ans la filière agro-alimentaire, l'échange est inégal entre les partenaires : fournisseurs de facteurs de production (machines, engrais, pesticides...) qui sont souvent des grands groupes industriels, exploitants, fréquemment en entreprise individuelle, contraints souvent de vendre leur production sans pouvoir attendre le moment économiquement optimal et entreprises d'aval – industriels, distributeurs, la plupart constitués en oligopoles et assez puissantes, le plus souvent, pour imposer leurs conditions dans les transactions. Le producteur agricole se trouve ainsi, selon J. Le Quertier « laminé entre ses fournisseurs et ses acheteurs », dont le pouvoir de négociation est infiniment supérieur au sien. De ce fait, sentant leur survie menacée, des producteurs entreprennent parfois des actions violentes contre les distributeurs – on citera, cet été, les manifestations des producteurs laitiers et des arboriculteurs contre la grande distribution en France. A l'heure où le Président du G8 évoque, pour certaines activités telles que la finance, la né cessité d'une régulation, on peut, citant la phrase de Lacordaire « entre le fort de le faible, la volonté opprime, la loi libère », penser que les marchés agricoles – et le marché vinicole en particulier – doivent être efficacement régulés, si l'on veut que l'agriculteur puisse assumer ses tâches traditionnelles de production et de maintien en bon état de la nature. Ce discours, taxé de « passéisme » depuis les Trente Glorieuses reprend vigueur depuis que l'on a découvert l'impératif de l'aménagement du territoire et les mutations écologiques. Examinons donc, dans la filière viti-vinicole, les instruments d'une régulation de l'offre, permettant, pour le long terme, de contenir le risque de surproduction chronique et, pour le court terme, de réduire les fluctuations des prix qui, dans cette filière, sont très « flexibles ». En effet, une variation de l'offre (qui est une donnée imposée dans la campagne : le viticulteur enregistre sa production sans pouvoir la modifier sensiblement en volume ou en qualité) amène une variation en sens inverse du prix plus importante (effet King).
Les instruments de régulation de longue périodeL'objectif d'équilibre d'un marché vinicole dans le long terme est l'adéquation entre les évolutions du potentiel de production et de la demande (qui suit une tendance). Comment peut-on définir et mesurer le potentiel de production d'un vignoble ? C'est pour une campagne viticole donnée, le volume de production qui pourrait être le plus vraisemblablement prévu avant que l'on connaisse les conditions particulières dans lesquelles se déroulera la campagne. On peut aussi le concevoir comme la moyenne des volumes de production qu'il serait a priori possible d'obtenir dans une campagne donnée (les statisticiens évoqueraient l'espérance mathématique de la production de cette campagne). On estime, pour chaque campagne, ce potentiel par le traitement statistique des résultats des productions (moyennes mobiles notamment). Pour tenter d'apparier, dans le long terme, le potentiel productif et la demande, on dispose d'outils permettant de réguler ce potentiel. 1) Les arrachages primés En France, déjà, le statut viticole (1935-36) prévoyait la possibilité d'accorder aux viticulteurs qui le demandaient des primes en contrepartie de l'arrachage de tout ou partie de leurs vignes. Les règlements européens successifs ont accordé aux viticulteurs la possibilité de tels arrachages. Au-delà d'inconvénients connus au niveau des exploitations – modification du système de culture, « extensifié » par la disparition partielle ou totale de la vigne, l'arrachage a d'autres inconvénients. D'abord, dans un souci d'amélioration ou de préservation de la qualité des produits, le législateur a prévu, en France dès les années 50, de moduler le montant de la prime en fonction de la « vocation viticole » des terres, cette prime étant plus incitative dans les terroirs classés peu aptes à porter de la vigne. Mais, malgré cette différenciation, traduite au niveau des primes, la décision des prime est, in fine, demeurée individuelle. Et, comme dans la motivation des candidats à l'arrachage, la perception de la prime occupe souvent une place majeure, ceux-ci peuvent être conduits à le pratiquer pour des raisons étrangères à l'objectif de régulation de l'appareil de production : héritage, partage, projet d'investissement hors de la viticulture... Cette dispersion des intentions individuelles explique la répartition aléatoire des « ilots d'arrachage » dans un vignoble qui a pu ainsi apparaître « mité », non sans conséquences pour les investissements collectifs. Comme il paraît peu concevable d'imposer à tous les viticulteurs d'une zone sans vocation viticole l'arrachage de leur vignoble, l'inconvénient précédent perdurera. On a cependant parfois amputé les primes individuelles d'arrachage de sommes allouées aux organismes collectifs (coopératives notamment) lésés par le « mitage ». Quoiqu'il en soit, l'arrachage primé demeure une mesure efficace – elle ampute l'appareil productif – mais grossière – on ne peut pas planifier régionalement les arrachages – et à l'efficacité variable. En effet, d'abord la politique d'arrachage, dans certains pays (Italie, Espagne, Bulgarie) n'a pas été partout complétée par une élimination systématique des plantations « clandestines » (sans droits), ensuite le niveau des primes est parfois insuffisant pour amener l'élimination des vignes les plus productives. Si l'on raisonne sur un plan comptable, en effet, une vigne dont le coût de plantation est amortissable (en 30 ans le plus souvent) ne devrait être arrachée que si le montant de la prime est au moins égal à la valeur résiduelle de la vigne. Or, si une prime ne dépasse pas 30 % du coût initial actualisé d'une plantation, elle ne devrait stimuler au mieux que l'arrachage des vignes dont la valeur résiduelle équilibre la prime – donc en production depuis déjà au moins 21 ans. Les vignes les plus productives échapperaient alors à l'arrachage. Bien sûr, un viticulteur peur décider tout de même d'arracher une vigne dont la valeur résiduelle excède – parfois de beaucoup – le montant de la prime qu'il percevra. Mais, dans ce cas-là, son opération est une erreur financière, sauf s'il peut remployer la somme que lui procure la prime dans une entreprise très rentable ou si son bien-être est à ce prix. Mais alors se soucie-t-il de la contribution qu'il peut apporter à la régulation du marché ? 2) La limitation réglementaire de la production Elle est mise en oeuvre notamment dans le domaine des appellations, dans un souci d'optimisation de la qualité. Elle peut être décidée dans le cadre d'organismes professionnels ou interprofessionnels pour ajuster annuellement l'offre à la demande (dans ce cas, il s'agit de dispositions conjoncturelles – voir plus loin). On peut ainsi limiter les productions de qualité, mais, généralement, on n'interdit pas le dépassement des rendements plafonds -ou des plafonds limites de classement (PLC). Mais le volume correspondant à ce dépassement prend une autre destination : le déclassement – le vin est commercialisable dans une catégorie de moindre notoriété – ou la distillation. Le déclassement ou la distillation de ces surplus contribue à valoriser la part de la production qui a été plafonnée. Mais si le plafonnement du rendement d'un vignoble se fonde sur l'hypothèse d'une corrélation négative entre quantité produite et qualité, pourquoi alors le supplément de production ne serait-il seul déclassé ou distillé ? 3) L'octroi de droits de plantation Dans les régions de vins de qualité dont la demande progresse alors que les rendements sont plafonnés, on peut – légalement ou naturellement – solliciter l'attribution de tels droits. Dans certaines régions, des autorisations de plantation ont toutefois pu aboutir à l'extension d'un vignoble sans nécessité économique et conduire ainsi à un déséquilibre du marché de ses produits.
Les outils de régulation conjoncturelle :Ceux-ci visent, en agissant sur les volumes produits, à limiter à chaque campagne, les fluctuations de prix et, de ce fait, à maintenir, autant que possible, les prix à des niveaux supérieurs à ceux des coûts. 1) L'établissement d'un volume maximum commercialisable Cette mesure est mise en pratique par certains groupements interprofessionnels, notamment pour des productions de grande qualité. Chaque année, on détermine ce volume maximum en fonction de la demande attendue et on le répartit entre les viticulteurs. Les vins produits au-delà de ce volume sont destinés à des usages moins rémunérateurs (vente comme vins de table ou de pays, distillation, élaboration de jus...). Les interprofessions de Champagne et de Cognac, produits de très haute qualité, régulent leur marché annuel en prédéterminant un volume maximum de raisin transformable en vin champagnisé ou en vin distillable pour la production d'eau de vie d'appellation. La mise en pratique de telles régulations suppose que le potentiel productif viticole régional est tel qu'une faible récolte puisse approvisionner suffisamment le marché et qu'une récolte abondante n'amène pas une hypertrophie des volumes non destinés à l'utilisation principale. En Champagne, alors qu'en 2009, on a du réduire de 30 % le volume de raisins à partir duquel on pouvait élaborer le produit noble, les ventes baissant (-13 % en 2008 et 2009) on craint qu'en 2011, après une embellie des ventes (+9 % en 2010), certains opérateurs connaissent des difficultés d'approvisionnement, même si la totalité de la récolte est affectée à la production de vins mousseux d'appellation. Sur le marché des produits prestigieux, il peut être difficile, avec un potentiel de production évoluant lentement, de satisfaire une demande en « dents de scie ». 2) Le stockage Il figurait déjà parmi les mesures de régulation prévues en France par le statut viticole (1935-36), une partie de la récolte devait être bloquée dans les chais en début de campagne et on échelonnait les ventes, des « tranches » du stock étant débloquées périodiquement (la périodicité pouvait être modifiée en fonction du niveau des prix), un stock résiduel pouvant être conservé. La conservation d'un stock de vin au-delà d'une campagne excédentaire dans le but de l'utiliser pour renflouer l'offre d'une campagne déficitaire paraît bénéfique pour les prix : vue leur flexibilité, on atténue leurs fluctuations et surtout leur baisse en période d'abondance. Le stockage d'une part de la récolte, hors stock de vieillissement est prévu dans certaines organisations de marchés de vins de qualité. Dans la réglementation communautaire, le stockage volontaire individuel sous contrat assorti de primes est apparu plus comme une aide au financement des stocks que comme un outil de régulation du marché. Le processus de stockage-destockage peut être efficace pour stabiliser les prix sur un marché équilibré dans le long terme. Mais le volume stockable peut être limité par certaines capacités individuelles de cuverie dans le cas d'une succession de plusieurs récoltes abondantes (ce qui s'est produit) ou par les possibilités de financement individuel du stockage dans le même cas. Sur un marché chroniquement excédentaire, le stockage-destockage est une mesure de régulation insuffisante. 3) La Distillation Cette mesure diffère de la précédente en ce qu ‘elle élimine le produit du marché (pour le transfèrer dans un autre, existant ou à créer) et qu'elle n’a pas de « symétrique »: sur un marché équilibré, si, après une récolte pléthorique, on distille une partie de celle-ci, on devra, pour rétablir l’équilibre après une récolte déficitaire, recourir à des importations. a) Les distillations qui alimentent un marché C’était le cas, dans l’UE, de la distillation à « alcools de bouche » qui a contribué dans la vente d’eau de vie et de brandies. Grâce à l’aide communautaire, les eaux de vie de vin ont pu concurrencer les alcools de fruits ou de grains produits à bas prix ou les brandies à base de mélasse (élaborés en grands volumes en Inde). La suppression de l’aide à cette distillation a très fortement rétréci le débouché des eaux de vie produites dans l’Union européenne. Et comme les volumes de vins apportés à cette distillation ont souvent largement dépassé 10 millions d’hl pour une campagne, la contrepartie de cette suppression devrait être l’arrachage, de 150 à 200 millions d’ha (l’équivalent de la surface viticole des pays du haut et moyen Danube, Allemagne, Autriche, Slovaquie, Hongrie) b) Les distillations de soutien Celles-ci ont pour objectif de soutenir les prix en ponctionnant l’offre d’un volume de vins qui sera distillé et vendu généralement à prix non rémunérateur pour être affecté à des usages souvent non alimentaires. i. La distillation pour dépassement du PLC (cf. supra) Dans la panoplie des mesures prévues dans la réglementation européenne figurait cette distillation (cf. supra) à côté des deux distillations suivantes : ii. Les prestations d’alcools viniques Pour éliminer les sous-produits (marcs, lies, bourbes) de la vendange à vinifier, on peut utiliser divers moyens : élaboration de matière organique en Allemagne, distillation dans d’autres pays. Cette distillation a une double incidence sur le volume vinifié d’abord (on ponctionne l’offre du volume de matières vinifiables, que l’on élimine) et sur la qualité des vins (l’opération « assainit » la vendange). On peut évoquer ici une situation paradoxale, dans les régions de productions d’eaux de vie de qualité, où l’on peut conserver les vins destinés à l’alambic sur leurs lies et leurs boues, pour améliorer la qualité des alcools. Dans ce cas, on doit assurer les prestations d’alcools viniques en livrant des vins à la distillation. Ceci apparaît alors non comme un moyen d’« assainir » la vendange mais comme une simple opération de réduction de l’offre. iii. La distillation de crise Elle avait été prévue comme une «opération coup de poing » destinée, dans une région donnée, à faire face à une situation de pléthore dangereuse pour l’équilibre du marché. Pour les opérations soient économiquement efficaces, cette distillation devrait être effectuée en début de campagne. Or, du fait des lenteurs administratives et parfois de la tardiveté des demandes de la viticulture, elles interviennent tard dans la campagne et ne peuvent alors avoir que peu d’incidence sur les prix de cette campagne. L’intérêt de l’opération, pour le viticulteur, réside alors seulement dans la perception de l’aide publique. Le dernier règlement communautaire simplifié heureusement la procédure d’attribution : la mesure est prise au niveau national, et son financement est prélevé sur l’enveloppe attribuée annuellement par l’UE à chaque pays membre. Mais la mise en oeuvre et le financement de la distillation de crise figurant dans les affectations des « enveloppes » nationales, à côté d’autres mesures, ce financement est lié à un arbitrage national. Cela peut contribuer à raréfier les opérations de distillations de crise. L’exécution des opérations de régulation conjoncturelles des marchés vinicoles doit être prévue et réalisée en temps optimal pour qu’elle ait un effet amplificateur, faute de quoi ce financement n’est qu’une subvention.