n 2008, à la suite du Grenelle de l’Environnement, était décidé le plan Ecophyto 2018, avec un objectif de réduction des utilisations de produits phytosanitaires de 50% en 10 ans pour toute l’agriculture française et quelques autres usages.
Trois ans plus tard, s’il est un peu tôt pour juger des résultats, le dispositif, encore en cours de mise en place sur certains de ses aspects, a atteint des résultats intéressants pour d’autres, en particulier la surveillance biologique du territoire, le réseau de fermes pilotes et la formation des agriculteurs. Ce bilan sera illustré ici par des témoignages issus d’un vignoble qui utilise beaucoup les produits phytosanitaires, la Champagne, et qui amène aussi à se poser la question du lien possible entre le plan Ecophyto et la nouvelle certification Haute Valeur Environnementale (HVE).
Les grandes lignes d'Ecophyto 2018Lors du Grenelle de l’Environnement, un doublement de la redevance sur les produits phytosanitaires a été accepté par le monde agricole, en contrepartie d’un retour de ce produit fiscal vers le financement de projets visant l’objectif de réduction de 50%. La taxe rapporte actuellement 32 millions d’euros par an, elle est gérée par l’ONEMA (agence qui coordonne les finances des agences de l’eau) et pilotée par la direction générale de l’alimentation au ministère de l’agriculture.
Le plan Ecophyto 2018 s’organise en neuf axes, qui ont pour but l’évaluation des situations (par le biais des Indices de Fréquence de Traitement, IFT), l’organisation de réseaux locaux de sites expérimentaux de dix à douze fermes, l’innovation par les instituts techniques, la formation des utilisateurs, la surveillance biologique du territoire, l’action dans les DOM-TOM, le non-agricole (jardins publics, collectifs, pelouses sportives…), le suivi et la communication, enfin la sécurité de l’utilisateur (par la protection, mais aussi par des modifications des produits, comme la suppression des poudres au profit des liquides, moins volatils).
Ces différents points sont travaillés avec le désir de ne pas réduire l’effort à une niche, donc d’intégrer le maximum d’exploitations (les 90% qui ne sont pas dans une démarche d’agriculture biologique), de réunir l’ensemble des organismes professionnels, et d’amplifier les démarches déjà existantes.
Autre principe, une grande partie de l’initiative est confiée au niveau régional. En particulier, chaque Chambre Régionale d’Agriculture compte un animateur Ecophyto à plein temps, qui fait l’interface entre l’administration et les différents partenaires professionnels, mais aussi propose des actions, anime les groupes de travail, participe aux instances de gouvernance, régionales et nationales, pour faciliter les échanges entre régions.
Didier Marteau, président de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture, faisait récemment un bilan des actions déjà entreprises. Pour l’objectif final de –50% de produits phytosanitaires, il milite pour l’observation de moyennes, en raison des variations de la météo de chaque année. Si 2010 a été une année favorable, où une baisse de 20% des traitements a été possible, les années suivantes ne lui ressembleront pas forcément. Il milite pour la méthode suivante : sur une période de cinq ans, ne pas tenir compte de l’année la plus haute ni de la plus basse, et faire la moyenne des trois restantes. D’autre part, se pose le problème de la récupération des données, puisque la baisse est calculée sur les ventes nationales de produits. Malgré ces difficultés, il semble que ce calcul soit plus facile à réaliser que celui de l’impact global sur l’environnement des produits utilisés. Enfin le suivi de l’objectif va être progressivement affiné par niveau de toxicité des produits.
Du point de vue des axes de travail, trois sont particulièrement avancés, la surveillance biologique du territoire, le réseau des fermes, et la formation des utilisateurs.
Le bulletin de santé du végétalBénéficiant d’un budget annuel de 10 millions d’euros, le réseau de Surveillance Biologique du Territoire (SBT) vise une connaissance la plus fine possible de la situation sanitaire des cultures, tout au long des campagnes, pour piloter au mieux les interventions. Il a produit depuis sa mise en place plus de 3000 Bulletins de Santé du Végétal (BSV), qui ont remplacé l’avertissement agricole produit antérieurement par l’administration, à la différence que ce dernier contenait des préconisations, alors que le BSV n’est qu’un outil d’aide à la décision, que chacun doit interpréter selon sa situation.
Sur ce sujet, la profession a pris la démarche en main, en mettant en réseau tous les acteurs pour harmoniser les observations selon un protocole précis d’observation. En résultent des observations réalisées par beaucoup plus de gens qu’auparavant, et un message final mieux retransmis par tous les organismes qui ont participé à son élaboration.
Le réseau des fermes Dephy EcophytoBénéficiant d’un financement en 2011 de 6,5 milllions d’euros, ce réseau qui a été mis en place fin 2009 regroupe aujourd’hui 114 groupes dans toute la France, dont 84 sont animés à mi-temps par des techniciens des Chambres d’Agriculture.
Leur but est d’acquérir des références issues des expériences des exploitants, afin de favoriser la mise en œuvre de démonstrations dans les qui vont permettre de diffuser le savoir vers les autres agriculteurs. Les techniciens orientent les fermes membres vers la culture intégrée durable, par la mise en place de systèmes agronomiques, de mesures prophylactiques pour minimiser l’utilisation des produits, de l’enherbement, du travail mécanique sous le rang, l’arrêt de certains traitements quand le climat le permet, et la diminution des doses pour les autres.
Ces techniciens sont coordonnés par filière agricole, encadrés par les instituts techniques spécialisés (l’ITV pour le vin) qui les réunissent plusieurs fois dans l’année pour étudier les évolutions, leur donner les conseils.
Les formations CertiphytoBénéficiant pour 2011 d’un budget de 2 millions d’euros de l’ONEMA, complété par 12 millions d’euros de fonds VIVEA et 3 millions d’euros de fonds européens FEDER, ce programme a connu un succès important, puisqu’actuellement 127 000 personnes l’ont suivi. Le Certiphyto est la version européenne du permis, que devra posséder à la fin 2014 toute personne utilisant des produits phytosanitaires. Ce permis s’obtient soit par équivalence de diplôme, soit par un examen, éventuellement complété par une journée de formation, soit par une formation de deux jours.
Cette dernière solution a été choisie par la plupart des candidats.
Cette formation comprend quatre demi-journées, consacrées respectivement à l’impact sur l’environnement (état des lieux de la pollution), l’impact sur la santé, la mise en pratique sur le terrain lors de visites d’exploitations, les moyens à mettre en place pour réduire les pollutions et les doses de produits.
Les problèmes de santé sont en général exposés par la MSA et des médecins du travail. Ceux-ci sensibilisent sur les conséquences sur la santé : problèmes cutanés, neurologiques (maux de tête), digestifs (diarrhées et vomissements), mais aussi sur les pathologies de long terme, comme le cancer et la maladie de Parkinson, plus fréquente chez les agriculteurs que dans le reste de la population. A ce sujet, la MSA suit depuis cinq ans et pour cinq ans encore une population de 184 000 exploitants et salariés agricoles, pour étudier les phénomènes de maladies et de mortalités. Les médecins apprennent aussi aux stagiaires à décrypter les étiquettes, non seulement les pictogrammes, mais aussi les « phrases de risque ».
Les agriculteurs bénéficient de conseils sur les moyens à mettre en place pour rentrer le moins possible en contact avec les produits : des lieux pour s’équiper, se doucher pour se décontaminer, stocker les produits, faire les préparations ; des protections, comme des cabines de tracteur avec filtre à charbon actif, mais aussi des gants, combinaison, masque, lunettes contre les éclaboussures, chaussures, bottes et surbottes non absorbantes.
Les intervenants de ces formations ont l’ambition d’aller plus loin que la simple délivrance aux stagiaires d’un permis : le but est de leur donner une vision globale du problème du développement durable, des pistes pour améliorer leur travail et leurs conditions de travail, voire de prolonger l’effort par des démarches de conseil individuel (construction d’aires de remplissage des pulvérisateurs, sécurisation du stockage de l’azote et des hydrocarbures…)
Actuellement l’APCA estime qu’il reste encore 450 000 personnes à former en France, dont 200 000 agriculteurs, 200 000 salariés agricoles, et 50 000 utilisateurs de produits hors agriculture.
La surveillance biologique du territoire en ChampagneEn région Champagne-Ardennes, qui génère 11% de la valeur ajoutée nationale du secteur agricole, 1% seulement de la surface agricole est en agriculture biologique, en raison de la présence de beaucoup de grandes cultures (dans lesquelles le bio ne représente nationalement que 1,1% de la surface.) La surveillance biologique du végétal est effectuée dans cette région pour trois filières, les grandes cultures, la vigne et les zones non agricoles. Une quarantaine de techniciens (de coopératives, d’instituts techniques, de négoces, des chambres d’agriculture, de la Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles…) mettent en commun les données d’observation recueillies hebdomadairement sur 450 parcelles de grandes cultures et 200 parcelles de vigne. Le Bulletin de santé du végétal contient des photos pour reconnaître les maladies et les ravageurs dans les parcelles ; les données épidémiologiques sont traitées par des modèles qui permettent de prédire le risque à la semaine. C’est ensuite à l’agriculteur de décider de l’action à effectuer, éventuellement avec des techniciens de terrain. L’intérêt est surtout de dire que, s’il n’y a pas de risque, ce n’est pas la peine de traiter.
Le nombre de partenaires grandit d’année en année, le bulletin est disponible gratuitement sur le site de chambre d’agriculture et sur celui de la direction départementale du territoire, où il a été vu 9 000 fois par les internautes en 2010, mais il est aussi relayé par tous les acteurs de terrain à leurs membres. Le principal succès localement a été d’arriver à ce que les grandes organisations qui sont bien équipées en matériel et en personnel acceptent de communiquer leurs informations pour en faire profiter les structures plus petites.
Le réseau Dephy en Champagne viticoleSi les grandes cultures sont majoritaires dans la SAU champenoise, 50% des exploitations sont viticoles, souvent de très petite taille (2,74 ha en moyenne). Si la confusion sexuelle est très répandue dans le vignoble (10 000 ha sur 36 000 en sont déjà équipés), le désherbage intégral est encore pratiqué sur 70% de sa surface, et avec 23,8 en 2006, l’IFT moyen champenois était le plus élevé du vignoble français.
L’objectif du groupe Dephy, qui vient de démarrer en avril-mai 2011 avec des exploitations qui ont déjà progressé dans l’agriculture raisonnée, est de faire un diagnostic, détecter les systèmes de culture très économes en pesticides, avant de les reproduire à grande échelle. Les membres du groupe sont plutôt optimistes sur la faisabilité de l’objectif. Benoît Déhu, vigneron indépendant dans l’Aisne, a obtenu un IFT de 14 en 2010, grâce à l’entretien du couvert végétal en paturin commun ou en paturin des près, le travail sous le rang, la réduction des doses anti-mildiou et oïdium de 25%, mais aussi le travail d’une partie du domaine en agriculture biologique. Rémy André, coopérateur en Montagne de Reims, n’a jamais voulu rentrer dans les programmes de traitement décidés en janvier pour toute l’année, et en supprimant insecticides et acaricides, en réduisant les traitements anti-oïdium et mildiou, en enherbant en partie avec du blé, en organisant la tonte de l’herbe en CUMA avec ses voisins, il a atteint un IFT de 12 en 2010. Sébastien Sanchez, en Vallée de la Marne, a changé progressivement les pratiques de son domaine indépendant depuis 2000, en augmentant chaque année les surfaces enherbées, en expérimentant les pratiques biologiques sur les parcelles qui le permettent, en investissant dans un second tracteur pour être plus réactif aux besoins de la vigne… En 2010, il revendique un IFT de 4,9 pour le mildiou, 4 pour l’oïdium, 0,5 pour le désherbage, soit un total proche de 10. Pour 2010, il ne lui a fallu que 2,5 traitements jusqu’au 9 juin, et il pense finir à 5 en fin de saison.
Les trois viticulteurs sont d’accord pour dire qu’il est plus facile pour un domaine indépendant de mener une telle démarche, parce qu’il est possible d’en répercuter une partie du coût dans le prix de vente en l’expliquant dans les salons ou sur un contre-étiquette, plutôt que pour un livreur de raisin en coopérative ou en négoce, qui ne rémunèrent pas la démarche.
Ecophyto et HVEEn quelle manière le plan Ecophyto 2018 peut-il s’inclure dans la démarche de certification Haute Valeur Environnementale, récemment formalisée par le ministère de l’agriculture et celui de l’Environnement ?
Pour Alain Schlesser, directeur général adjoint de l’APCA, les deux démarches sont a priori assez différentes : Ecophyto est un plan national, ciblé sur les produits phytosanitaires, mais dont les résultats sont calculés globalement, alors que HVE est un label plus large dans les pratiques qu’il regroupe, en particulier la biodiversité, mais plus ciblé dans la population concernée, puisqu’il est attribué à un collectif ou à un individu. Mais techniquement, il y a un lien entre les deux, puisque le niveau HVE 2 comporte une exigence de moyen quant à l’utilisation des produits phytosanitaires, qui se transforme en obligation de résultat en HVE 3. Une exploitation qui se trouve dans le réseau Dephy semble donc bien préparée à rentrer rapidement dans HVE 2 ou 3. Mais ce label est attribué à la totalité d’une exploitation, alors que les exploitants en polyculture ont parfois des pratiques plus variées selon leurs différentes cultures.
Pour Sébastien Sanchez, qui est aussi président des jeunes viticulteurs du Syndicat des Vignerons de Champagne, au niveau général pour le vignoble champenois, Ecophyto est un début, mais trop peu sont encore les viticulteurs inscrits dans la démarche. Dans l’optique du dossier d’inscription des paysages de Champagne au patrimoine mondial de l’UNESCO, il serait plus pertinent que toute la Champagne s’engage dans une démarche HVE, de niveau 1 ou 2 dans un premier temps, en sachant que le véritable agrément HVE qui est le niveau 3, mettra des décennies à être obtenu. De façon générale pour Sébastien Sanchez, ces démarches environnementales champenoises, quel que soit leur stade d’avancement, souffrent encore d’un manque de communication.
Dossier par Egmont Labadie