ça supposerait une politique très particulière de la production. Mon sentiment est que le Floc a beaucoup à conquérir sur le territoire national, pour que les personnes qui le découvrent dans la région puissent le retrouver quand ils rentrent chez eux. Mais on a la capacité en terme de vignes d’augmenter la production de façon significative, on pourrait imaginer, en ayant des moyens économiques importants, doubler la production sur cinq ans. Le Floc est un produit rémunérateur, et je pense qu’on a de beaux jours devant nous, parce qu’il y a une telle concurrence sur le vin, et ça ne va pas se démentir dans les années à venir, que le Floc peut constituer une niche de marché particulièrement intéressante si elle est bien travaillée.
Quelle est votre stratégie en matière d'image et de communication ?Depuis le début de l’AOC il y a 20 ans, comme la production n’est pas énorme et qu’on est peu nombreux, on essaye d’avoir une logique de marque, en particulier par la bouteille syndicale. On recommande à l’ensemble des producteurs de Floc de mettre en bouteille dans la même bouteille, avec la même étiquette, le même dessin. Ce qui change, c’est le nom du domaine, qui apparaît en bas de l’étiquette. Je vois dans les salons que je fais pour ma maison que ça permet de stopper les consommateurs de Floc, les gens s’arrêtent parce qu’ils reconnaissent la bouteille, ils identifient le Floc. Ça nous permet d’avoir une forme d’impact de marque. Ça ne veut pas dire que le Floc est uniforme, pour l’ensemble de la production on a un cahier des charges, c’est relativement normé, mais il y a une aussi grande diversité de Flocs que d’Armagnacs.
Plus récemment, il y a deux ans, lorsqu’on a vu que les ventes ralentissaient, on a essayé de savoir, en menant une enquête auprès des consommateurs de ce type d’apéritif, si le produit convenait toujours au goût actuel. On a mené une enquête consommateur auprès d’un public plutôt féminin, de 30 à 45 ans, à Paris et à Toulouse, et on s’est aperçu à la dégustation à l’aveugle que le Floc était extrêmement apprécié, parcequ’assez léger et pas trop sucré, mais le packaging s’est avéré vieillot, avec trop de doré sur l’étiquette, une forme ovale, un blason, des signes qui sont en général bien rattachés au terroir, mais qui ne donnent pas une image forcément fidèle de ce qu’est le produit. Aujourd’hui on propose une bouteille de Floc revisitée, un petit peu plus élancée, un petit peu plus épaulée, avec une nouvelle étiquette plus raffinée, tout en étant assez discrète, sur laquelle le mot Floc est plus affirmé qu’il ne l’était. On a aussi décidé de passer au bouchage à vis pour les producteurs qui le désirent, parce que les jeunes femmes le trouvent plus pratique, et que ça positionne aussi bien le produit à l’apéritif. Notre budget de communication est de 250 000 à 300 000 euros annuels, avec une aide de France Agri Mer ; on réalise aussi des animations en grande distribution, dans le Sud-Ouest, mais on essaye aussi de sortir de notre terroir, notamment en région parisienne.
Qu'est-ce que la réforme des AOC a changé à l'agrément des Flocs ?Nous étions jusqu’à l’année dernière sur un agrément en bouteilles, et un délai obligatoire entre la mise en bouteilles et l’expédition au client de 30 jours, pour des raisons de stabilisation. Ce système avait plusieurs défauts. Les gens qui recevaient une commande, s’ils n’avaient pas de bouteilles d’avance, devaient attendre au minimum 30 jours avant d’expédier, mais souvent c’était 45, le temps de faire une déclaration, que les échantillons soient prélevés et dégustés. C’était totalement contre productif pour le développement commercial, les cavistes qui nous appellent aujourd’hui veulent être servis dans la semaine, voire sous dix jours, sinon ils s’adressent ailleurs ! D’autre part, comme la dégustation se faisait en bouteilles, ça passait ou ça cassait, il n’y avait aucun contrôle au préalable sur les cuves, alors que s’il devait y avoir des défauts, on aurait pu les corriger très facilement au stade de la cuve, ce qu’on peut difficilement faire quand tout est en bouteilles ! Enfin, les procédés techniques ont évolué, notamment en termes de filtration, on a l’assurance que le produit est parfaitement stable, et ce délai ne se justifiait plus.
Aujourd’hui, le délai a été réduit à 15 jours avant expédition, et le combat qu’on réenclenche, c’est d’arriver à zéro. Quant à l’agrément, c’est le viticulteur qui est réputé producteur de floc, après vérification des vignes, de l’outil de production, et il y a des contrôles à la fois internes, réalisés par les techniciens de la maison du Floc, ainsi que de l’Armagnac et des vins de pays de Gascogne, et externes, par sondage, effectués par un organisme de contrôle. C’est une véritable évolution, évolution parce que ça nous permet d’avoir un regard beaucoup plus en amont, d’être force de proposition auprès des productuers, d’être conseil et d’être pédagogue, et ça c’est extrêmement important. On a gagné aussi en concertation et en échange avec les producteurs, ce qui est essentiel pour la qualité : le Floc est tellement peu présent, que si vous tombez sur des bouteilles qui ne sont pas bonnes, c’est une catastrophe, ça dessert l’image ! Et du côté de l’INAO, les esprits évoluent, on a des interlocuteurs qui comprennent la réalité du terrain, il y a un échange qui s’est fait. Nous avions décidé de considérer l’évolution du décret comme une opportunité, qu’on a prise à bras le corps, on a essayé d’en tirer tout le positif, et on nous l’a rendu, parce que globalement, toutes les propositions qu’on a pu faire pour dépoussiérer le système ont été retenues et validées.
Interview par Egmont Labadie.