'AOC Crémant de Bourgogne est la seule appellation bourguignonne gérée par une ODG interprofessionnelle, l'UPECB. Le délégué général de cette dernière, Pierre du Couëdic, nous explique le positionnement des crémants bourguignons, le rôle économique et viticole pour la région d'une production passée de 70 000 à 130 000 hl en dix ans, ainsi que les mesures qui permettent d'en assurer tant la qualité que la protection du nom.
Nos ventes ont lieu aux deux tiers en France, mais sur ces dernières, la grande distribution ne représente que 59% des ventes (7,2 millions de bouteilles sur 12,2 millions), en raison de l’importance de la vente directe. La moitié des viticulteurs bourguignons produisent du raisin pour le crémant, soit en vente de raisin, soit en confiant le raisin à vinifier à un élaborateur. Ce sont souvent de petits volumes, pour des vignerons qui ont une gamme de trois à dix AOC tranquilles, et qui référencent une cuvée de Crémant de Bourgogne. C’est une façon de diversifier un peu la gamme : quand les clients vont au domaine en fin d’année, ils prennent aussi du crémant. En général ce sont de petites cuvées (3 à 5000 bouteilles), mais le phénomène s’est beaucoup développé depuis qinze ans, et plus de 800 domaines sont concernés aujourd’hui ! Au total, les volumes sont relativement importants, puisqu’en 2009, la vente au domaine indépendant représentait 1,7 millions de bouteilles. C’est moins de 10% du chiffre d’affaires de la plupart des vignerons, mais pour la filière ça représente un certain volume et une diffusion de l’image auprès de la clientèle locale comme des touristes de passage, des gens qui sont sur la route des vacances dans le Sud, et qui s’arrêtent à l’aller ou au retour, des Hollandais, des Allemands, des Belges… Quand on ajoute la vente directe des caves coopératives et des négociants, qui représente en tout 1,8 millions de bouteilles, on aboutit à 3,5 millions de bouteilles en vente directe, soit plus de 29% du total des ventes en France.
Comment le Crémant de Bourgogne peut-il se différencier de la proche Champagne, alors que l'encépagement est proche ?Le gros de la production ce sont des cuvées d’assemblage chardonnay et pinot noir, qui doivent être présents à 30% minimum pour le total des deux, mais nous utilisons aussi l’aligoté et le gamay (à 20% maximum). D’autre part, la complexité des terroirs est inscrite dans les gènes des Bourguignons, ce qui se traduit dans les gammes des élaborateurs, qui n’ont jamais une cuvée unique, et qui font aussi de nombreuses cuvées de petits volumes en mono-terroir, vendues aux alentours de 12 euros, alors que les gros volumes avec un style maison qu’on reproduit sont plutôt vendues autour de 5,5 euros en grande distribution. On trouve même quelques cuvées de luxe, comme celle du domaine de la Vougeraie au Clos Vougeot, vendue 35 euros et vieillie cinq ans sur lattes. Le rosé occupe aussi une part croissante des ventes, 10% du volume, mais presque 15% chez un opérateur comme Louis Bouillot (groupe Boisset). En général il a la structure du pinot noir, mais il est complété par le fruité du gamay.
Quelle est la place du crémant dans l'économie et le vignoble bourguignons ?Premièrement, le caractère interprofessionnel de notre ODG nous a permis de trancher depuis très longtemps certains débats, par exemple sur les équilibres de production. D’autre part, dans l’histoire bourguignonne, les vins effervescents ont permis d’amortir les crises. Ce fut le cas en 1929, où on s’est replié sur les vins effervescents en faisant du Chablis, du Volnay ou du Rully mousseux. Mais ce fut aussi le cas en 2004, année où la production de crémant a explosé pour désengorger le marché des vins tranquilles. Enfin, le crémant permet de rétablir un équilibre entre les terroirs, en compensant les déséquilibres climatiques d’un vignoble étalé sur 300 kilomètres du nord au sud. Le Chatillonais, au nord, s’est plutôt spécialisé dans la bulle, avec certains producteurs comme le domaine Brigand, qui élabore depuis 1920 des cuvées qui peuvent rester quatre ans sur lattes. Au sud, dans le Maconnais, le crémant a pris une part significative, en particulier dans les coopératives : le département d’origine des vins de base des crémants bourguignons de 2009 est à 51% la Saône-et-Loire, dont le Maconnais fait le gros de la production, complétée par la Côte Chalonnaise. Le Beaujolais fournit du gamay, et un peu de chardonnay, qui s’exprime bien sur les terroirs argilo-calcaires, les moins qualitatifs pour le gamay, comme le montrent les cuvées de la cave coopérative Oedoria.
Quels sont les limites du succès actuel du Crémant de Bourgogne ?Les anciens défauts des « mousseux » ont disparu, parce que nous avons maintenant des spécialistes de la bulle, que ce soient des maisons anciennes, comme Picard dans la côte chalonnaise, qui a fait le choix de maîtriser le processus de bout en bout, ou des nouveaux, souvent des maisons de négoce connues, comme Albert Bichot, qui a maintenant du Crémant à sa gamme, fait à partir d’un raisin confié à un élaborateur, comme peut l’être la maison Picamelot, qui travaille en ce moment avec beaucoup de domaines connus de Bourgogne pour produire leur cuvée de crémant. Mais le succès atteint sa limite quand un volume important de vin est destiné au Crémant de Bourgogne à la dernière minute, pour des raisons opportunistes, ce qui provoque un chahut sur les marchés, comme en 2004.
Comment allez-vous remédier à ce genre de difficultés ?D’une part, nous avons actuellement 400 hectares de vignes, sur les 2000 qui produisent du crémant, qui sont spécialisées, en particulier dans le Chatillonais, pour produire à 78 hl/ha (11700 kilogrammes de raisin), notre rendement de base. Ce sont des viticulteurs en contrat pluriannuels, ou des maisons qui ont investi dans le vignoble. Mais ce n’est pas suffisant, et nous avons mis en place, d'autre part, un système d’affectation parcellaire : le viticulteur qui veut produire du vin de base pour le Crémant doit déclarer ses parcelles avant le 31 mars de l’année, ce qui donne lieu ensuite à un contrôle. Si la déclaration est plus tardive, le rendement autorisé est ramené à celui de l’appellation Bourgogne blanc, ce qui est pénalisant et oblige le viticulteur comme l’acheteur à se décider plus vite, et à éviter les fortes variations de production et de prix. Toujours pour stabiliser la production, nous avons créé une réserve interprofessionnelle qui a abouti au blocage de 5hl par ha en 2008-2009. Cette réserve va être débloquée cette année. Enfin, l’ODG a opté pour un organisme de contrôle (OC), certifié COFRAC, parce qu’on ne peut être juste et partie. Cet organisme a visité 400 ha cet été, soit 1200 parcelles, mais aussi tous les centres de pressurage, et fait des prélèvements dans toutes les cuveries. Nous avons aussi maintenu les analyses et les dégustations de toutes les cuvées au terme des 9 mois d’élevage minimum de notre décret.
Vous êtes aussi chargé d'une mission juridique au sein de la Fédération nationale des crémants ; où en est la protection du nom « Crémant » ?Nous avons un travail à faire sur l’identité et l’approche du mot « crémant », mais aussi un travail sur sa définition juridique. La Commission Européenne, qui considérait au début que le crémant était plutôt une recette comme la méthode traditionnelle, nous a incité à démontrer que ce n’est pas le cas, parce que le mot « crémant » n’est pas utilisé seul, mais accolé à un nom de région, il est donc assorti d’une revendication d’origine : quand une nouvelle région revendique le nom « crémant », elle doit rentrer dans le cahier des charges, mais aussi jouer sur la spécificité locale et régionale du point de vue de l’histoire et des cépages. Si on prévoit la possibilité de cuvées en 100% chardonnay dans le décret d’une région où ce cépage n’est pas encore planté, on se contente de surfer sur une mode. C’est aussi pourquoi nous devons écrire bientôt une définition du lien à l’origine au sein de l’association des Crémants de France. D’autre part, nous luttons toujours contre des usurpations venus du Maroc, du Canada, d’Australie, des Etats-Unis. Quant à l’arrivée d’éventuelles nouvelles régions productrices de crémant, la Provence, qui a développé récemment une production d’effervescents, n’a pas voulu rentrer dans notre cahier des charges. Et la Savoie, qui a déposé une demande depuis vingt ans, et qui y avait renoncé, relance aujourd’hui sa démarche.