e vous propose cette semaine une revue de livres, une plongée dans l'histoire du vin. Le premier est une enquête conduite par un journaliste américain qui nous livre l'histoire de pionniers, les viticulteurs californiens, devenus des conquérants ayant pour la première fois cette année damé le pion aux vins français au Royaume-Uni. Le second est la balade d'un romancier dans le vignoble français à une époque (1932) où celui-ci est encore incontesté et en même temps chahuté par la récession. Le troisième interroge le vin dans toutes ses dimensions. Se faisant écho, ces trois ouvrages rappellent que si le vin garde ses mystères, il est aussi le produit de la civilisation.
Catherine BERNARD
Avant d’être le titre d’un livre, Le jugement de Paris a été celui d’un article publié dans le magazine Time, puis l’expression usitée par les Américains pour évoquer une dégustation organisée le 24 mai 1976 par Steven Spurrier, citoyen britannique caviste à Paris (les caves de la Madeleine). Cette dégustation se déroulait à l’aveugle. Elle mêlait des vins californiens et français. Le jury était composé de dégustateurs français incontestés et incontestables. A l’exception de George M. Taber, alors correspondant de Time à Paris, tous les journalistes avaient boudé ce qui était « à l’origine, juste une agréable après-midi à goûter des vins intéressants ». Mais ce jour-là, dans les deux catégories, blanc et rouge, les vins californiens l’emportèrent sur les vins français, pourtant sélectionnés parmi les meilleurs. Avec le talent pour la communication qui est le leur, les Américains le firent savoir, et changèrent la face du monde du vin. Le journaliste revient sur cette dégustation et ses acteurs (les vins et les hommes), mais surtout il la replace dans son contexte et nous raconte avec un sens aigu du détail une histoire absolument passionnante, celle de pionniers qui ont littéralement ressuscité des vignobles et des caves devenus fantômes après la prohibition. « Parfois ils venaient seuls ; le plus souvent, ils étaient en couple. Certains étaient milliardaires, d’autres n’étaient pas loin de la pauvreté. Ils arrivaient de tous les coins du pays, tous avaient un parcours différent. (...) Certains étaient des jeunes en quête d’aventure ; d’autres se préparaient à la retraite. Nombre d’entre eux étaient en quête d’un mode de vie plus proche de la nature ». Les parallèles avec l’histoire du vin en France sont frappants. Comme la Bourgogne, Napa Valley doit beaucoup à la religion catholique et aux moines, premiers planteurs de vignobles, grâce auxquels, pour partie, le vin, même sous une forme dévoyée, survécut à la prohibition. Ainsi, à la fin des années cinquante, c’est par les Frères chrétiens, ordre fondé en France au XVIIème siècle que le croate devenu Mike Grgich (Grgrich Hills), coiffé d’un béret et de quelques billets glissés dans la semelle de ses chaussures, arrive en Californie. Les vins français sont le modèle de ces pionniers. « Souvent ils en buvaient en même temps que leurs vins à eux, pour voir comment ceux-ci soutenaient la comparaison avec leurs modèles (...) Après les avoir bus ils plaçaient les bouteilles vides dans leur local de mise en bouteille, presque comme des offrandes sacrées à Bacchus ». Sans mémoire, les Californiens expérimentent, échangent, s’entraident et travaillent avec l’université, en particulier celle de Davis, formant ce que Taber appelle « une fraternité viticole locale ». Le dérisoire côtoie le technologique. « Alors qu’il était médecin en résidence dans l’Oregon, en 1956, David Bruce fit un peu de vin (...) Il mettait les raisins sur un grand morceau de plastique qu’il repliait, avant de recouvrir l’ensemble de planches. Puis il passait en voiture sur les planches », raconte, parmi d’autres exemples de cet acabit, Taber. C’est aussi en Californie, à Davis que le premier ferment malo-lactique articificiel a été isolé et expérimenté. Taber conclut en ces termes son enquête : « Il est dommage que Napa Valley soit devenue une nouvelle illustration du proverbe selon lequel rien ne réussit comme l’excès ». Il ne faut pas passer à côté de ce livre sous aucun prétexte. Sort en DVD (le 4 février), une adaptation cinématographique, Bottle Shock, jamais diffusée au cinéma en France. [Le Jugement de Paris - George M. Taber - Editions Gutenberg - 325p - 24,50€]
L'âme du vin de Maurice Constantin-WeyerAvant d’être un romancier couronné de succès puis tombé dans l’oubli, Maurice Constantin-Weyer a été fermier au Canada, un pays où il a vécu pendant onze et où il n’a bu que de l’eau. Il écrit L’âme du vin en 1932, en plein marasme économique. Ainsi que l’écrit Jean-Paul Kaufmann dans la préface de cette réédition, « c’est l’époque où les châteaux bordelais se vendaient une bouchée de pain ». L’âme du vin, que l’on aurait oublié comme cette époque que l’auteur décrit si l’éditeur n’avait eu la bonne idée de le sortir en poche, est la balade d’un amoureux dans les vignobles et les caves. Cette balade est méticuleuse, reflète la réputation et la hiérarchie d’alors: quatre lignes pour le Beaujolais, 28 pages pour Bordeaux, et même pas un nom pour le Languedoc, ramassé au terme de ce voyage sous le chapitre Aramon. La balade du romancier est aussi romantique. Avec nos yeux d’aujourd’hui, rompus à la dégustation savante, déshabitués du vin quotidien, ce récit a quelque chose du Grand Meaulnes d’Alain Fournier, un tableau doucement voilé, comme dans un rêve. Et en même temps, tout est là, annonçant le XXIème siècle, comme les premiers accrocs aux AOC. Ainsi décrivant certaines pratiques, Maurice Constantin-Weyer observe : « la loi sur les appellations d’origine permet souvent à un vin médiocre de passer pour excellent grâce à son état civil ». Il nous parle enfin d’un autre âge à nous qui avons intégré la technologie dans les caves et maté le fruit de la vigne : « Parce que le vin est vivant, il est capricieux et déconcertant. Vous avez bu une excellente bouteille de votre cave et vous croyez que la bouteille voisine est exactement pareille ? Quelle erreur ! ». Dans sa préface, Jean-Paul Kauffmann conclut : « A la lumière de cet ouvrage paru en 1932, posons-nous inlassablement la vraie question : que pensera-t-on de nos pratiques et même de notre goût dans soixante-quinze ans ? Le goût est un excellent reflet de ce que nous sommes, un bon marqueur de civilisation ».
[L’âme du vin - Maurice Constantin-Weyer - Editions La Table ronde - 261p - 8,50€]
Le vin, la vigne et le vigneron - de la racine au palais par Les écologistes de l'EuzièreC’est un petit opuscule de 34 pages, imprimé en format A4 sur du papier recyclé, illustré par des dessins en noir et blanc. La modestie de la présentation est inversement proportionnelle à l’intérêt et à l’ambition de cette publication : transmettre au plus grand nombre le vin dans toutes ses dimensions ( le paysage, le sol, le climat, l’environnement de la vigne, les travaux à la vigne, la vinification, la dégustation). Les Ecologistes de l’Euzière, association languedocienne, s’adressent à notre curiosité et notre intelligence. Ce pourrait être une publication destinée aux enfants et aux néophytes, support pédagogique qui serait à la vigne et au vin ce que le bled est à l’orthographe. Mais en faisant le pari de l’intelligence, l’association touche aussi les professionnels. Ainsi du répertoire des principales « plantes amies, plantes ennemies », et des « petites bêtes » de la vigne. Chaque chapitre se clôt avec un questionnement sur l’avenir. Je défie le vigneron, le caviste, le sommelier qui affirmerait n’avoir rien appris de cet « Ecolodoc ». Pour ma part, j’en ai fait cadeau à mes enfants.
[Le vin, la vigne et le vigneron - de la racine au palais par Les écologistes de l’Euzière - 35p - 7€]