n avril dernier, la maison Raphaël Michel s’associait à la Cave coopérative Les Coteaux de Visan pour optimiser l’outil de vinification de la cave, une initiative qui faisait suite à son entrée au capital de l’Union des Caves Coopératives de l’Uzège, mais aussi à l’acquisition de quatre domaines dans les Côtes du Rhône et Claude Nicolas, négociant en vins du Sud-Ouest. Depuis le rachat de Raphaël Michel en 2002, son chiffre d’affaires est passé de 7 millions d’euros à 80 millions cette année. Ses approvisionnements proveniennent d’un vignoble de 400 hectares en propre et de 4 000 fournisseurs. Comment ce négociant spécialisé dans le vrac, avec un volume commercialisé de 800 000 hectolitres de vins par an, assure-t-il un tel développement et comment sa stratégie s’inscrit-elle dans l’évolution du marché ? Réponses de Guillaume Ryckwaert, PDG de l’entreprise.
Vous annoncez la mise en place d’un contrat d’approvisionnement sur dix ans. Avez-vous peur d’une pénurie de vin, du moins en France ?
La consommation mondiale de vin augmente de 1% et la production baisse de 6%. Depuis quelques années, notre groupe a pris conscience de ces difficultés et oriente sa stratégie de manière à pallier les tensions au niveau des approvisionnements et à en sécuriser une partie, tant sur un plan volumique que qualitatif. Nous avons donc mis en place des contrats sur dix ans. Toute la filière est assise sur le potentiel de production du raisin. Quelle que soit notre position dans la filière - producteur, négociant, cave coopérative ou même grand distributeur - nous avons une responsabilité collective de maintenir le potentiel de production en France et d’apporter de la visibilité aux producteurs. Il leur faut une lisibilité sur le plan économique et financier, mais aussi sur le moyen terme, en matière d’encépagement – quels sont les cépages qui vont fonctionner demain ? – et de bonnes méthodes culturales. L’objectif ultime est de leur apporter de la valeur ajoutée afin qu’ils puissent vivre convenablement de leur métier. Lorsqu’on regarde l’outil de production français, l’âge moyen des producteurs est très inquiétant et une exploitation sur quatre n’a pas de successeur. Comment gère-t-on cette situation ? Notre réponse se veut très pragmatique. La vraie question, c’est de savoir comment donner les moyens à de jeunes vignerons – ceux qui ont la quarantaine – pour assurer le développement de leur exploitation, la faire passer de 20 hectares aujourd’hui à 40 demain. Pourquoi un contrat sur dix ans ? Parce que 10 ans, c’est la durée moyenne d’un financement bancaire pour l’achat de vignes. L’intérêt, c’est de permettre à un vigneron d’aller voir son banquier avec une sécurité d’achat de sa vendange pendant les dix années à venir sur la base des cours de l’interprofession.
Votre politique vis-à-vis des caves coopératives – qui ne fait pas toujours l’unanimité - et de vos autres fournisseurs tend vers un nouveau modèle coopératif. Est-ce votre ambition ?
Il est certain que nous proposons un nouveau modèle. Nous aurions pu monter un site de vinification tout neuf dans la Vallée du Rhône mais nous ne l’avons pas fait parce que des outils existent. Le système coopératif possède d’excellents fondamentaux et nous proposons une variante. Nous avons créé un modèle hybride, une association entre la coopération et le négoce. C’est une solution supplémentaire, qui doit être jugée sur son apport de valeur ajoutée. Apporte-t-on les moyens économiques, financiers et stratégiques aux vignerons de pouvoir doubler leurs superficies sur dix ans, par exemple ?
Cette stratégie a sans doute aussi une optique de maîtrise des prix. Avez-vous peur d'une croissance incontrôlée ?
Ma logique aujourd’hui est plus qualitative et volumétrique. Les prix sont fixés par le marché et nous suivrons le marché. Voilà pourquoi nos contrats sur dix ans sont adossés aux moyennes enregistrées par l’interprofession.
Vous augmentez vos disponibilités. D’où provient la progression de la demande pour vos produits ?
Nous constatons une progression très significative sur les marchés d’exportation. Le marché du vrac est tiré par un phénomène économique : cela coûte moins cher de faire voyager du vin en vrac qu’en bouteilles car, dans un conteneur, les volumes vont du simple au double. Le deuxième argument en faveur du vrac est celui du bilan carbone, nettement meilleur pour le vrac. Enfin, il existe une demande de la part des distributeurs pour acheter du vin en vrac et le mettre en bouteilles dans le bassin de consommation. La marque Jacob’s Creek, par exemple, est importée en Grande-Bretagne en vrac et mise en bouteille sur place, à la demande du distributeur. Ces phénomènes sont importants et désormais ancrés dans les mœurs. Cette demande très forte venant de l’export, nous oblige à avoir une volumétrie plus significative. Pour y faire face, nous avons passé toutes les normes alimentaires demandées par ces distributeurs étrangers qui souhaitent des garanties de traçabilité.
Quels types de produits sont principalement concernés ?
Les cépages du Languedoc-Roussillon constituent un exemple très symptomatique de cette évolution. Cette région produit des cépages que le monde demande. La communication par le cépage reste très porteuse aujourd’hui.
Vous avez réalisé un certain nombre d’acquisitions récemment. Allez-vous poursuivre cette stratégie ?
J’ai à cœur de réaliser d’ici la fin de l’année une belle acquisition portant sur une propriété en vins de cépage dans le Languedoc-Roussillon. Nous exploitons actuellement environ 400 hectares de vignes et nous ne possédons encore rien dans le Languedoc-Roussillon. Pour moi, il s’agit véritablement d’un retard dans notre développement. Je voudrais donc équilibrer les superficies en exploitation entre le Rhône, les Côtes de Provence et le Languedoc-Roussillon. J’espère pouvoir annoncer cette acquisition assez rapidement.
Nous restons attentifs à toutes les opportunités qui pourraient se présenter. Nous sommes dans une logique de croissance. Le développement à l’export reste une priorité pour nous et nous envisageons de dupliquer le modèle que nous avons mis en place au Chili, dans d’autres pays. Notre modèle économique se base sur celui d’une winery dont une partie des approvisionnements provient de nos propres vignobles avec un site d’assemblage pour travailler les vins en vrac.
Quels marchés ces implantations approvisionnent-elles ?
Elles fournissent nos marchés à l’international. Aucun vin chilien par exemple n’est rapatrié en France : les 50 000 hl que nous commercialisons sont distribués en Chine, en Amérique du Nord et pour une petite partie en Amérique latine, dans la zone du Mercosur.
Comment voyez-vous l’évolution du marché du vrac ?
Je m’attends à des croissances pérennes dans les années qui viennent en raison des phénomènes déjà évoqués. Clairement, les demandes des clients sont toutes à la hausse, notamment celles des marchés matures que sont l’Allemagne, les pays scandinaves et l’Angleterre pour l’Europe, puis les Etats-Unis et le Canada pour le grand export.
Pour revenir au marché français, quel regard portez-vous sur la nouvelle campagne en termes de disponibilités et de prix ?
Je m’aperçois malheureusement que ce que nous avions anticipé s’est réalisé, c’est-à-dire des tensions d’approvisionnement notamment dans le Languedoc-Roussillon où l’année sera compliquée. Nous finissons 2014 sans stocks et démarrons la nouvelle année avec une petite récolte. D’où ces grosses tensions prévisibles que nous vivons d’ailleurs tous les jours. La bonne nouvelle, c’est qu’il s’agit d’une récolte très qualitative. Le problème, c’est que nous n’aurons pas forcément tous les volumes nécessaires pour assurer la demande. Nous allons devoir dire non à certains marchés, les difficultés portant, notamment, sur les vins de cépage. Je pense que ce sera très compliqué avec le chardonnay et le merlot par exemple.
Crédits photo : Rapharël Michel