e salon international des vins de Bordeaux est un peu au monde du vin ce que les élections présidentielles sont aux nations. Comme les secondes, Vinexpo se prépare et s’annonce par une tripatouillée de sondages. Les voici donc. Cette année, les femmes, cette belle trouvaille marketing, en sont les vedettes. On nous promet aussi, pour l’inauguration, la première chaîne télé dédiée au vin. Sans que l’on puisse établir un lien, deux bloggeurs et journalistes du vin, mettent finement le pied dans le plat du système, l’un pour proposer sa réforme des AOC, le second pour dénoncer les faux-semblants médiatiques des primeurs de Bordeaux. Wine Spectator nous offre une intéressante remontée dans le temps. Les compétitions, palmarès et classements ne doivent rien à notre monde moderne. Bonne semaine.
Catherine Bernard
Gloire et beauté : la sondinite de VinexpoCela a commencé il y a deux semaines par une mise en jambe ressemblant à l’art d’enfoncer les portes ouvertes. « Contrairement aux idées reçues, dévoile l’Express, les Françaises ne sont pas moins expertes en vin que les hommes ». Le magazine, qui manifestement reprend mot pour mot, les termes du sondage détaille : « Plus de la moitié des Françaises (53,2%) estime connaître ce domaine aussi bien que leurs homologues masculins », et « certaines (31,4%) savent même choisir une bouteille seule et sans conseil». On appréciera le très commerçant « même ». Enfin, « à l'instar de leurs maris ou de leurs amis, 70% des femmes savent distinguer les origines et les terroirs qui leur permettent de sélectionner une bouteille de choix ». L’étude a été menée auprès de « près de 10 500 femmes âgées de 18 ans et plus dans cinq pays différents, à savoir la France, le Royaume-Uni, Hong Kong, l'Allemagne et les Etats-Unis ».
Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas de pouvoir lire également les résultats de ce sondage sur le site bouriser, boursier.com. Ainsi affranchis, on apprend dans Le Figaro que « contrairement à une idée répandue qui voudrait que les femmes consomment majoritairement du vin blanc, c'est "le rouge" qui décroche la palme (51,1% contre 26,4% pour le blanc), notamment chez les femmes de plus de 46 ans (58%) ».
Last but not least, nous accroche Le Parisien « deux tiers des femmes trouvent que le vin joue un rôle important au cours d'un rendez-vous amoureux. Près de 68% des personnes sondées trouvent qu'un verre de vin est essentiel pour créer une atmosphère romantique, contre 20% qui peuvent s'en passer ». On notera que cette relation s’avère très culturelle, car, « seulement 10% des Britanniques et 5% des Hongkongaises partagent ce point de vue ». On brûle d’impatience de lire la suite.
Deo Vino dans la hotte de VinexpoAprès les déboires et les ratés d’Edonys avec le CSA, voici Deo Vino, première chaîne dédiée au vin visible sur nos écrans de télé. « « C'est le résultat d'un an et demi de combat », claironne Sud Ouest. « Philippe Bernard est le président heureux de la toute nouvelle chaîne thématique Deo Vino. Hier, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), en séance plénière, l'a autorisé à émettre ». La chaîne sera opportunément lancée « officiellement à Vinexpo », mais « commencera à émettre sur le câble et le satellite en octobre ». « À ce jour, 11 personnes installées à Paris sont sur le pont pour confectionner les programmes : reportages, documentaires, œnotourisme, mais aussi un JT quotidien tout en images de quelques minutes. En collaboration avec des associations spécialisées, des émissions de prévention aux excès sont aussi prévues ». On a rien sans rien.
Les pieds dans le platInternet ne contribue pas seulement à rajeunir ou décoiffer le langage policé de la dégustation. Il permet aussi à des journalistes de mettre le pied dans le plat. Ainsi cette semaine d’Hervé Lalau, par ailleurs journaliste de la revue belge In vino, et de Bruno Bravo-Maza. Le premier propose ses « invraisemblables propositions de refonte du système AOC ». Sa réforme tient en dix points, dont certains propres à faire dresser les cheveux sur la tête de la vieille dame INAO si d’aventure certaines de ces propositions frappées au coin du bon sens faisaient leur chemin. Citons en trois pour information : « réduction des aires d’appellation », « renforcement des contraintes techniques », « mise en place des crus exceptionnels hors appellation ».
Le second se moque des derniers effets de manche des journalistes vedettes. Le sujet incriminé ? Les dégustations en primeur de Bordeaux. « En finissant le papier de Michel Bettane, à l'heure où il est est de bon ton désormais de dénoncer le système des primeurs et la folie des augmentations de prix, je l'avoue, j'ai eu en bouche comme un petit goût de juillet 1944 », commence Bruno Bravo Maza. Il témoigne : « Chaque année, à la fin de l'hiver, je reçois au bureau de superbes cartons d'invitations sur papier glacé, mon nom de journaliste du vin y est écrit à l'anglaise, comment refuser ? Il faut bien du courage à ma main "stupide", qui les laisse tomber, un à un, et invariablement, dans la poubelle. C'est bien simple, au moment où Michel Bettane publie "qu'il serait stupide de ne pas participer à ces dégustations", je fais mes comptes : en dix ans, pas une participation officielle, pour y avoir vu ce que j'ai vu, lors de ces primeurs, impossible de publier quoi que ce soit ! Mettons les points sur les i : je ne suis pas seul dans ce cas, d'autres que moi (peu nombreux il est vrai) mais bien plus brillants que moi, longtemps avant moi, ont refusé de participer à la mascarade, au cirque lamentable des primeurs de Bordeaux. » Il conclut : « Lors des primeurs de Bordeaux, les sommes en jeu sont énormes, la valeur des placements financiers, considérable. Se contenter de pousser des cris d'orfraie ne sert pas à grand chose car la "Place", comme on dit, n'engagera aucune réforme aussi facilement. Après tout, pour ceux qui aiment tant faire de l'argent avec du vin de Bordeaux, la terre n'a jamais aussi bien tourné, alors pourquoi changer? »
On notera que très loin de toutes ces mascarades, Stéphanie Lacaze, la correspondante de Libération à Bordeaux, fait entendre une autre chanson. « Denis Reynier, viticulteur à Taillecavat (Gironde) (…) travaille quasiment à perte. Entre 25 et 50% des producteurs du Bordelais sont dans le même cas et connaissent de graves difficultés de trésorerie. Si les propriétés ne disparaissent pas, c’est parce que les viticulteurs ont souvent un conjoint qui travaille ailleurs et fait «bouillir la marmite». Comme tous les vignerons qui produisent du bordeaux générique, Denis Reynier vend la plus grande partie de son vin en vrac à des négociants qui le mettent ensuite en bouteille. Tout se joue durant les quelques semaines de printemps au cours desquelles se font les transactions », lesquelles se font à la baisse.
La mère des bataillesBen O’Donell, chroniqueur du Wine Spectator, nous offre cette semaine une intéressante découverte. « La bataille des vins est un poème qui a été écrit par le poète et écclésiastique Henri d’Andeli en 1224, lequel décrit ce qui pourrait être une compétition de vin ». Néanmoins, écrit Ben O'Donnell, « il s’agit bien davantage d’une bataille », organisée par le roi Philippe Auguste, façon le jugement de Paris en 1976. Soixante dix vins y sont présentés, la plupart issus de France, mais aussi de Moselle, d’Espagne et de Chypre. « Le poème est un prétexte pour nous faire entrevoir ce que nos ancêtres aimaient et n’aimaient pas dans le vin (…) mettant en scène deux juges, le roi Philippe Aguste, et (déjà) un Anglais, un prêtre. Ni l’un, ni l’autre n’échappent à la mode du temps, laquelle est au vin blanc. Le vainqueur de cette bataille s’avère être un vin chypriote. » On finit par aller lire le texte à sa source . « Prenons tel vin que Diex nous done ». Ainsi finit l’histoire.