oici une revue de presse monothématique : la reconnaissance par l’Unesco de la gastronomie française, à moins que ce soit tout simplement le repas, comme patrimoine immatériel de l’humanité. Ce particularisme s’inscrit dans un inventaire à la Prévert des rites, us et coutumes, au côté de, pour ce qui concerne aussi la France, la dentelle d’Alençon, le compagnonnage, et la fauconnerie. On notera qu’à la différence de la gastronomie, ces derniers ne mobilisent pas les foules. Je ne sais si nous avons gardé l’art du bien manger, mais nous avons, assurément, gardé le goût d’en parler. Car au son des tambours et trompettes, la nouvelle est retentissante. Elle l’est aussi à l’étranger où la presse semble aussi accorder aux Français cette bizarrerie. Chacun se demandera : diable, que veut-on au juste préserver et transmettre ? Bonne semaine. Catherine Bernard
Tout ça pour quoi ?Dès dimanche, quelques jours avant l’examen de la candidature française, le JDD demande : « Tout ça pour quoi? ». Et fait répondre par Francis Chevrier, cheville ouvrière de ce classement: « D’abord faire comprendre aux Français que la cuisine est une culture qu’il convient de préserver et de transmettre aux générations futures". Le ton est donné. Le jour même de l’inscription, L’Express dévoile les « coulisses » de cette reconnaissance. Pour l’emporter la France a présenté au comité intergouvernental de l’Unesco réuni à Nairobi « 16 pages -annexes comprises- au style clair et concis, accompagnées de 10 photos et d'un film de 9 minutes 40 vantant la convivialité à table sur fond d'accordéon ». Cette reconnaissance s’accompagne d’une certaine ambivalence. L’Express raconte : « Le 16 octobre 2008, un déjeuner est organisé à l'hôtel de Lassay (résidence du président de l'Assemblée nationale) pour célébrer la candidature française, à l'initiative du journaliste et écrivain gastronomique Christian Millau. Aux fourneaux, un quatuor de renom -Michel Guérard, Joël Robuchon, Marc Veyrat et Guy Savoy- cuisine pour une centaine de convives. Seul hic: les agapes sont placées sous le haut patronage du président de l'institution, Bernard Accoyer... qui brille par son absence. Ce dernier s'est aperçu à la dernière minute que cette réception en grande pompe avait lieu à la même date que la Journée mondiale de l'alimentation, dont le thème était : "Unis contre la faim". A Jean-Robert Pitte, autre artisan de ce classement, le quotidien La Croix demande donc ce qui distingue la cuisine française des autres : « Ses rituels, ses pratiques, ses traditions vivantes et une certaine manière d’être à table. Une façon de dresser la table, de s’y installer, de goûter des saveurs particulières qui ont une personnalité, de valoriser les différences d’une région à l’autre. Associer certains vins à certains plats est une invention française. De même que le déroulé qui va des entrées au dessert et impose le pain, le vin et le fromage ».
Et le politique dans tout ça ?Il s’avère que ce classement revêt une dimension politique, de la res republica aux cuisines politiciennes. Dans un article remarquable d’équilibre , Perrico Legasse, journaliste gastronomique de Marianne, pointe : « La nouvelle est de taille, considérable, historique. D’abord parce que, au moment où le chef de l’Etat prend des distances avec le concept d’identité nationale, la plus humaniste des instances internationales sacralise ce qui symbolise le mieux l’identité nationale française, sa gastronomie ». Néanmoins, et sans que cela vienne contredire Legasse, Jean-Claude Ribaut relève dans Le Monde que les parlementaires s’adonnent à une récupération assez malvenue : « L'un des aspects majeurs de ce dossier est la convivialité liée à la pratique de repas festifs au cours desquels l'usage est "de bien manger et de bien boire". Il y a de quoi s'interroger sur le soutien sans réserve des parlementaires ». Ribaud poursuit : « La classe politique française a pris, depuis trente ans, ses distances avec le vin et la table. Il s'agit là d'une rupture spectaculaire avec une tradition établie depuis le milieu du XIXe siècle. En France, l'appareil d'Etat – naturel tuteur régalien de la vigne et des vignerons –, son bras armé : le fisc, la cohorte des gendarmes, le corps médical, allié des ligues de vertus abstinentes ainsi que des laboratoires pharmaceutiques, tous voient rouge à propos du vin français ! Ils prétendent éradiquer la pratique du vin, le ravalant au rang de produit toxique et mortifère, à mettre au plus vite dans la catégorie des drogues et stupéfiants ». A la politique française, il oppose l’option espagnole : « Depuis juillet 2003, le secteur vitivinicole espagnol est régi par un nouveau cadre juridique, la loi sur la vigne et le vin (…)définissant le vin comme un "aliment naturel obtenu exclusivement par la fermentation alcoolique, totale ou partielle, de raisins frais, foulés ou non, ou de moût de raisin". Le vin, en tant qu'alcool de fermentation, est ainsi distingué des alcools de distillation, comme la tequila, le gin, la vodka ou encore le whisky ». Perrico Legasse, toujours, conclut sur un rappel des faits en forme d’avertissement : « Sans paysans, pas de produits. Sans produits, pas de cuisine. Sans cuisine pas de gastronomie. Donc, sans paysans, pas de gastronomie. Il est là le trésor à préserver. Le repas gastronomique des Français, c’est celui qui met ces richesses en valeur et permet de les partager autour de la table dans un acte sensoriel et convivial qui rend hommage aux êtres humains qui se donnent du mal pour notre plaisir. Tel est le message culturel de cette heureuse et grande nouvelle. Veillons à ne pas le galvauder et à ne jamais le trahir ».
Ce qu'en dit la presse étrangèreOn aurait pu s’attendre à une volée de bois vert, à une stigmatisation de notre arrogance naturelle, mais non. Correspondant du Telegraph à Paris, Henry Samuel, note que cette revendication est centrée sur « les rituels sociaux des repas festifs dans un pays où la cuisine fait partie de la vie sociale ». Non sans humour, il relève que « le fait que les Français ont tendance à parler à l’inifini de ce qu’ils mangent, de recettes et de plats mémorables tout en mangeant, est l’un des critères de distinction ». Des Etats-Unis, Scott Sayare retient dans le New York Times que ce classement répond « à la crainte que des siècles de panache culinaire disparaissent ». Pour les auditeurs de la BBC, Emma Jane Kirby est allée au ras des potagers et des fourneaux voir ce qu’il en retourne. Elle raconte sa rencontre avec M. et Mme Bonne (le hasard a de ces hasards) présentés un peu comme M. et Mme toutlemonde : « Monsieur Bonne m’a fait faire le tour de son potager qu’il entretient et qui l’entretient, puis il m’a montré les quatre poules qu’il a gardé pour leurs œufs. (…) Autour d’une généreuse tartine beurrée d’une pâte de noisette maison et d’un gâteau au chocolat, Madame Bonne m’a dit qu’elle a appris à cuisiner tous les plats célèbres sur les genoux de sa mère mais craint que la cuisine française meurt si elle n’est pas protégée ». Peut-être mieux que nous-mêmes, cette journaliste anglaise a-t-elle cerné ce qui caractérise notre relation à la table.
Ce que des Français en disentLe quotidien Le Monde a eu la bonne idée de lancer « un appel à témoignages » des lecteurs sur « le repas à la française autour d’une table » . Bingo ! Voici ce qu’en dit Julien G : « Le repas gastronomique en tant que pratique sociale coutumière est bien plus riche que la seule cuisine française : il inclut le marché où l'on va acheter les produits des producteurs indispensables au repas et non pas le supermarché. La cuisine est dotée d'une foule d'ustensiles et non pas d'un four micro-ondes et de deux plaques, on prépare le repas sans utiliser de surgelé. Il s'agit de la cuisine au sens de la qualité du repas préparé. Le vin, le plateau de fromages, le dessert doivent aussi être présents. C'est également un apprentissage, on mange tous à table en même temps et pas devant son ordinateur, on coupe son portable, on attend que tout le monde soit servi pour commencer, que tout le monde ait fini pour se lever ». Jeune active parisienne, Hermione P, plonge manifestement avec joie dans les souvenirs : « C'est un repas comme on l'a toujours fait lorsque j'étais petite : autour d'une table, avec des amis ou en amoureux. Un petit apéro pour commencer, qui peut éventuellement servir d'entrée avec quelques amuse-bouches maison, un "vrai" plat avec une viande préparée, des légumes, un plateau de fromages et un petit dessert ou des fruits. Le tout accompagné d'un bon vin ». Et pour vous ?