ette première revue de presse ? car c'est bien, à un nouveau rendez-vous hebdomadaire que VITISPHERE vous convie - est en fait une revue de livres. J'en ai fait provision cet été pour la rentrée. Les livres sont un peu comme les résolutions de début d'année et/ou de rentrée justement, des petits cailloux pour jalonner le chemin. Il s'écrit beaucoup de choses sur le vin. J'ai retenu trois incontournables qui étaient épuisés et viennent d'être fort à propos et intelligemment réédités.
Bonne rentrée et à la semaine prochaine.
Catherine BERNARD
Je commence par celui qui se lit comme un roman à l’ombre d’un parasol. Il s’agit plus précisément d’un carnet de voyages, ceux que fit le célèbre caviste et importateur californien Kermit Lynch au pays du vin, en l’espèce notre hexagone. Voici donc, en format de poche, "Mes aventures sur les routes du vin.", illustré par des photographies noir et blanc de Gail Skoff, formant un bel album de famille. Signée de Jim Harrisson, écrivain américain francophile, amateur de bonne chère et de bon vin, la préface est un vrai régal. C’est aussi un réconfort. Jim Harrisson écrit son texte pendant la guerre en Irak, tandis que la campagne anti-française bat son plein aux Etats-Unis : « Je ne connais pas un seul Américain intelligent qui ait cessé de boire du vin français. Je pense donc que les Français vont découvrir avec fascination un homme qui a manifesté tant de curiosité et d’érudition vis à vis de leurs principales sources de gloire ». Harrisson a raison. Kermit Lynch découvre le vignoble français en 1973 au cours d’un voyage avec l’un de ses importateurs. Le séjour commence bien mal, avec un négociant de Beaune, ivre de vin et d’angoisse quand il ouvre la porte aux acheteurs américains. Il s’achève avec un nom, plein de promesses pour le Californien, Hubert de Montille, producteur à Volnay. Depuis cette rencontre Kermit Lynch n’achète plus que des vins qu’il a goûtés au chai en conversant avec les vignerons. On ne sera en conséquence pas étonné de découvrir que le caviste californien a son idée personnelle sur les « dégustations à l’aveugle » : « Aveugle ! Ce mot dit bien quelle vision de la qualité on peut avoir à travers cette pratique à la mode. La méthode est peu judicieuse, ses résultats fallacieux et trompeurs ». Lynch sillonne ainsi la France en tintin reporter, curieux, vif et engagé. Son livre est donc aussi un récit méticuleux de la manière qu’ont les vignerons de concevoir et de travailler la vigne et le vin. Au tableau de l’Américain, dressé entre 1976 et 1985, il ne manque pas un de ceux à qui le vin français doit encore aujourd’hui quelque chose, parfois beaucoup, pour ne pas dire, tout. La dernière page tournée reste une synthèse éblouissante de la relation des Français au vin. Kermit Lynch a fini par poser un peu ses valises « d’acheteur itinérant ». Il est maintenant co-propriétaire avec la famille Brunier du Vieux Télégraphe du domaine Les Pallières à Gigondas. Voici un extrait de leurs premiers échanges au pied des foudres. « Lequel voulez-vous goûter ? » me demande le vigneron en montrant les foudres négligemment. Je réponds : « Et bien, tous ! ». Il grimace : « Ils sont tous pareils ! Dégustons-les pour voir ». [Mes aventures sur les routes du vin - Kermit Lynch - Petite Bibliothèque Payot - 342p - 9€ ]
UNE HISTOIRE MONDIALE DU VIN, de Hugh JOHNSONLe second livre est aussi une bible qui sort en format poche. On la doit aussi à un anglophone, Hugh Johnson. Son "histoire mondiale du vin" sort en 1989, un an après les aventures de Kermit Lynch. Elle balaie la vigne et le vin de l’antiquité à nos jours, sous tous ses aspects, techniques, sociologiques, et symboliques. Les premières pages font étrangement et symboliquement écho à l’actualité de cet été. De ce qu’on en sait aujourd’hui, c’est en Géorgie que tout a commencé. « A la fin du mois d’octobre dans les vallées aux flancs abrupts d’Iméréthie, la brume noie les boucles paresseuses du Rion gorgé des eaux tumultueuses des torrents caucasiens (...). Tout au long de l’été subtropical, l’après-midi, les brumes envahissent par intervalles les côtes de la mer Noire : elles adoucissent l’air des ravins boisés où courent les torrents et protègent la vigne de l’ardeur du soleil. La vigne y est omniprésente ». On est entre 5 000 et 7000 av. JC. Mais en Chine aussi, « dès l’âge de bronze, une civilisation fort avancée connaissait le vin ». L’histoire n’en finit pas de resservir avec constance les plats. L’ouvrage d’Hugh Johnson, écrit comme un récit, montre que le vin se fait davantage avec la mémoire, inconsciente et collective, qu’avec les technologies derniers cris. Voilà qui ramène, à l’aube des vendanges, à beaucoup d’humilité. Si en Méditerranée, on cultive la vigne pour en faire du vin depuis des millénaires, les Australiens ne sont pas si nouveaux venus qu’on fait semblant de le croire. « Le père des vins australiens » est un jeune Ecossais de 23 ans, James Busby, contemporain de Chaptal parti cultiver la vigne à Hunter Valley, à 160km au nord de Sydney, non sans avoir écrit pendant la traversée un « Traité sur la culture de la vigne et l’art de faire le vin ». L’un des premiers avocats des vins du Nouveau Monde, était un Français, André Simon, fondateur en Angleterre de l’International Wine and Food Society. La première « bataille des vins » eut lieu au XIIIème siècle. Elle fut conduite par le roi de France et se solda par « une victoire absolue » du vin doux de Chypre !
[Une histoire mondiale du vin - Hugh Johnson - Hachette Littérature Collection Pluriel - 684p - 12€ ]
LE SOL, LA TERRE ET LES CHAMPS, de Claude et Lydia BOURGUIGNONLa dernière de mes lectures estivales est la plus technique, mais se lit presque comme une saga puisqu’elle raconte la naissance, la vie et la mort des sols. On doit «Le sol, la terre et les champs » à Claude et Lydia Bourguignon. Voilà encore de drôles d’oiseaux, des vilains petits canards, des agronomes formés et chercheurs à l’Inra (Institut National de la Recherche Agricole), partis fonder leur propre laboratoire quand ils ont montré que les sols étaient en danger de mort. Ca n’a pas plu. Les éditions Le sang de la terre réédite leur ouvrage, actualisé et enrichi d’illustrations, de tableaux et de schémas qui éclairent la lecture. Partis de l’agronomie, les deux chercheurs arrivent et nous conduisent à l’agrologie, laquelle « ne peut être qu’une science conscience, c’est-à-dire une science qui aboutit à une conscience », et selon leurs voeux, à l’agriculture de demain. Leur constat est alarmiste. Nous cultivons des plantes sur des sols morts. C’est bien ce qui les rend malades. En conséquence le terme de terroir pour désigner le vin frise ou sera bientôt de l’imposture. Néanmoins les remèdes existent. Ce sont, entre autres, les collemboles, les acariens, les cloportes, les myriapodes, et autres lombrics. « En bon état, un sol contient jusqu’à un milliard de micro-organismes par gramme et une à quatre tonnes de vers de terre par hectare ». Le labour tel que nous le pratiquons est une hérésie. Les deux chercheurs livrent pour finir « l’histoire chimique d’une tarte aux cerises d’un supermarché ». Un régal.
[Le sol, la terre et les champs - Claude et Lydia Bourguignon - Le Sang de la Terre - 223p - 26€ ]