ontrée du doigt lors du reportage d''Envoyé spécial' avec sa moyenne de 22 traitements phytosanitaires par an, la Champagne se prépare pourtant activement aux objectifs fixés par le Grenelle de l'Environnement. Dès les années 2000, les professionnels champenois ont mis en place des programmes de développement pour réduire l'utilisation des produits phytosanitaires. Les expérimentations menées ces deux dernières années sont prometteurs.
L'objectif de réduire de 50% les tonnages à l'horizon 2018 ne semble pas irréalisable.
Vignoble septentrional particulièrement exposé au développement des maladies et ravageurs, la Champagne, qui produit les raisins parmi les mieux valorisés de France, a longtemps pratiqué une viticulture d’assurance, avec un recours massif aux traitements phytosanitaires pour garantir la récolte. Mais depuis une dizaine d’années, face aux enjeux du développement durable, les comportements ont commencé à changer. «En 10 ans, le vignoble champenois a déjà réduit de 35% sa consommation de produits phyto» souligne Arnaud Descôtes, responsable environnement au CIVC. "La baisse est de 50% si on remonte à 15 ans". Aujourd’hui, 50 % des quantités de produits appliquées en Champagne sont autorisés en agriculture biologique. La Champagne est même une des régions leader en Europe pour le développement de la technique biologique de confusion sexuelle qui permet la quasi-suppression des traitements insecticides classiques (7000 ha protégés par cette méthode, soit plus de 20 % des surfaces). Les quantités d’insecticides ont diminué de 85% en 10 ans. Néanmoins, avec une moyenne de 20 à 22 traitements IFT (indice de fréquence de traitement) par an, le vignoble champenois reste un gros consommateur de fongicides et d’herbicides. L’objectif fixé par le Grenelle de l’Environnement de réduire de moitié le tonnage des produits phytosanitaires d’ici 2018 est donc un axe majeur de recherche et développement au CIVC. Concrètement, de nombreux outils d’aide à la décision ont d’ores et déjà été mis au point par la profession pour aider les producteurs dans la réduction des traitements : référentiels techniques (viticulture durable, traitements aériens), guides pratiques, réseau de stations météo automatiques, modèles épidémiologiques, systèmes d’avertissement par fax ou internet, réseaux de surveillance (Magister), logiciel de choix des produits, cartes-conseils… En parallèle, le CIVC mène des essais en partenariat avec des viticulteurs et des maisons de Champagne dans l’optique de réduire encore les doses ou la fréquence de traitement en fongicide, qui représente le plus gros poste de traitement.
Botrytis : passer de trois à deux traitements par anLa maîtrise du développement de ce champignon est étroitement liée au mode d’entretien des sols. « En diminuant le recours aux herbicides et en pratiquant l’enherbement dans le rang, en réduisant les apports d’engrais, on diminue la vigueur de la vigne. Les parcelles enherbées sont beaucoup moins touchées par le champignon », argumente Arnaud Descôtes. « Dans ce cas de figure, on peut réduire de 30 à 70% le nombre de traitements et passer de trois à un ou deux traitements par an ». Le plus délicat est d’ajuster au mieux le volume des intrants et notamment des engrais aux besoins de la plante pour atteindre ce niveau d’équilibre où la plante résiste mieux au botrytis sans baisse significative de rendement.
Oïdium : réduire la période de traitement« On sait qu’on peut réduire sans risque le niveau de protection contre l’oïdium en réduisant la période de traitement », affirme Arnaud Descôtes. « En commençant les traitements au stade 10 feuilles étalées et en faisant le dernier traitement au stade fermeture de la grappe (au lieu de début véraison), on réduire de 40 à 50% les quantités de produit utilisés sans prendre de risque pour la récolte. On peut passer de 7 à 8 traitements par an à seulement 4 ».
Le réchauffement climatique complique la lutte contre le mildiouLe mildiou est sans doute la maladie la plus difficile à maîtriser d’autant que le réchauffement climatique favorise son développement avec des années comme 2009 où le printemps chaud et humide a conduit à une pression exceptionnelle du champignon. Néanmoins plusieurs pistes sont explorées pour réduire les quantités de produits utilisées - L’adaptation des quantités de matière active à la surface de feuillage étalée. L’idée est de démarrer les deux ou trois premiers traitements avec des doses réduites de moitié. - La diminution des doses : des essais ont été menés au cours des deux dernières années avec des doses de traitement réduites de 50 à 75% avec en contrepartie une fréquence de traitement renforcée : au lieu des 8 à 10 traitements à dose homologuée, les expérimentations ont porté une douzaine de traitements mais avec des doses réduites de 75% en début de traitement jusqu’à 50% en période de pression maximale. Au final, les quantités de produit sont réduites de moitié. «Les tests menées ces deux dernières années, qui ont pourtant été des années de forte pression, ont été très concluants ». Jean-Baptiste Geoffroy, viticulteur à Cumières peut en témoigner : « Depuis deux ans, je fais des tests sur une parcelle de 50 ares que j’ai divisée en trois : sur un tiers j’ai traité en conventionnel, sur un autre tiers, j’ai traité à demi-dose et sur le troisième tiers j’ai traité en demi-dose avec un SDN (stimulateur de défense naturelle) à base d’écorces de levures. Je n’ai constaté aucune différence entre les trois lots ». - Les récupérateurs de bouillie. Un prototype est à l’étude qui donne également des résultats prometteurs. En traitant à pleine dose, il est possible de récupérer 30 à 50% de bouillie.
Herbicides : Le déherbage intégral diminueLe désherbage chimique a longtemps été le mode d’entretien le plus répandu dans le vignoble champenois. 95% des surfaces en vigne étaient désherbées il y a 10 ans. Une proportion ramenée entre 80 et 90% aujourd’hui. Les professionnels se sont fixés comme objectif de ne plus pratiquer le désherbage intégral sur 50% du vignoble à l’horizon 2015. « Le retour au désherbage mécanique commence à faire son chemin chez les viticulteurs champenois », constate Arnaud Descôtes, mais c’est un cap difficile à passer car cela complique l’organisation du travail sur l’exploitation. Le travail du sol réduit la portance avec pour conséquence une perte de réactivité pour les traitements. Pour amener les 15 000 viticulteurs champenois à modifier leur mode de culture et de protection du vignoble, le CIVC s’appuie sur 3 à 4 vignerons pionniers par commune, en charge de mener des essais et d’être les vecteurs du changement. Jean-Baptiste Geoffroy est l’un d’eux. Depuis 2001, il travaille en lutte raisonnée sous contrôle de Bureau Veritas qui certifie chaque année le respect du cahier des charges. « Il faut que chaque viticulteur fasse ses essais à son échelle. Au sein d’un même village, il y a des conditions très différentes, c’est à chacun de tester les différentes possibilités de réduction de produit en fonction de la connaissance de ses parcelles », plaide-t-il. Le système de réserve individuelle mis en place depuis plusieurs années en Champagne devrait selon lui favoriser ces expérimentations. « Ce système, qui permet de mettre en réserve une partie de la récolte qui pourra être débloquée en cas de coup dur, permet de prendre quelque risque au niveau des traitements. On peut plus facilement accepter une diminution de rendement quand on sait qu’on peut débloquer une partie de la réserve si besoin est ».
La voie du bioComme partout en France, les vignes en culture biologique progressent en Champagne : +18 % en 2008 et triplement des surfaces depuis 10 ans. Mais les celles-ci restent encore confidentielles : 191 ha en bio et en conversion en 2008 soit à peine 0,6% du vignoble. Selon une étude de l’Association Champenoise de gestion et de comptabilité publiée par le mensuel La Vigne, les coûts de production en bio sont 47% plus élevés qu’en viticulture conventionnelle. Un surcoût lié essentiellement aux charges de main d’œuvre et en entretien et amortissement du matériel. « Le bio est une piste intéressante, mais il faut avoir les marchés », confirme Arnaud Descôtes. « Il faut pouvoir valoriser son produit à un prix supérieur car les rendements sont souvent inférieurs et les coûts supérieurs ». Pour Jean-Baptiste Geoffroy, le bio est difficilement envisageable en Champagne sur de grosses exploitations : «Quand vous êtes en bio, il faut pouvoir intervenir très vite dans les vignes. J’ai une exploitation de 14 ha sur un vignoble très accidenté, je n’ai pas la réactivité suffisante pour me lancer dans le bio ». La deuxième journée porte ouverte des viticulteurs bio, organisée début septembre en Champagne a néanmoins accueilli une centaine de viticulteurs.