e groupe américain Constellation est devenu le leader mondial du vin en moins de 12 ans. Comment s'explique cette ascension fulgurante ? Quelles sont ses conséquences pour le marché du vin ?
Où s'arrêtera Constellation ? Le groupe américain, qui n'était il y a douze ans qu'une petite winery de l'Etat de New-York, est devenu grâce à une politique effrénée de rachats le n°1 mondial du vin. Dernier épisode en date : une prise de participation de 40% dans la société italienne Ruffino, début décembre. Malgré son montant respectable (80 millions de dollars, soit 60 millions d'euros), cet investissement fait figure d'opération mineure comparé au rachat un mois plus tôt du groupe Mondavi, évalué à 1,3 milliards de dollars (un milliard d'euros). Moins de deux ans auparavant, Constellation était devenu n°1 mondial du vin en reprenant l'australien BRL Hardy, là aussi pour un milliard d'euros. Hardy, premier producteur de vin australien, a fusionné avec la branche vins de Constellation au sein d'un nouvel ensemble, Constellation Wines, qui affiche un chiffre d'affaires de 1,7 milliards de dollars. Plusieurs rachats importants avaient précédé celui de Hardy : Ravenswood en 2002, Franciscan Estates en 1999?
Les raisons d'une réussiteTout semble réussir à Constellation, en dépit des crises qui secouent le marché du vin. Première explication : des rachats judicieux et bien gérés. A cet égard, la reprise de Hardy, début 2003, fait figure d'exemple. La fusion a dopé les bénéfices du groupe et accru ses ventes de 30%. Elle a également permis à Constellation de s'implanter solidement sur un marché-clé, la Grande-Bretagne, et de profiter de l'essor des vins australiens. Autre point fort de Constellation : un réseau de distribution puissant et bien implanté hors des Etats-Unis, via une filiale dédiée, Constellation Wines ? Rest of the World (ROW). Enfin, coté en Bourse, le groupe a pu lever sur les marchés financiers les fonds nécessaires à son expansion. Pour cela, Constellation a su s'attirer la confiance des actionnaires, en répondant à leurs exigences : une stratégie lisible, des économies d'échelle à chaque rachat, des bénéfices en hausse? «Notre stratégie passe à la fois par la croissance organique de nos marques, à un rythme annuel de 6-8%, et par des acquisitions», résume Mike Martin, porte-parole de Constellation. Objectif : détenir à la fois un large portefeuille de marques et une taille suffisante pour faire face aux réseaux de distribution, «qui ne cessent de se concentrer au niveau mondial», souligne-t-il. Reste que Constellation est encore peu présent dans le vignoble européen, malgré son entrée récente au capital de l'italien Ruffino. «Nous n'avons absolument rien contre le fait d'ajouter des vins du Vieux Monde à notre portefeuille (?), mais pour le moment la croissance en termes de volume provient du Nouveau Monde».
Digérer MondaviL'intégration de Mondavi dans le groupe Constellation s'annonce délicate. Au cours de l'année 2004, l'entreprise créée par Robert Mondavi a connu de nombreuses turbulences : les fils du fondateur (Tim et Michael) ont démissionné et le groupe a tenté un virage à 180 degrés en voulant se séparer de ses marques de prestige, jugées insuffisamment rentables par les actionnaires. Le rachat a mis fin à ce projet, Constellation promettant de conserver la totalité du portefeuille de participations de Mondavi - notamment dans les joint-ventures Opus One (détenue à 50/50 avec Mouton Rothschild), Luce della Vite et Vina Sera. Mais il s'est également engagé à améliorer la rentabilité de Mondavi et à accroître son niveau de production. «Le portefeuille de Mondavi sera divisé entre les marques premium et les marques de prestige», explique Mike Martin, porte-parole de Constellation. «L'activité prestige sera intégrée dans Franciscan Estates (la branche haut de gamme de Constellation). L'activité premium s'intégrera à Constellation Wines US et prendra place dans le portefeuille de Canandaigua». Dans le même temps, le groupe fera bénéficier la winery californienne de son vaste réseau de distribution, lui apportant ainsi un fort potentiel de croissance à l'étranger. «50% des vins du groupe Constellation sont exportés, contre 10% pour les vins de Mondavi aujourd'hui», souligne Rosy Kirkpatrick, de la mission économique française à Los Angeles.
L'ère des «méga-groupes»«L'émergence de méga-groupes viti-vinicoles est inévitable», affirmait en 2003 le fonds d'investissement Berren Asset Management. Le mouvement a débuté en 2000, avec l'absorption de l'américain Beringer Wine Estates par le groupe australien Foster's. Il s'est poursuivi de manière spectaculaire avec Constellation. Nombre d'analystes ont désormais les yeux tournés vers le n°2 mondial, Gallo, qui pourrait lui aussi avoir des velléités de croissance? Une chose est sûre : le mouvement de consolidation est loin d'être terminé. «Le marché de la bière et des spiritueux est à peu près consolidé, mais celui du vin est encore fragmenté», constate Mike Martin, porte-parole de Constellation. «A titre d'exemple, nous sommes le plus grand producteur de vin du monde, et pourtant nous ne représentons que 3,5% du marché mondial».
Quelle place pour les opérateurs français ?Y a-t-il danger pour les opérateurs français, dont les moyens financiers sont sans commune mesure avec ceux des «méga-groupes» anglo-saxons ? «Constellation, c'est l'émergence sur le marché du vin d'une démarche industrielle, d'une logique de marques à la Nike», estime Hervé Henrotte, responsable vins et spiritueux au CFCE-Ubifrance. «Face à cela, les français ne doivent pas être sur un seul créneau. Il faut que l'on garde nos positions sur les vins haut de gamme, avec des AOC qui doivent être des garanties de qualité. L'aspect positif de ces grands groupes, c'est qu'il vont permettre au vin de lutter à armes égales contre des produits concurrents comme la bière». Des opérateurs français comme Georges Duboeuf «parviennent quand même à créer des marques reconnues dans le monde entier», rappelle pour sa part Rosy Kirkpatrick, de la mission économique française à Los Angeles. «Il est important pour les entreprises françaises de bien étudier leur positionnement, car elles ne peuvent peut-être pas se permettre le même type de diversification que Constellation».
Constellation en chiffresLe groupe Constellation Brands, présent dans la bière (Corona), le vin et les spiritueux, a réalisé l'an dernier un chiffre d'affaires global de 4,5 milliards de dollars (3,3 milliards d'euros). En quatre ans, ses ventes ont augmenté de près de 50%. Le groupe possède plus de 200 marques et emploie 8.000 personnes (sans compter Mondavi). Sa branche vins, Constellation Wines, n°1 mondial du vin devant Gallo, a enregistré l'an dernier 1,7 milliard de dollars de chiffre d'affaires. Constellation Wines est organisé en six filiales. Cinq gèrent un portefeuille de marques : Constellation Wines US (la branche américaine, qui comprend les sociétés Canandaigua, North Lake Wines et Pacific Wine Partners), Constellation Europe (basée à Bristol en Angleterre), Franciscan Estates (spécialisée dans les vins haut de gamme), Hardy (Australie) et Nobilo (Nouvelle-Zélande). La sixième, Constellation Wines ? Rest of the World (ROW), est chargée de la distribution des marques du groupe au niveau mondial. La gamme des vins Constellation regroupe des marques comme Ravenswood, Blackstone, Banrock Station, Hardys? Et désormais, Robert Mondavi.