force de parler du vin dans ses dimensions de produit, y compris culturelle, on en oublie combien il est simplement et bêtement dans la vie, l'irrigue, la façonne. L'actualité de cette semaine se charge de nous le rappeler avec deux petits faits divers en forme de clin d'oeil. Symptôme de notre société moderne, on nous sonde sur le vin, comme on nous sonde sur la politique. Comme souvent, c'est de Londres que commence à poindre le débat sur la désalcoolisation partielle des vins, courante en Australie et aux Etats-Unis, expérimentale en Europe. Deux journaux, le JDD en France, et Decanter au Royaume-Uni donnent largement la parole à deux grands messieurs du vin : Michel Chapoutier et Hugh Johnson.
Catherine Bernard
C'est un petit fait divers qui nous vient d'Italie, rapporté par l'AFP, repris par Ouest-France, Le Figaro et le Post.fr. Voici ce qu'en dit le journaliste du Post : « Un prêtre de Bologne, âgé de 41 ans, a été contrôlé à une sortie de l'autoroute Milan-Turin. Son test d'alcoolémie a révélé un taux de 0,8 gramme d'alcool par litre de sang, supérieur à celui autorisé de 0,5g en Italie. Explication avancée par le curé: il a dit avoir célébré 4 messes différentes dans la même journée et avoir ingurgité en conséquence? un peu trop de vin de messe. Un excès de vin de messe qui lui aura coûté son permis de conduire. Le prêtre a décidé de présenter un recours devant le juge de paix à Milan avec la ferme intention de démontrer que son taux d'alcoolémie n'est pas dû à une... consommation volontaire d'alcool ». Ce fait divers nous parle de deux époques, l'une où le vin était du quotidien comme du spirituel de l'humanité, l'autre, celle que nous vivons, un ennemi de la sécurité sanitaire et routière. Le second nous parle aussi du choc d'une rencontre, de deux mondes, cette fois, l'occident et l'orient. Spécialiste du Moyen-Orient pour Le Figaro, le journaliste Georges Malbrunot relève dans son blog un incident diplomatique qui a force de loi et de fossé. « C'est le genre de couac diplomatique qui survient une fois ou deux tous les dix ans. La dernière, c'est lorsque le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, est venu en visite officielle en France, début mai. Un déjeuner était prévu à l'Elysée. Mais lorsque Nouri al-Maliki a constaté que du vin allait être servi, le chef du cabinet irakien a exigé que « l'alcool impie » soit retiré de la table. Pas question, lui ont répondu les Français. Chiite observant, Maliki n'a pas voulu céder. Résultat : le déjeuner a été tout simplement annulé?, écrit Georges Malbrunot. Deux époques, deux mondes, et au milieu, le vin, comme symptôme.
Les sondages à la rescousseLes sondages vont-ils être au vin ce qu'ils sont devenus aux hommes politiques ? J'en recense deux cette semaine. Le premier est publié par un site financier ?c'est dire-. « Lors de la prochaine Foire aux vins en septembre, 83% des internautes prévoient d'acheter des bouteilles, selon un sondage Wineandco.com, publié mercredi 1er juillet. Ils le feront surtout pour profiter de bonnes affaires (74%). Plus d'un internaute sur deux pensent acheter entre 12 et 36 bouteilles, pour un budget situé entre 150 et plus de 500 euros », signale donc Droit-finances. Le sondage a été réalisé par Wineandco.com. Le second concerne les femmes, dont les marketers se plaisent à clamer qu'elles sont l'avenir du vin. Il a été réalisé par Vinexpo et est publié par Viti-net. « Selon un sondage réalisé pour Vinexpo auprès de consommatrices de vins de cinq pays, une majorité d'entre elles considèrent le vin comme un élément d'art de vivre et une boisson compatible avec un régime alimentaire équilibré ». Je trouve plus intéressants pour l'avenir du vin les deux petits faits divers relevés plus haut que ces sondages de déclaration d'intention en forme de réassurance, mais sans doute faut-il bien sacrifier au marché.
Le vin désalcoolisé, nouvelle croisade européenne ?Je plains la commissaire européenne Marianne Fischer-Boel. Vilipendée pour avoir voulu autoriser en Europe des rosés coupés au nom des pratiques oenologiques internationales en cours, la voilà sollicitée pour autoriser la désalcoolisation partielle des vins. Emise par la France, l'information est subtilement diffusée au Royaume-Uni par le très sérieux Times, dans ses très sérieuses pages scientifiques sous le titre : ?Bruxelles fait un pied de nez à la nouvelle génération des vins partiellement désalcoolisés ». On s'amusera de lire que les arguments avancés en faveur des vins désalcoolisés sont ceux qui étaient en particulier rejetés pour le rosé. « Depuis des années les vignerons du nouveau monde réduisent la teneur en alcool des vins par des procédés technologiquees - et, pendant des années, leurs contre-parties européennes ont dédaigné de telles méthodes. Maintenant la recherche française a prouvé que les Américains et les Australiens avaient raison sur toute la ligne ». L'article est signé d'Adam Sage qui est allé voir les chercheurs de l'Inra à Gruissan. Voilà qui ne manque pas de sel.
Michel Chapoutier et Hugh Johnson parlent du vinJournal dominical grand public, le JDD s'intéresse périodiquement au vin, souvent au travers de portraits. Comme tous les journaux, le JDD aime les sagas, mais à la différence d'autres, le journal choisit des « défricheurs » plutôt que des « conservateurs ». C'est à peu près en ces termes que le journaliste Benoist Simmat nous présente le vigneron-négociant du Rhône Michel Chapoutier , baptisé « le bio-dynamiteur ». Il y a beaucoup de provocation. Michel Chapoutier dit au journaliste : « Je suis en guerre. Cultiver la terre, c'est voler à la plante son enfant ; faire de la vigne, c'est partir en guerre contre les éléments. (...) Les écolos n'ont rien compris! Le travail bio dans la vigne consiste à occuper le terrain pour ne pas se laisser dépasser par les éléments, c'est l'inverse d'un mode de pensée pacifique.' Michel Chapoutier est peut-être une version française des pionniers californiens. Il n'y a aucun mot à retirer de la conversation que nous offre Decanter avec Hugh Johnson. Le journal et le site britanniques proposent la version audio et écrite in extenso d'un déjeuner avec l'historien du vin qui apparaît comme un visionnaire. A propos des vins californiens. « Je suis fatigué des vins californiens, trop puissants, imbuvables avec de la nourriture ». A propos des primeurs : « les vins sont dégustés trop tôt et vous savez parfaitement que même dans les grands châteaux vous n'avez aucune garantie que ce que vous goûtez est représentatif du vin final ». L'avenir s'écrit avec l'histoire.



