e Centre Viticole ? Champagne Nicolas Feuillatte (25 millions de bouteilles produites annuellement) mène une politique de développement durable qui s'articule autour des trois axes décrits par la conférence de Rio de 1992. Nous avons demandé à Dominique Pierre, directeur général de la structure, de mettre en perspective certains aspects de cette démarche, tout en nous faisant mieux comprendre sa position à la fois convaincue mais pragmatique sur le sujet.
Quelques faits -L’économie : les valeurs de la coopération (le mutualisme, le partage des richesses produites) répondent de facto aux exigences de développement économique en phase avec le territoire et l’environnement géographique et social. Les résultats : Nicolas Feuillatte revendique un chiffres d’affaires de 74% depuis 9 ans, avec une très bonne rentabilité, ce qui permet de garantir un prix du raisin en progression (4,9 € en 2008 contre 4,71 en 2007 ; +15% depuis 2004) ainsi que des ristournes de fin d’année (0,02€ par kilogramme de raisin en 2008). -Le social : l’action se fait aussi bien du côté des viticulteurs (formation, voyages d’études), que du côté des salariés (plans de formation individualisés pour garantir l’employabilité, travail sur les conditions de travail, information régulière sur la marche de l’entreprise et sa stratégie, dialogue social constructif aussi bien par le comité d’entreprise qu’avec un « observatoire du climat social »). Ce volet comprend également l’insertion de personnes fragilisée et de travailleurs handicapés Les résultats : 11 mois sans accidents du travail, plus de 2% de la masse salariale consacrée à la formation, absence de mouvements sociaux. -L’environnement : il s’agit de travailler à l’approfondissement de l’agriculture raisonnée, à l’écoconception, à l’utilisation d’énergies renouvelables et d’agro carburants. En 2007 a été recruté un responsable du développement durable, qui coordonne les différentes actions sur le terrain, avec dans chaque service un correspondant qui remonte les difficultés rencontrées. Les résultats : depuis 10 ans, plus de traitements acaricides, plus d’insecticides sur 25% du vignoble, baisse de 33% des traitements anti-pourriture sur 60% du vignoble, réduction de plus de 35% de l’emploi des herbicides ; dépollution à 99% des eaux du centre vinicole par une station d’épuration, valorisation à 99% des déchets ; entre 2001 et 2008, diminution de la consommation électrique de 9%, baisse de 36% de la consommation d’eau, réduction de 10 000 litres de la consommation d’essence par la formation des conducteurs à l’éco-conduite ; développement des nouveaux produits avec analyse du cycle de vie des matériaux, utilisation de 100% de matériaux recyclés ou recyclables.
Quelle est votre philosophie au sujet de l'utilisation des produits phytosanitaires dans la viticulture champenoise ?Dominique Pierre : "Il ne faut pas tomber dans les travers de l’écologisme primaire, l’idée d’une culture sans aucun produit : la Champagne est la zone viticole la plus septentrionale de la France, il y a une sensibilité violente de la vigne, on le voit cette année, il faut lutter contre la pourriture et l’oïdium, et utiliser certains produits comme des médicaments. Si on est trop ultra, avec des passages très nombreux de produits même autorisés par les labels bio dans les vignes, on risque d’avoir un usage énorme des matériels de traction, ce qui n’est pas bon pour le bilan carbone, et certains produits primaires comme le cuivre, utilisés à haute dose, posent question. Pour les mêmes raisons, l’objectif de réduction de 50% des produits phytosanitaires du Grenelle de l’environnement ne correspond pas en Champagne à la même chose que dans le bordelais, il faut donc faire attention à ne pas créer un système aveugle. Je suis plutôt pour l’échange et le partage, plutôt que pour maximaliser les règles, et pour une approche au plus près de la nature. Chez Nicolas Feuillatte, nous avons depuis 11 ans un technicien dans les vignes, il en est cette année à son 6ème bulletin depuis la sortie végétative, 2009 est une année très humide, avec des alternances de chaleur et de pluie. Il y a eu des orages très localisés sur la vallée de la Marne, les traitements ont permis d’éviter les départs. C’est aussi la raison de la présence dans toute la Champagne de 35 stations météo, une pour 1000 ha : le technicien du CIVC François Lorgelier suit les observations des stations, il est en lien avec les techniciens des autres structures."
Vous êtes donc partisan des démarches volontaire, mais sont-elles vraiment efficaces ?Dominique Pierre : "Je crois au volontariat, il faut laisser à chacun sa philosophie, ce qui est obligatoire devient répressif, et ce qui est répressif a tendance à agir aveuglément. En Champagne, malgré notre système souple, la lutte raisonnée est en progression, le CDC mis en place en 2001, un an avant le référentiel national, a fait que les vignerons se sont glissés progressivement dans le dispositif parce qu’il y a eu vulgarisation : sur la récupération des emballages de produits phytosanitaires, le rinçage des cuves d’épandage dans des cuves spéciales, l’enherbement…Les gens doivent pouvoir constater, et les plus convaincus entraînent les autres."
Quelles sont les articulations concrètes entre raisonnement environnemental et économie ?Dominique Pierre : "Il est par exemple difficile de prévoir précisément l’influence des démarches de développement durable sur l’économie des exploitations de nos coopérateurs. Une chose est sûre : si on fait du développement durable uniquement en vue de faire des économies, on passe à côté. Le point de départ, c’est que les vignerons sont héritiers du capital de l’appellation Champagne, et doivent la transmettre au moins aussi bien, sinon mieux à leurs descendants. C’est aussi le sens de notre démarche de classement à l’Unesco, qui doit correspondre à quelque chose de concret. Ensuite, si l’économie suit, tant mieux. Cependant, on voit quand même qu’alors qu’il y a 30 ans, on utilisait abondamment les produits, quand on réduit leur utilisation aujourd’hui, on réalise une économie directe. Dans le sens inverse, chez Nicolas Feuillatte, on faisait du développement durable sans le savoir, en cherchant à économiser l’eau, l’énergie électrique, ce qui a une conséquence immédiate sur les coûts. Ce n’est donc pas pour l’économie qu’on fait le développement durable, mais il y a des actions de développement durable qui ont plus d’impact sur les coûts que d’autre. Et si on peut réaliser des économies, il faut faire attention à ne pas basculer dans des dépenses exagérées. Au début des plans sur l’eau, la DRIRE voulait que nous mettions en place des cuves de rétention pour un volume égal à notre cuverie, soit 200 000 hl. On allait construire des piscines olympiques ! De la même façon, le plan parafoudre nous demande de construire une cage de Faraday au-dessus de toute notre installation, c’est un investissement de 70 000 euros du jour au lendemain, c’est beaucoup pour une entreprise, alors que les études sur la foudre en Champagne ont montré qu’il n’y a aucun risque majeur !"
Comment voyez-vous l'intégration du volet social du développement durable dans la coopération viticole ?Dominique Pierre : "La structure coopérative implique une plus grande sensibilité par rapport aux questions sociales. Et quand on a un dialogue social effectif, qu’on explique aux salariés ce qui se passe, ils sont aussi capables de faire des efforts, plus que si ça vient d’un actionnaire lointain. Les coopérateurs n’ont aucun mal à comprendre cette démarche, parce que les salariés sont les voisins des viticulteurs, ils ont parfois eux-mêmes un peu de vignes, et puis ce sont des paysans qui ont un sens humain. Pour notre cas particulier, nous avons mis en place à mon initiative un système de veille sociale : une entreprise est un microcosme, avec des bruits, des amplifications, qui peuvent prendre des proportions ridicules, donc il faut chercher à savoir ce qui se passe dans la tête des collaborateurs, pour corriger le tir, désamorcer les choses infondées. Ça marche plutôt bien, il n’y a pas eu de grève depuis 2001, alors qu’il y a eu des mouvements dans toutes les maisons. En contrepartie, nous avons promis aux collaborateurs de nous engager pour leur emploi sur 2009-2010. De façon plus générale sur le thême des mouvements syndicaux, je pense qu’on ne peut pas rester dans sa tour d’ivoire, il faut expliquer."
Que pensez-vous des agro carburants ?Dominique Pierre : "Chez Nicolas Feuillatte, trois semi-remorques ramènent vers les viticulteurs les produits semi-transformés. J’ai donc demandé à ce qu’ils puissent prendre le biéthanol disponible à la communauté de communes, mais les Mines et les Douanes refusent parce qu’il n’y a pas de paiement de la TIPP ! De toute façon pour moi, les biocarburants ne sont qu’un passage, je ne leur vois pas de pérennité : figer des surfaces agricoles pour faire rouler des voitures, ça pose quand même un gros problème ! je penche plutôt pour les soutions renouvelables, solaire et éolien. Nous prenons aussi le problème par un autre angle, l’éco-conduite : on a appris aux chauffeurs à avoir une conduite légère, à ne pas être à fond en montée, ou à démarrer de façon progressive les semi-remorques."
Quelles difficultés de mise en application rencontrez-vous dans vos efforts de développement durable ?Dominique Pierre : "Dans le domaine de la réduction des emballages, les fournisseurs ont des réticences à transformer leur outil industriel, parfois parce qu’il y a une méconnaissance de ce qui peut être fait, mais aussi parce que beaucoup d’entreprises ont des marges serrées. En ce domaine des subventions pourraient être utiles. Pour ce qui est de la réduction des gaz à effets de serre, l’un des gros postes sur lesquels on n’a aucun moyen d’action, c’est la production verrière, qui utilise beucoup d’énergie pétrolière. Enfin, le développement durable est un investissement de long terme qui est nécessaire, mais parfois le retour sur investissement n’est pas assez rapide, surtout en situation de crise comme aujourd’hui. C’est pourquoi nous avons pour le moment remis à plus tard l’installation du photovoltaïque : la structure du CVC commence à dater, et les toits n’ont pas été prévus pour ça, l’investissement à prévoir est très important."