« Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu'une idée vraie mais complexe. »
Charles Louis de Secondat, baron de la Brède et de MONTESQUIEU (1689 ? 1755)
Après les virulentes réactions de nombreux médecins et scientifiques et après certaines déclarations plus modérées du président de l'Institut National du Cancer (INCa), la polémique soulevée par la publication du dernier rapport (17 février 2009) « Nutrition et prévention des cancers » de l'INCa semblait s'apaiser.
Malheureusement, dans un nouvel article paru dans Le Monde du 9 avril dernier, l'interview du Professeur Dominique MARANINCHI, permet au journal de titrer : « Le vin est un alcool, donc cancérigène ».
Ce titre est la version light du sophisme « L'alcool est cancérigène, le vin contient de l'alcool, donc le vin est cancérigène ». Comme tous les sophismes ce raisonnement a l'apparence de la validité, de la vérité, mais en réalité il est faux et non concluant. Généralement les sophismes sont utilisés avec mauvaise foi, pour tromper ou faire illusion.
Ici, le sophisme est utilisé sans honte, cyniquement, au nom d'une efficacité supposée pour lutter contre l'alcoolisme.
Partant du principe que pour qu'un message soit entendu et efficace, il devait être le plus primaire possible, les responsables de l'INCa refusent toute « finasserie » et veulent guider délibérément les consommateurs dans un monde complexe avec des idées simples.
Il revient donc à tous ceux qui refusent de cautionner une forfaiture scientifique de s'insurger contre une manipulation qui, pour les meilleures raisons du monde, tend à l?infantilisation de l'humanité en prétendant la protéger.
Lorsque les responsables de l’INCa, qui ont le statut de fonctionnaire, s’appuient sur des approximations voire sur des contre-vérités scientifiques pour promouvoir leur politique d’abstinence absolue de toute boisson contenant de l’alcool, ils commettent au sens plein du terme une forfaiture. « Lorsque les rapporteurs de l’INCa prônent l’abstinence totale de vin, ils ne peuvent pas ne pas savoir que les travaux du Professeur RENAUD, père du « french paradox », ont été confirmés par de nombreuses publications qui toutes concluaient aux bienfaits d’une consommation régulière et modérée de vin. On est donc obligé de constater que leur rapport est un rapport écrit à charge pour répondre à des préoccupations comptables et partisanes de Santé Publique dont le seul objectif est de faire diminuer la consommation moyenne annuelle d’alcool per capita. Il est plus facile de pousser les petits consommateurs à l’abstinence totale que d’éduquer les gros buveurs à une consommation raisonnée. Or, chacun sait que l’alcoolisme frappe socialement et médicalement essentiellement les buveurs qui consomment un flux d’alcool supérieur à leur capacité métabolique ou ceux qui ont une prédisposition à la dépendance. En supposant qu’on arrive à diminuer de 50 % la consommation annelle d’alcool par habitant en imposant l’abstinence totale des buveurs modérés et réguliers, on ne diminuera pas les méfaits de l’alcool de 50 %. En luttant contre le phénomène de binge-drinking, on s’attaque à la diminution de la consommation journalière maximum per capita, ce qui devrait être le véritable objectif des nutritionnistes responsables.»1 Les responsables de l’INCa refusent toute spécificité au vin et refusent d’admettre les effets de seuil reconnus par de multiples études. Pour eux, l’alcool a la même toxicité quel que soit le milieu dans lequel il se trouve et quel que soit l’environnement dans lequel il est consommé. Tous les pharmacologues savent que l’on ne peut que très rarement définir à faible dose la toxicité spécifique d’un composé et qu’il ne faut jamais annoncer une toxicité sans préciser les conditions de la mesure. Le prince Félix YOUSSOUPOV a appris avec amertume que le cyanure de potassium, avec lequel il voulait empoisonner RASPOUTINE, perdait de sa nocivité quand il était mélangé au sucre d’un gâteau (formation de cyanhydrine avec la fonction aldéhyde des sucres). Tous les produits toxiques à forte dose, ne sont pas forcément encore faiblement toxiques et/ou nuisibles à faible dose. L’eau de javel (solution aqueuse concentrée d’hypochlorite de sodium) pure est imbuvable (elle entraîne une grave brûlure de l’œsophage), mais quelques gouttes d’eau de javel dans l’eau peuvent la rendre potable. Chaque molécule d’hypochlorite de sodium a la même propriété chimique. Une solution faiblement concentrée d’eau de javel garde la faible toxicité liée à chacune des molécules d’hypochlorite de sodium. Donc, partout où il y a de l’hypochlorite de sodium il y a la toxicité spécifique liée à cette molécule. Ce qui change, c’est la dose. A très faible dose, le bilan bienfait / méfait est positif tandis qu’à forte dose, il devient négatif. Les résultats de l’étude de Dominique LANZMANN-PETITHORY2 ont tout récemment prouvé que comme pour l’eau de javel la consommation modérée de vin est bénéfique et que seule une consommation importante est nuisible pour la santé. En ce qui concerne les très faibles doses, il est le plus souvent impossible de mettre en évidence un effet pathogène cancérigène chez l’homme. C’est même quelque fois l’inverse qui est constaté, à savoir que certaines doses très faibles semblent bénéfiques 3. Cependant, principe de précaution oblige, le consensus international considère que toute ingestion d’un composé, même en quantité minuscule, est susceptible d’avoir un effet sur l’une ou l’autre des personnes qui l’ont ingéré et que cet effet est linéaire. Autrement dit, si la dose x est mortelle, un millionième de x consommé par une population de 1 million de personnes en tuera une. Cette hypothèse n’est pas scientifique car on ne peut pas démontrer qu’elle est fausse : elle est politique 4. La fréquence des cancers dans la population est malheureusement très supérieure à 1 sur 1 million et l’effet de ce composé, s’il existait, ne pourrait être distingué des autres facteurs qui favorisent la cancérogenèse 5. Dans un milieu aussi complexe que le vin, il est donc illusoire et hautement présomptueux d’attribuer, à faible dose, une toxicité éventuelle à sa seule composante alcoolique.
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1. Pour la culture de la tempérance, contre la culture de la prohibition, Commission Vin et Culture d’ICEO (in Vitisphere, 20 mars 2009). 2. Conclusions de l’étude Canceralcool présentée le 11 mars dernier à Paris, au cours du colloque final ANR-INRA : Consommation de boissons alcoolisées (vin, bière et alcools forts) et mortalité par différents types de cancers sur une cohorte de 100 000 sujets suivie depuis 25 ans. (Grâce à l’aimable autorisation de l’auteur, ce document est consultable sur le site d’ICEO, cliquez ici). 3. C’est le phénomène d’ « hormesis » : le corps soumis à de faibles doses pourrait ensuite se défendre contre des doses plus massives. Ceci passe par des mécanismes divers tels que l’immunisation, l’induction enzymatique… 4. Critère de Karl POPPER. 5. Transposition du texte de Jean de KERVASDOUÉ : Les prêcheurs de l’Apocalypse, p 97.
Une infantilisation de l'humanitéEn supposant que l’éthanol soit hautement cancérigène 6, ce qui selon le principe de stricte causalité de Claude BERNARD n’est pas rigoureusement prouvé puisque malheureusement même en ne buvant que de l’eau on peut avoir un cancer, si vous ne buvez pas une goutte de vin, la seule chose dont vous pouvez être sûr, c’est que votre éventuel cancer ne proviendra pas du vin. De même, si vous arrêtez l’alpinisme parce que cela vous semble trop dangereux, vous n’êtes sûr d’une seule chose, c’est que vous ne mourrez pas en montagne (mais vous êtes quand même sûr de mourir de toute façon). Les rédacteurs du rapport « Nutrition et prévention des cancers » prétendent aujourd’hui qu’ils n’ont cherché qu’à informer. Nous sommes heureux de l’apprendre, mais nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’ils n’ont réussi qu’à effrayer. Tout le battage médiatique fait autour de ce fameux rapport n’est probablement pas innocent. Pour faire obéir les enfants, on leur fait souvent peur avant de prononcer l’interdiction. Toutes les politiques de prohibition ou de répression sont précédées par des campagnes d’explication à caractère scientifique. L’alcoolisme est un redoutable fléau. L’alcool est la cause de ce fléau (mais pas le fléau lui –même). Tous les gouvernements ont donc la faiblesse de penser qu’en supprimant l’accès à l’alcool de façon drastique ils résoudront leur problème de santé publique. L’expérience montre malheureusement qu’il n’en est rien et que loin de faire diminuer les problèmes liés à l’alcool, la prohibition avait pour principal effet d’augmenter gravement les problèmes de santé publique. Que ce soit aux USA ou en URSS, les bilans sont sans appel ; la prohibition a favorisé la consommation massive de drogues diverses nouvelles et provoqué l’empoisonnement de milliers de personnes ayant consommé des alcools contrefaits. Le vin n’est pas une boisson comme les autres. Depuis plusieurs millénaires, il accompagne l’humanité (…). La viticulture a façonné nos paysages, la culture du vin a façonné notre mode de vie, nos façons de penser et pendant des siècles, la façon de prier. De ce passé faire table rase est une absurdité et surtout une erreur commerciale. Le vin ne se découvre pas au supermarché. On apprend à le connaître et à l’apprécier en famille ou en société. Un formidable travail de formation et d’information doit être entrepris en direction de tous ceux qui n’ont pu acquérir dans leur famille ou avec leurs relations les bases œnologiques qui permettent d’avoir un réel plaisir à consommer régulièrement et modérément du vin. Régulièrement et modérément sont certainement les mots clés d’une bonne et pérenne commercialisation. L’excès de consommation tue la consommation. Les metteurs en marché qui n’ont pas la vue courte doivent comprendre qu’ils n’ont aucun intérêt à favoriser la consommation excessive de vin. Il faut donc qu’ils en tirent toutes les conséquences, dans leur message publicitaire et dans le conditionnement de leurs produits. Dans toutes les civilisations, les hommes ont fait et font usage de produits ayant des propriétés anxiolytiques ou euphorisantes. Chacun de ces composés présente des inconvénients et parfois quelques avantages. Chaque civilisation à appris a gérer les inconvénients des substances utilisées. Cet apprentissage, bien qu’imparfait, a permis de définir des savoir-vivre qui sont en l’occurrence des savoir-boire. Nombreux sont aujourd’hui les jeunes qui ne font l’expérience des boissons alcoolisées qu’avec leurs copains qui les poussent, dans un rite initiatique, non pas à goûter mais à se « shooter ». Les soirées étudiantes sponsorisées par les alcooliers tendent malheureusement à se banaliser et normaliser ces comportements. Ce phénomène de société est particulièrement regrettable, mais il était malheureusement prévisible. A force de diaboliser la consommation des boissons alcoolisées en général, du vin en particulier et de repousser l’âge du premier verre, on réduit la culture du vin, ramené à sa seule composante alcoolique, à un rite satanique qui ne peut s’accomplir que dans la transgression. Lorsque l’on plaide pour l’apprentissage précoce et progressif d’une consommation modérée, on s’entend répondre de façon sentencieuse : « ils ont le temps d’apprendre ». C’est une curieuse façon de concevoir l’apprentissage de la liberté et de la responsabilité 7. Comme pour la conduite automobile, il est probable que la conduite accompagnée est la façon la plus efficace d’enseigner la Culture traditionnelle du Vin faite de tempérance et de modération.
Commission Vin et Culture d’ICEO Le 6 mai 2009
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6. Les preuves des effets nocifs de l’alcool consommé en quantité sont jugées plus convaincantes aujourd’hui qu’auparavant. Les preuves d’une relation causale entre les boissons alcoolisées et le cancer de la bouche, de la gorge, de l’œsophage, du côlon et du rectum (chez l’homme) et le cancer du sein (chez la femme) semblent convaincantes pour les fortes doses. Il est probable également dans ce cas qu’il y ait une relation causale entre la consommation d’alcool et le cancer du foie et de l’intestin chez la femme. Mais pour une consommation modérée de vin (environ deux verres par jour pour les hommes) de très nombreuses études montrent que non seulement il n’y a pas d’augmentation significative des cancers, mais que pour de nombreux types de cancers ont note une diminution significative de leur occurrence. 7. P. Chevallet, Le vin aujourd’hui et demain, Revue française d’Œnologie N°226, octobre/novembre 2007 p 23-24