’augmentation générale de la quantité d’alcool contenue dans les vins serait plus liée à une orientation œnologique qu’à une réalité climatique. C’est du moins ce qu’avance l’Association Américaine des Economistes du Vin (AAWE) dans sa récente étude, qui s’intitule : « le splendide mensonge : les fausses déclarations affichées à propos du degré d’alcool élevé et croissant des vins. » Le titre alcoométrique d'un vin joue de plus un rôle d'importance dans les étapes de sa commercialisation et cette enquête montre que si les degrés montent dans les vins, ils auraient tendance à être de moins en moins vrais sur l'étiquette...
(Image : création Vitisphere)
L'étude et ses résultats sur l'augmentation moyenne des degrés alcooliquesCette enquête, menée sous la houlette de Julian Alston (professeur d’économie agricole à l’University of California Davis) a été déclenchée par le constat suivant : la teneur moyenne en sucre des raisins californiens a augmenté de 11% entre 1980 et 2007 (passant de 21,4 degrés Brix à 23,8°B). Les chercheurs californiens se sont demandés si cette élévation se retrouvait telle quelle dans le degré d’alcool des vins obtenus et si cette évolution était plus liée au changement climatique qu'à des pratiques culturales visant à obtenir des produits mûrs et structurés.
Cette étude s’est basée sur les contrôles menés systématiquement par le Liquor Control Board of Ontario (LCBO), monopole d’état des vins vendus en Ontario. Les résultats de 16 années (1992-2007) de tests ont été utilisés. Ce qui représente 91 432 échantillons (approximativement 2/3 vins rouges et 1/3 vins blancs), pour 11 pays (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Canada, Chili, Espagne, Etats-Unis, France, Italie, Nouvelle-Zélande et Portugal). Les vins de liqueurs, ainsi que ceux ayant une forte acidité volatile ou des teneurs en sucre résiduel importantes, n’ont pas été retenus dans l’étude.
La variation des degrés alcooliques moyens de différents pays (et régions viticoles) a été modélisée. Dans le cas de la France (25 598 échantillons), le degré alcoolique moyen s’est accru de 0,0667 degrés par an pour les vins rouges (soit 1° sur 16 ans) et de 0,0312°/an pour les vins blancs (soit 0,5° entre 1992 et 2007). Tous les autres pays étudiés ont connu une hausse de leurs degrés plus importante, à l’exception de l’Italie. Seuls trois pays maintiennent des titres alcoométriques en moyenne inférieurs à ceux français: le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Portugal.
Au niveau mondial, le degré alcoolique moyen des vins a augmenté de 1,1° sur les 16 ans étudiés, passant de 12,7° à 13,8°. On remarque dans ces données (statistiquement validées) que les vins blancs ont en moyenne 0,5° que les vins rouges et que les vins du Nouveau Monde présentent généralement 0,63° d’alcool de plus que les vins de l’Ancien Monde.
Degré alcoolique rimerait plus avec volonté œnologique que changement climatiqueLes données climatiques des pays/régions ont de plus été récoltées et condensées avec la formule du Heat Index (HI, indice de chaleur anglo-saxon, exprimé en degrés Fahrenheit, °.F). Les chercheurs ont mis au point des modèles statistiques (validés par des résultats significatifs) visant à corréler HI aux évolution des degrés alcooliques. D’après les résultats trouvés, l’indice de chaleur (prenant en compte la température de l’air et son humidité relative) ne peut être le facteur explicatif suffisant pour expliquer la croissance continue des degrés alcooliques des vins. Les valeurs de HI n’ont pas assez augmenté dans les zones étudiées, spécialement aux Etats-Unis et en Australie. Selon l’étude, il aurait fallu un accroissement des températures bien plus important. Pour le cas de la France, il aurait fallu une augmentation de 20°F (approximativement 6,6°C) en moyenne durant la période végétative pour expliquer le degré d’alcool supplémentaire des vins rouges.
On peut reprocher à cette étude de ne pas utiliser d'autres données climatiques agronomiques pour étayer son propos. En effet elle pourrait être plus étoffée avec l'utilisation des Indices de Huglin, de Sécheresse ou de Fraîcheur des Nuits. De même si de nombreux échantillons ont été mesurés, il n’y a pas forcément eu répétitions, millésime après millésime, des mêmes propriétés, donc des mêmes variétés, donc des mêmes terroirs, etc. Ce qui ajout un biais cultural (et culturel) au biais climatique.
Mais si ces résultats restent fragiles, ils indiquent cependant (et assez clairement) que le changement climatique n’est pas le principal facteur de l’augmentation de la teneur en alcool des vins (même si cela ne veut pas dire que l'un n'est pas lié à l'autre). Les chercheurs américains retiennent l’hypothèse que ce serait la conséquence d’une démarche humaine volontaire, dans le but d’obtenir des produits conformes aux goûts des consommateurs et des prescripteurs.
Le titre alcoométrique (sciemment ? ) mal évalué sur les étiquettesSi les pratiques viticoles et œnologiques cherchent volontairement à obtenir des produits plus structurés, l’augmentation du degré d’alcool est quant à elle aussi subie qu’indésirée pour le vigneron. Ainsi, les erreurs récurrentes que l’étude américaine à relevé entre les degrés affichés sur l’étiquette et ceux mesurés en laboratoire ne paraissent pas innocentes, mais plutôt conscientes. D’après l’enquête menée sur les vins de la LCBO, 58% des 91 432 bouteilles affichaient une teneur en alcool sous-estimée (seul 10% des vins testés déclaraient une teneur exacte).
Pour les flacons où l’estimation était inférieure à la teneur réelle, l’erreur moyenne était de - 0,42° pour un degré réel de 13,2 dans le cas des vins blancs et de 13,7 pour les vins rouges. Alors que dans le cas des vins où il y avait surestimation (32% des échantillons), l’erreur moyenne était de + 0,32 pour un degré réel de 13,1 pour les rouges et de 12,6 pour les vins blancs. Il est à préciser que de tels écarts ne sont pas illégaux. En effet, la mesure exigée n’a pas à être exacte (en France on tolère un écart de +/- 0,5 %.vol, aux Etats-Unis la tolérance est de +/-1,5%.vol), notamment à cause d’impondérables liés à la fiabilité des outils de mesure, au temps de latence entre l’échantillonnage et la mise en bouteille...
Mais on perçoit dans ces données des tendances qui semblent nettement choisies. Comme l’équipe du professeur Alston l’énonce, on peut supposer que les entreprises viticoles de taille conséquente (généralement les plus représentées à l’export et donc dans l’échantillon du LCBO) ont une idée précise de leur degré alcoolique. On peut donc raisonnablement penser que l’affichage d’un degré non conforme sur les étiquettes est en général fait en connaissance de cause.
Le paradoxe de la maturité et la norme alcooliques des vinsL’étude américaine se focalise sur le cas de la sous-estimation et de ses raisons fiscales et commerciales. En France les douanes imposent une taxe de 3,55 euros par hectolitre dans le cas des vins tranquilles (en plus de la TVA à 19,6%), mais aux Etats-Unis les taxes domestiques sont proportionnelles aux degrés affichées sur la bouteille. Il en est généralement de même à l’export, avec les droits d’excise (d’où le contrôle des services de répression des fraudes comme la LCBO). Prendre le risque de sous-estimer son degré alcoolique pourrait donc être un choix simplement économique.
Il paraît cependant plus judicieux de penser que la sous-estimation soit liée à un « paradoxe de la maturité. » On imagine ici le vigneron comme étant schizophrène. Il doit d'une part répondre à une demande globalement orientée vers des produits aromatiques et structurés, tandis que le consommateur ne veut pas de vins à forts degrés (suite à des pressions hygiénistes d’ordre sociales et gouvernementales). Comment alors obtenir un raisin dont la maturité concilierait une maturité phénolique complète (anthocyanes, arômes...) et une teneur en sucre modérée ? Avec les cépages actuellement disponibles (la création variétale pourrait résoudre cette énigme), cela semble impossible. A défaut d'être éthique, modifier (dans le cadre légal) son étiquette reste finalement la solution la plus simple.
Du moins tant que le consommateur n’était pas au courant et que les distributeurs jouaient aux hypocrites. Depuis le 24 avril 2011, le San Francisco Chronicle affiche les degrés alcooliques annoncés et réels des vins qui sont dégustés dans ses colonnes. Les 15 vins dégustés dans ce numéro sous-estimaient en moyenne de 0,5° leurs teneurs en alcool. Cette affaire a un impact retentissant, et le magazine anglais Decanter fait de même depuis le 27 avril. Guy Woodward (rédacteur en chef de Decanter) déclare avoir choisi cette orientation afin de mieux informer ses lecteurs dans le cadre responsable « des limites légales au volant et du problème même de l’intoxication. »
Si l’on s’éloigne de ces aspects politiques et que l’on prend un point de vue plus global, on pressent une aspiration à la normalisation alcoolique des vins. Ainsi, les vins blancs auraient tendance à afficher un titre alcoométrique de 12,5°, tandis que les vins rouges viseraient la mention de 13°. C'est à dire les degrés classiques, attendus pour ces produits.