e récent scandale du prix des vins à la SAQ (Société des Alcools au Québec) aura au moins eu le mérite de remettre au menu du jour le débat sur la privatisation de cette société publique. Après 85 ans d'un monopole hérité de la vague prohibitionniste des années 1920, est-il encore souhaitable que l'État se charge du commerce des boissons alcoolisées?
Michel Phaneuf est l'auteur du Guide du vin 2006 et de 'Voyageur du vin', publiés aux Éditions de l'Homme. Pour lui, la Société des Alcools du Québec ne joue plus bien son rôle et est devenue une institution anachronique.
[Article publié dans 'l'Actualité' Mars 2006]
Alors qu'au Québec nous sommes audacieux et innovateurs dans tant de domaines, je m'étonne toujours des épouvantails qui ressortent du placard chaque fois que l'on évoque la privatisation de la SAQ. Est-ce de l'ignorance ou de la mauvaise foi? Immanquablement, on s'empresse de citer en exemple - à ne pas suivre, selon certains - l'Alberta, où le monopole a été démantelé il y a 20 ans. «Service pourri, magasins affreux», disent d'aucuns pour dénigrer cette initiative. Pourtant, ceux qui connaissent bien le réseau albertain s'accordent pour dire que sur le lot des 12 000 boutiques (300 avant la privatisation), si certains points de vente ne paient pas de mine, ce n'est pas le cas partout. Et puis, on peut s'inspirer d'un modèle d'affaires sans le reproduire tout à fait. Le Québec a-t-il copié l'Alberta pour ce qui est de ses organismes culturels, ses festivals, sa gastronomie et son goût du design? Avec tout le bagage de connaissances acquises et l'intérêt que porte au vin une nouvelle génération d'amateurs québécois, comment peut-on prédire que la privatisation ne mènerait qu'à la prolifération de boutiques minables gérées par des incompétents? J'ai tout lieu de croire, au contraire, que le libre commerce du vin au Québec serait encore plus performant qu'en Alberta.
Le monopole permettrait de lutter contre l'alcoolisme ?Autre épouvantail : l'alcoolisme. Comme si, par ses promotions multiples, ses cahiers publicitaires de rabais et ses piles de coolers bien en évidence pendant la saison estivale, la SAQ encourageait vraiment la modération ! Je ne crois pas que ce serait pire avec un système privé.
Les monopoles ne peuvent pas traduire la diversité de l'offre mondiale de vinLes récents événements ont mis en lumière le fait que la SAQ n'était pas là pour garantir les meilleurs prix aux consommateurs (malgré son pouvoir d'achat soi-disant immense), mais bien pour être une vache à lait dont l'objectif est d'arriver à verser 925 millions de dollars dans les coffres de l'État en 2009 (en comparaison, le dividende versé au gouvernement l'an dernier était de 545 millions). Pour y parvenir, elle doit rationaliser tant ses opérations que son offre. D'où la difficulté pour les fournisseurs et leurs agents de faire accepter de nouveaux produits. Et c'est bien là que sont les limites d'un monopole: un seul acheteur ne peut distribuer tous les vins du monde. Lorsque la Commission des liqueurs fut créée, en 1921, l'organisme ne faisait affaire qu'avec une poignée de fournisseurs. Il en fut ainsi jusque dans les années 1970. De nos jours, avec l'explosion de la planète vin, comment un importateur unique comme la SAQ pourrait-t-il faire face à une offre mondiale d'une telle ampleur? Seule la multiplicité des acteurs peut assurer une offre correspondant à la diversité sans précédent de la production. Demandez aux amateurs vivant à Gatineau, qui n'ont qu'à traverser la rivière des Outaouais pour profiter de la gamme offerte par la LCBO. Ils vous diront qu'un monopole, c'est bien, mais que deux, c'est mieux. Autrement dit, plus il y a de distributeurs, meilleur est le choix.
Le marché du vin a changé, les monopoles ont fait leur temps...Il y a eu un réel élargissement de la gamme qu'on trouve à la SAQ, mais il est aussi vrai que depuis quelques années on tourne en rond, en laissant insuffisamment de place aux nouveautés et en se contentant trop souvent de ne proposer que les nouveaux millésimes de vins déjà connus. Comment expliquer autrement le maigre choix actuel des vins néo-zélandais, sud-africains et australiens, pour ne citer que ces exemples? Des pans importants de la viticulture mondiale sont encore inconnus chez nous. En Alberta, avant la privatisation, moins de 2 000 produits étaient offerts aux consommateurs; aujourd'hui, on en compte plus de 12 000. Le monde du vin est devenu trop vaste pour un organisme unique. Le monopole a fait son temps...