'extraction de la couleur et des tanins est la grande affaire de la vinification en rouge. Extraire le meilleur du raisin, obtenir une couleur intense, vive et stable, trouver l'équilibre idéal entre une structure tannique présente mais souple, sans amertume ni caractère herbacé? Tout l'art du vinificateur se révèle dans la conduite de la macération, qu'il saura adapter à la matière première et au type de produit qu'il veut élaborer.
Les composés phénoliques jouent un rôle très important dans la perception visuelle et gustative des vins : - Ils contribuent très largement à la couleur des vins rouges et blancs. - Ils déterminent un ensemble de perceptions sensorielles complexes : astringence, amertume, sensations tactiles de rugosité, sécheresse, verdeur? Souvent regroupées sous le terme de « tanin », ces perceptions sont une composante importante de l'équilibre gustatif des vins rouges. - On leur attribue également certains des effets bénéfiques du vin sur la santé. La composition polyphénolique des raisins et des vins est extrêmement complexe. Elle évolue constamment au cours de la vinification et de l'élevage des vins. On identifie quatre familles principales de composés phénoliques : Les acides phénols Ils sont localisés dans les vacuoles des cellules de la pulpe et de la pellicule des raisins. De ce fait, contrairement aux autres composés phénoliques, ils sont extraits très rapidement lors du foulage ou du pressurage. Ils atteignent leur concentration maximale dès les premières heures de la macération. Ils sont présents à des teneurs proches dans les vins blancs et les vins rouges. Dans le raisin, ils se trouvent majoritairement sous la forme d'esters de l'acide tartrique. Ils jouent un rôle important dans les phénomènes d'oxydation des moûts. Ces réactions se développent notamment lors des phases préfermentaires, en vinification en blanc. Ils sont également les précurseurs de phénols volatils (éthyl et vinyl phénols), responsables d'odeurs phénolées, et de notes olfactives de type animal (écurie, cuir...) rencontrées dans certains vins rouges. Les anthocyanes Ce sont les pigments rouges des raisins. Présentes dans les pellicules et solubles dans l'eau, elles sont extraites rapidement en cours de vinification. Leur concentration passe par un maximum après quelques jours de macération. Les vins jeunes peuvent en contenir plusieurs centaines de milligrammes par litre. Les anthocyanes sont alors les principales responsables de leur couleur. Cette teneur diminue rapidement au cours du vieillissement par la combinaison des anthocyanes entre elles et avec les tanins. Il y a cinq anthocyanes principales : delphinidol, cyanidol, pétunidol, péonidol et malvidol. Leur répartition constitue un élément de caractérisation des cépages. Les flavonols Ce sont des pigments jaunes présents dans les pellicules des raisins noirs ou blancs. Les principaux sont le myricétol, le quercétol, le kaempférol et l'isorhamnétol. Leurs teneurs dans les raisins sont de l'ordre de quelques dizaines de milligrammes par kilogramme de baies. Extraits lors de la macération, ils sont pratiquement absents des vins blancs. Les flavanols Ils constituent les éléments de base des tanins des raisins et des vins. Les deux principaux sont la catéchine et l'épicatéchine : les tanins des raisins et des vins sont donc des tanins catéchiques. On les retrouve dans les pépins et les pellicules sous des formes plus ou moins polymérisées : monomères, dimères, oligomères (quelques unités) ou polymères. Les degrés moyens de polymérisation observés sont plus importants pour les tanins des pellicules (30 unités en moyenne) que pour ceux des pépins (10 unités en moyenne). En vinification, leur extraction est beaucoup plus progressive que celle des acides phénols ou des anthocyanes. Les formes les moins polymérisées (monomères, dimères?) sont extraites les premières. Les formes plus condensées, présentes notamment dans les pellicules, sont libérées plus progressivement. Leur extraction est facilitée par l'action conjuguée de l'alcool, de la température, et par la dégradation progressive des structures cellulaires par les enzymes du raisin. Au cours du vieillissement, leur condensation explique l'évolution de la couleur du vin et de certaines perceptions gustatives : diminution de l'amertume et de l'astringence.
Durée de macérationUne macération courte (trois à six jours) permet d'élaborer des vins légers, destinés à une consommation rapide. Elle s'impose lorsque le raisin ne contient pas les éléments nécessaires à l'élaboration d'un vin de garde. Les anthocyanes sont rapidement solubilisées, mais leur couleur est instable en l'absence des tanins, extraits plus tardivement. L'aération du vin en cours de macération (remontage avec aération, délestage) contribue à la stabilisation de la couleur. Elle diminue par ailleurs l'amertume des tanins peu polymérisés, extraits en début de macération. Enfin, elle limite l'apparition d'arômes de réduction (notes de type caoutchouc, ail, oignon?), dus à des composés soufrés. Le choix d'une souche de levure fermentant rapidement, et apportant des arômes nets et fruités contribue à la maîtrise de ce type de vinification. Une macération longue (une à trois semaines) est indispensable pour élaborer des vins de garde, présentant la structure et la stabilité nécessaires à une longue évolution. Elle ne se justifie que si le raisin présente un niveau suffisant de maturité et de richesse en substances extractibles (composés phénoliques, polysaccharides, substances d'arôme?). Dans le cas contraire, une cuvaison longue est à proscrire. Elle risque d'extraire des éléments néfastes à la qualité : caractères d'amertume et de verdeur. Lors d'une cuvaison longue, le vin est conservé sous marc, après l'achèvement de la fermentation alcoolique. Sa richesse en alcool et la dégradation des structures cellulaires permettent alors l'extraction des composés les moins solubles contenus dans les pellicules et les pépins : tanins polymérisés, précurseurs d'arôme, polysaccharides constitutifs des parois cellulaires du raisin (arabinogalactanes et rhamnogalacturonane II). Par ailleurs, la conservation du vin au contact de ses lies permet un enrichissement en composés issus de l'autolyse des levures (acides aminés, peptides, mannoprotéines?).
Température de macérationLa macération préfermentaire à froid consiste à retarder le départ en fermentation, en maintenant la vendange, foulée et éraflée, à une température basse (5 à 15°C) pendant plusieurs jours (3 à 6 jours). Cette étape permet une désorganisation cellulaire, sous l'action des enzymes du raisin. L'extraction ultérieure de la couleur, des composés phénoliques, des macromolécules et précurseurs d'arômes s'en trouve facilitée. Cette technique favorise également le développement de levures indigènes cryotolérantes (résistantes au froid), fortes productrices de certains constituants volatils. Une variante de cette technique est la macération sulfitique à froid. La macération à chaud du marc consiste à séparer momentanément la phase liquide et le marc. Le moût est maintenu à une température de 20 à 25°C tandis que le marc est chauffé à 40°C. Après 2 jours, le marc est réincorporé à la phase liquide. Les vins obtenus bénéficient ainsi de l'extraction accrue des composés du marc et de l'intérêt, sur le plan aromatique, d'une fermentation à température maîtrisée. Dans la macération finale à chaud, la température de l'ensemble vin et marc, est remontée, après fermentation alcoolique, entre 40 et 45°C. On est alors dans des conditions optimales d'extraction des constituants du marc : structures cellulaires dégradées, teneur en alcool maximale, température élevée. Cette technique accroît l'extraction de la couleur et des tanins, donne des vins ronds et aromatiques, mais peut générer des notes végétales ou des goûts de cuit. La thermovinification ou vinification avec chauffage de la vendange fait l'objet d'un paragraphe particulier.
Remontage et brassageLe remontage consiste à pomper le vin dans le bas de la cuve et à le recycler en arrosant la surface du marc. Ce procédé simple présente d'autres avantages que la seule amélioration de l'extraction : - En début de cuvaison, il permet d'homogénéiser le contenu de la cuve, et notamment l'anhydride sulfureux apporté lors du sulfitage. - Mis en œuvre avec une aération après le départ en fermentation, il améliore la multiplication des levures, et favorise ainsi le bon déroulement de la fermentation alcoolique. - En favorisant les échanges thermiques lors de l'arrosage du marc, il aide à maîtriser l'échauffement de la cuve. - Il permet de maintenir l'humidité du chapeau de marc et d'éviter ainsi le développement de la piqûre acétique. Pour être efficace, un remontage nécessite d'utiliser un dispositif permettant l'arrosage homogène du chapeau : cônes brise-jet, tourniquets, turbopigeur? En effet, des chemins préférentiels ont tendance à se créer au sein du marc, réduisant les contacts entre le vin et les parties solides. Le brassage consiste à injecter du gaz sous pression (azote, air), dans le bas de la cuve. La mise en mouvement de la phase liquide provoque un lessivage du marc. Il peut être mis en œuvre à poste fixe (cuve de brassage) ou en utilisant un diffuseur monté sur une canne mobile. Il présente l'avantage d'être beaucoup plus rapide qu'un remontage (2 à 3 minutes par cuve). Ces deux procédés sont souvent utilisés en alternance.
Pigeage, délestage et cuves d'automacérationLe pigeage est l'héritier de la technique ancestrale du foulage au pied ou au pilon, pratiqué en cours de fermentation. Son principe est d'immerger le marc dans le moût en fermentation et de provoquer son 'remaniement' en douceur. Cette pratique traditionnelle est couramment utilisée dans certains vignobles : Bourgogne, Côtes du Rhône septentrionales? Le pigeage favorise les échanges entres les parties solides et liquides de la vendange. Il a connu ces dernières années un regain d'intérêt avec le développement de robots pigeurs et de cuves à pigeage, qui permettent sa mécanisation et son automatisation. La fréquence du pigeage est en général biquotidienne (matin et soir). Elle doit être modulée, ainsi que la durée d'immersion du marc, en fonction des caractéristiques de la vendange. Le délestage consiste à écouler à l'air la totalité du jus de la cuve. Le marc est alors laissé pendant une ou deux heures au fond de la cuve : il s'égoutte sous l'action de son propre poids. Cette étape produit un écrasement doux des baies, qui libèrent progressivement leur jus. La saturation de la cuve en gaz carbonique évite l'oxydation. Le jus est ensuite renvoyé sur le marc, avec un fort débit et une faible pression. En se remettant en suspension, le marc est remanié et se mélange avec le jus. Cette technique rejoint le pigeage par certains aspects : remaniement en douceur du chapeau de marc. Elle s'en distingue par l'importante oxygénation du vin, qui a un effet favorable sur la fermentation et la stabilisation de la couleur. Elle nécessite une importante disponibilité de cuverie. Cuves d'automacération. Différents modèles de cuves ont été conçus pour favoriser l'extraction, en provoquant la remise en suspension des parties solides. Ils font appel à différents dispositifs mécaniques : cuves rotatives à hélice fixe, cuves à hélice rotative, cuves à râteaux?
ThermovinificationLa thermovinification ou vinification avec chauffage de la vendange comporte schématiquement trois étapes principales : A. Chauffage de la vendange entre 65 et 75°C et maintien de cette température pendant 20 à 40 minutes (étape de macération). Deux procédés de chauffage existent : - Indirect, par échangeur coaxial à eau chaude, - Direct, par immersion de la vendange dans un anneau liquide de moût préalablement chauffé (Procédé ThermoncompactTM). B. Extraction des jus et refroidissement. Trois options sont possibles : - Les jus sont extraits par égouttage et pressurage à chaud, puis refroidis par un échangeur classique. C'est l'option la plus courante. - La vendange entière est refroidie par un échangeur coaxial. Elle peut alors soit être vinifiée en vendange entière soit être pressée. - La vendange est refroidie brutalement par un vide poussé. C'est le procédé de flash détente, présenté dans le paragraphe suivant. C. La fermentation alcoolique se déroule en phase liquide ou plus rarement en vendange entière. Elle est en général très active. Une maîtrise thermique s'impose pour éviter la surchauffe. Les principaux effets de cette technique sont les suivants : - extraction rapide et complète des anthocyanes (70 à 80%), - destruction des enzymes et en particulier des oxydases, - élimination de la plupart des microorganismes indigènes du moût, - extraction importante de composés azotés, pectines? , - fermentescibilité élevée du moût, - gain de place en cuverie (20%), - suppression du décuvage. La thermovinification présente donc des atouts pour l'élaboration de vins destinés à une consommation rapide, à partir de raisins présentant un potentiel qualitatif limité. Elle est intéressante pour le traitement de vendanges partiellement altérées par des attaques de Botrytis cinerea. Par contre elle ne peut remplacer l'extraction réalisée par une macération de longue durée sur des raisins de haute qualité.
Flash détenteLa flash détente constitue un prolongement intéressant à la technique de vinification avec chauffage de la vendange. A l'issue de l'étape de chauffage, la vendange est transférée instantanément dans une cuve renforcée, au sein de laquelle est maintenu un vide poussé (20 à 50 hPa en pression absolue). Il en résulte un refroidissement brutal (moins de 1 seconde) jusqu'à la température d'ébullition de l'eau à la pression considérée (30 à 35°C). Ce traitement a pour conséquence de fragiliser les structures cellulaires, notamment des pellicules. La vendange ainsi traitée peut être pressée directement, avec un résultat similaire à celui obtenu par thermovinification. La vendange peut également être vinifiée classiquement. Le traitement par flash détente augmente alors très sensiblement la vitesse et l'intensité de l'extraction des constituants du marc. Les vins obtenus sont colorés et tanniques.
Enzymes, levures, SO2?Les phénomènes enzymatiques jouent un rôle majeur dans le processus de macération. Les enzymes du raisin (pectinases, protéases?), activées par l'écrasement des baies et l'élévation de la température, vont dégrader les structures cellulaires et favoriser les extractions. L'enzymage peut renforcer leur action : l'ajout de préparations commerciales de pectinases (pectine estérase et polygalacturonase) accélère la dégradation des parois des cellules des baies de raisin. Le choix de la levure intervient également dans l'extraction et la stabilisation de la couleur et des composés phénoliques. Toutes les souches ne sont pas équivalentes : - la diversité de leur équipement enzymatique (pectinases, protéases) les rend plus ou moins aptes à la dégradation des parois cellulaires du raisin, - leurs propres parois cellulaires fixent des quantités variables d'anthocyanes, ce qui entraîne une décoloration plus ou moins importante du vin en fin de fermentation. Certains programmes de sélection, prenant en compte ces critères, ont permis de retenir des souches performantes pour l'extraction et la stabilité de la couleur. Le SO2, en plus de ses propriétés antiseptiques et antioxydantes, fragilise les cellules de la pellicule. Il facilite ainsi l'extraction de leur contenu. Cette propriété est utilisée dans la technique de macération sulfitique à froid. L'ajout à une partie de la vendange de doses très élevées d'anhydride sulfureux (20 à 30 g/hl) permet d'obtenir une action notable sur les pellicules des baies. La vendange subit alors une macération préfermentaire à froid de quelques jours, qui permet une extraction très importante des anthocyanes. Après fermentation, les vins issus de macération sulfitique à froid montrent une intensité colorante forte. Leur couleur présente une nuance faible, peu évoluée (tirant sur le violacé). Par contre, cette technique ne montre pas d'effet marqué sur la structure tannique des vins. La tendance actuelle de réduction des teneurs en anhydride sulfureux des vins proposés à la consommation va à l'encontre du développement de cette technique.