'est une première, suffisamment intrigante pour faire cette semaine le tour des media : un corbeau a menacé d'empoisonner les vignes du vignoble le plus célèbre au monde, la Romanée Conti. En voilà au moins un qui sait reconnaître la valeur du patrimoine. C'est ce que reconnaît aussi Angela Merkel, la chancelière allemande, dans un discours flamboyant prononcé lors d'un salon, à nous faire pâlir de jalousie. Drôle de patrimoine. Tandis qu'en Languedoc on arrache, qu'en Californie s'annoncent des restructurations en chaîne dans les wineries, il continue de se planter des vignes dans des lieux improbables, la Grande-Bretagne, la Normandie, l'Ile de France. A l'autre bout de la chaîne, du côté du consommateur, des voix s'élèvent pour demander aux producteurs une totale transparence sur les étiquettes. Bonne semaine.
Catherine Bernard
Impossible d’être passé à côté de l’information. Sur les ondes, à la télé , dans les journaux français , et étrangers, la nouvelle s’est invitée à la table du petit déjeuner : « Un maître chanteur a menacé d’empoisonner le vignoble le plus célèbre du monde », pour reprendre le titre du Daily Telegraph. Voici en résumé l’histoire : « Le célèbre domaine de la Romanée-Conti a été victime en début d'année d'une tentative d'extorsion de fonds, finalement avortée, par un individu qui menaçait d'empoisonner les vignes. ». Ceux qui douteraient du sérieux de l’affaire sont informés : « Le preneur de vignes en otage accompagne sa correspondance de plans détaillés du domaine, une exploitation d'un peu moins de deux hectares. L'escroc prétend même avoir déjà infecté deux pieds de vigne gratuitement. Que les heureux, et fortunés, amateurs du célèbre cru ne paniquent pas, le corbeau bluffait ». Le pertinent Dr Vino se contente de la commenter en ces termes dans son blog : « Cela semble tout droit sorti d’un roman de Peter Mayle ». Il y a dans ce fait divers une forme de reconnaissance d’un patrimoine, la prise de conscience de sa force en même temps que de sa fragilité. Les vignerons allemands n’ont pas de corbeau mais une chancelière qui a prononcé un discours marquant et salutaire que le mensuel La Vigne et le journaliste bloggeur Hervé Lalau ont eu l’idée de publier. Que dit Angela Merkel au public du dîner de gala du salon Intervitis ? « Le vin est lié à la conscience de vivre et surtout à la joie de vivre. Il a tout le temps inspiré la création culturelle ». Elle poursuit : « La viticulture donne lieu à une multitude de synergie, par exemple avec le tourisme et la gastronomie. Ainsi, elle contribue à entretenir et à créer des emplois bien au-delà de son secteur et marque de son empreinte la vie culturelle ». Au chapitre de la prévention de l’abus d’alcool, la chancelière s’érige contre des règlements qui « dégénéreraient en tutelle de l’individu ». Hervé Lalau commente ainsi le discours d’Angela Merkel : « La Chancelière allemande paraît beaucoup plus déterminée à soutenir le vin que, disons, certains présidents voisins - et je ne pense ni à la Suisse, ni à la Pologne, ni à la Tchéquie ». Il cite cette maxime philosophique : « "Vérité par-delà le Rhin, erreur au-delà".
Nous arrachons, ils restructurent, ils plantentDans les vignes, après les pluies de l’hiver, les sous-soleuses sont à l’oeuvre. Aurélien Ausset, contributeur du site communautaire d’experts Suite101 nous ramène à cette réalité non escamotable : « La France est dans le trio de tête des pays producteurs de vin au monde et pourtant, chaque année, se formulent les demandes de prime à l'arrachage. (...) En dehors d’une utilisation agricole, les anciens vignobles retournent à l’état de garrigue, par exemple dans le sud de la France, ou deviennent des terrains à villas, dans le cadre d’opération de lotissement par exemple. » Tandis que nous arrachons, Michael Mondavi prédit dans Decanter : « Un grand nombre de wineries californiennes non rentables changeront de main cette année sous la contrainte financière ». L’ancien dirigeant de Mondavi précise avoir « vu plusieurs des plus prestigieuses wineries de Napa brader les vins de leur réserve, de 170$ à 100$ », signe précurseur de restructurations. DrVino relève, lui, les contradictions de la Silicon Valley Bank, laquelle promet pour 2010 « une amélioration du business du vin », insuffisante néanmoins pour gommer les difficultés des wineries. Nonobstant cette réalité, Monsieur Samson a planté des vignes dans le bocage normand et allègrement ouvert un caveau, nous raconte Olivier Lebaron dans Terre de Vins. Dans Picrocol Christian Duteil achève de conter en six épisodes le vignoble francilien. « Avec actuellement 540 pieds de pinot noir, la ville d’Ermont peut se flatter de perpétuer une longue tradition viticole. Elle possède plus de 700 m² de vignes et son propre cru est dégusté lors de la Fête des Vendanges, en octobre.En plantant un vignoble d’environ 800 m² en 1993, les vignerons de Neuilly-Plaisance ont renoué avec le passé ». De l’autre côté de la Manche, un supermarché britannique a annoncé sa décision de produire « son propre vin anglais avec des vignes plantées dans le Gloucestershire sous le statut coopératif ». C’est à lire dans Decanter, et à s’énerver en Languedoc.
La tyrannie de la transparenceEn même temps que dans l’hygiénisme, nous sommes entrés dans l’ère de la transparence, « récolte de ce que nous avons semé », dirait le dicton populaire. Chroniqueur fidèle du Wine Spectator, Matt Kramer s’est amusé à publier un « Manifesto 2010 ». « Nous sommes en 2010, début d’une nouvelle décennie, le début d’une convalescence après un cauchemar économique. Le moment est venu de poser les choses », écrit en préambule le chroniqueur. Qu’espère, que demande, qu’attend Matt kramer pour ces dix années à venir ? De la transparence sur les étiquettes, du tout faute de peu. La liste ressemble à une « black list » des pratiques : ajout d’eau, de ranins, d’acides, désalcoolisation, osmose inverse, sucres résiduels, titre d’alcool (réel). Chroniqueur pour le site d’information de la SAQ au Quebec, Marc Angré Gagnon en reprend les grandes lignes. On aurait tort de balayer d’un revers de main ces craintes en forme de réclamations. Elles participent à peu près du même mouvement qui conduit les candidats à la présidentielle à déclarer leur patrimoine et leurs revenus. La suspicion nuit au commerce.