ême s'il joue ostensiblement avec une paire de ciseaux, Philippe Casteja, ne coupe pas court à la conversation quand on lui fait remarquer que le prix des crus bordelais prestigieux ne sont plus accessibles au commun des consommateurs. Sans ambages, le président du Conseil des Grands Crus Classés en 1855 estime qu'il ne serait « inquiet pour les cours du vin que s'il n'y avait pas de marchés. A partir du moment où il y en a, le cours correspond à la demande. Personnellement, je pense qu'il est important que l'on reste sur le marché domestique. En revanche, on ne peut pas en vouloir aux produits d'exception français de ne plus correspondre exactement au pouvoir d'achat des Français. Mais c'est une grande question, pour un autre débat... » Le PDG de la maison de négoce Borie-Manoux préfère évoquer sa perception mondialisée du marché des grands vins, y voyant un « arbitre implacable », en écho à la théorie de la main invisible de l'économiste Adam Smith. Et quand on l’interroge sur la pertinence du système bordelais de ventes en primeur, il retourne l'interrogation (« par quoi est-ce que l'on pourrait le remplacer ? »), pour mieux la trancher : « c'est un faux problème, l'arbre qui cache la forêt. Il y a certains cas où de la spéculation se fait, mais l'intérêt est de répartir les vins et leur distribution. » Fidèle à sa vision du marché, la spéculation évoquée est d'ailleurs un non-phénomène pour lui, qui le prouve avec les effets de change aussi favorables qu'opportunistes : « si j'étais un acheteur-distributeur aux Etats-Unis, j'aurais intérêt à acheter aujourd'hui, pour payer 15 à 20 % moins cher qu'il y a 6 mois » (un dollar s'échangeant contre 0,79 euro ce début novembre).
Alors que la volonté de classer au patrimoine mondial culturel immatériel le classement de 1855 se concrétise (une équipe universitaire étant constituée à cet effet), Philippe Castéja affirme que cette liste reste source d'émulation. Il estime ainsi que « son effet d'entraînement sur la filière est indéniable ». Friand de comparaisons, il estime ainsi que « le prêt-à-porter est en bonne santé là où il y a de la haute couture. Bordeaux a la chance d'avoir des grands crus classés pour faire valoir ». Et de finir sur une conclusion qui ne manquera pas de faire grincer des dents : « si les grands vins de Bordeaux ont monté en prix, je ne pense pas que le prix du tonneau de Bordeaux soit en reste depuis plus d'un an... »
[Photo : Philippe Casteja ce 4 novembre dans ses bureaux de Borie Manoux]