e millésime 2009 fait bondir les prix des grands crus : le niveau des prix de 2005 constituait un record, il est battu. Faut-il s'en réjouir ou au contraire s'indigner quand une toute autre viticulture bordelaise reste engluée dans la crise ?
Pour le millésime 2009, comme pour tous les millésimes, l’Union des Grands Crus de Bordeaux n’a imposé aucune ligne directrice. Ce n’est pas son rôle. Chaque producteur analyse la demande de sa propre marque avec l’aide des courtiers de la Place de Bordeaux. Il doit tenir compte de l’ensemble de l’offre et de la demande des grands crus, de son propre historique de marché et de prix, et de la demande de chacun des négociants. C’est de cette façon que sont fixés les prix des vins à chaque nouveau millésime. Producteurs, courtiers et négociants sont partenaires dans la mise en marché de la récolte primeur.
[ Photo : newbordeaux.com ]
Nous étions dans une conjoncture favorable à plus d’un titre. Tout d’abord, nous avons eu en 2009 un millésime d’une qualité véritablement exceptionnelle, certainement un des plus beaux de ces cinquante dernières années. Une très très grande année, à n’en pas douter et tous les critiques du monde s’accordent à le reconnaître. La demande est bien là. Le climat a été d’une régularité parfaite jusqu’à fin de l’été avec un beau temps chaud et des nuits fraîches qui ont permis une maturation dans des conditions optimales. 2009 est aujourd’hui apprécié sur tous nos marchés, en raison de son équilibre magnifique et de son élégance reconnue par tous. En outre, ce millésime exceptionnel est arrivé alors que nous venions de subir trois années consécutives de baisse des prix, dont une particulièrement marquée en 2008. Il importe donc de mieux situer la hausse des prix observée sur le millésime 2009 en comparant ces derniers aux prix de 2005. Par rapport à 2005, les prix ont augmenté d’environ 20 % pour les plus grands crus et de 10 % pour la plupart des vins. Il faut également tenir comptedu travail de fond très important, mené sur le terrain par l’ensemble des grands crus. En 2009, nous avons organisé près de cinquante manifestations à travers le monde. Un producteur de grand cru de Bordeaux passe aujourd’hui près d’un tiers de sa vie à l’étranger pour affirmer sa présence sur les marchés export. Ce travail de terrain a porté ses fruits et nous avons toutes les raisons de nous en réjouir. Enfin, si on considère que la situation économique est globalement meilleure, tous ces éléments concordent vers une campagne à succès pour le millésime 2009. 90 % des volumes mis en marché pour la campagne des primeurs sont déjà vendus. On peut dire aujourd’hui que les 2009 ont trouvé leur marché.
Comment sont déterminés les volumes mis en marché en primeur ?Le choix revient à chaque propriétaire, qui arbitre en fonction de sa perception du marché et des recommandations des courtiers. Le plus difficile est de contenter tout le monde… Par principe, sur un beau millésime, on favorise ceux qui ont fait du bon travail pour nous dans les années difficiles. Heureusement nous avions aussi, pour cette année exceptionnelle, un peu plus de quantité que l’an dernier, ce qui a permis aux châteaux d’ajuster les allocations accordées aux principaux négociants.
Pensez-vous que la hausse des prix du millésime 2009 affichée par les grands crus accentue encore la crise d'une autre viticulture bordelaise ?Aujourd’hui, dans le Bordelais et ailleurs, la viticulture d’entrée de gamme est en grande difficulté. Mais cela ne date pas aujourd’hui ou d’hier et il n’y a pas lieu de relier ce phénomène à la campagne qui s’achève. Il va s’intensifiant depuis plusieurs années. Les producteurs des autres régions viticoles ont souvent bâti des politiques de marques avec des budgets de promotion très importants. La structure actuelle de notre viticulture est trop atomisée pour soutenir cette concurrence et les coûts de production sont trop élevés. Cette concurrence est mondiale. De plus, le marché français est en constante régression, alors qu’il représente 68% des ventes en volume pour les vins de Bordeaux. Les grands crus, eux, réalisent 70 à 80% de leurs ventes à l’export. La situation est différente.
Pensez-vous au contraire que le millésime 2009 soit une opportunité pour l'ensemble de la filière ?Je suis plutôt optimiste, car des actions se mettent en place pour soutenir l’ensemble de la filière à Bordeaux. Je pense notamment au programme très ambitieux que l’équipe du CIVB a mis au point sur quatre axes forts et qui doit être présenté la semaine prochaine. Ce sera, à n’en pas douter, un outil majeur pour le redressement de la filière dans son ensemble. Il y a d’autres signaux positifs et notamment la réflexion ouverte entre les négociants et les viticulteurs pour sortir ensemble d’une situation qui a tout d’une impasse. Enfin pour la renommée de Bordeaux et de toute sa filière vin, le succès de 2009 est extrêmement important. Car nous parlons pour l’instant des acheteurs et de l’accueil des professionnels, peu de consommateurs ont encore rempli leurs caves. Or Bordeaux fait déjà la une dans tous les pays du monde avec ce millésime exceptionnel. Cette campagne nous permettra de vendre l’ensemble de la production du 2009 mais également de relancer les 2008 et les 2007, qui s’étaient vendus avec plus de difficulté.
La production va-t-elle être amenée à se rapprocher des consommateurs finaux, notamment via l'oenotourisme ?Nous y travaillons tous concrètement. L’Union des Grands Crus organise, par exemple, tous les ans au printemps, un « week-end des Grands Amateurs » ou nous recevons plus de 1200 personnes pour une dégustation exceptionnelle et d’inoubliables moments de convivialité. Le CIVB est également aujourd’hui fortement impliqué dans cette réflexion générale. D’autre part, je crois beaucoup à la dynamique impulsée par le maire de Bordeaux Alain Juppé, avec la création du Centre Culturel du Vin ; ce dernier devrait accueillir 500 000 visiteurs par an et permettre des éclairages sur toutes les appellations bordelaises, y compris celles qui ont du mal à vendre du vin. Je reviens de Bourgogne où des propriétés comme le Château de Pommard reçoivent de nombreux visiteurs et constituent des listes d’acheteurs particuliers qui leur permettent de vendre 85 % de leur production en direct. Nous gagnerions à nous inspirer de ce modèle et à l’adapter en faisant appel à des professionnels compétents, des négociants spécialisés dans la vente directe par exemple, car le viticulteur n’est pas forcément apte à gérer cette activité. A plus d’un titre nous avons donc besoin d’un véritable dialogue entre les diverses familles de la profession. Ce dialogue est aujourd’hui bien entamé. J’ai bon espoir car j’observe en la matière une volonté qui ne tient plus seulement du constat, mais qui aboutit dans des actions et des décisions. Un vrai pas en avant a été fait et cette campagne 2009 tombe au bon moment.