parfaite équidistance du Pôle Nord et de l'Equateur, le quarante-cinquième parallèle Nord est « une ligne de partage : au Nord il fait trop froid, au Sud trop chaud » expose Olivier Bernard, propriétaire du domaine de Chevalier (Pessac-Léognan, grand cru classé de Graves) et président de l'Union des Grands Crus de Bordeaux. Observant que le 45e parallèle est « une ligne d'équilibre parfaite entre les vins blancs au Nord (Loire,Champagne, Alsace, Allemagne, Suisse...) et les rouges au Sud (Languedoc, Espagne, Italie...) » il conclut sa démonstration par un théorème : « le 45e parallèle est la latitude idéale pour les grands vins du monde ». Et n'allez pas lui parler de simples hypothèses ou de vagues spéculations : « ce n'est pas une théorie, le propos est extrêmement précis » vous répondra-t-il. S'étendant du 40e au 50e parallèle, cette bande viticole privilégiée serait à la croisée des chemins viticoles, entre la fraîcheur lunaire septentrionale et la chaleur solaire méridionale. Corollaire de ce théorème, « Bordeaux est trop au Nord pour les vins rouges, trop au Sud pour les vins blancs » avance pince sans rire Olivier Bernard, qui produit les deux couleurs au domaine de Chevalier. Le vignoble bordelais serait-il alors mal placé ? Bien au contraire pour le chantre du 45e : « Bordeaux n'a jamais assis sa réputation sur les gros vins, mais sur les grands vins : qui ont de tout mais en pas trop (ce que certains ont oublié dernièrement, quelqu'un ajoutant deux points quand on en faisait trop...). Et les vins ont besoin d'endroits limites pour être grands. La régularité et l'uniformisation sont plus importants dans les extrêmes, le 45e est la région du monde qui connaît les plus grandes ampleurs climatiques, ce qui garantit la diversité et le caractère de nos millésime. »
Avec l'aide du journaliste et écrivain Thierry Dussard, Olivier Bernard a fait de cette idée qui le travaillait depuis longtemps un livre, La Magie du 45e Parallèle : Latitude Idéale des Grands Vins du Monde, qui vient de paraître aux éditions Féret. En plus du théorème et d'un entretien (le « témoignage d'un viticulteur bordelais essayant de faire du bon vin au début du XXème siècle » dixit Olivier Bernard), on trouve des essais de 26 grands témoins sur le sujet, allant généralement de la sens du théorème, comme le vigneron bourguignon Aubert de Villaine (« qualités uniques de concentration, de transparence, et d'aptitude au vieillissement que seuls savent nous offrir les grands terroirs autour du 45e parallèle »), le chef étoilé Alain Dutournier (« zone intermédiaire, il fait trop trop chaud pour garder le beurre et trop froid pour les oliviers, nous utilisons la graisse d'oie, de canard, ou de cochon ») ou le marquis toscan Incisa della Rochetta (« je suis capable d'affirmer que les aires viticoles voisines du 45e parallèle possèdent une personnalité particulière, un ensemble quasi magique d'éléments »). Certains de ces intervenant n'hésitent cependant pas à atténuer ce théorème, quand ils ne le remettent pas carrément en cause, comme le géographe Jean-Robert Pitte (« des grands vins abordables, sans histoire ancienne, sans puissance [sont] produits loin du 45e parallèle ») ou la journaliste Jancis Robinson MW (« ce théorème est un peu trop théorique, pour s'appliquer à tous les vins, car seule la dégustation permet d'évaluer toute la complexité de chacun des terroirs »).
Mais pour Olivier Bernard « on peut faire du vin partout dans le monde, deux fois par an au Brésil et même en Angleterre s'il le faut... Mais est-ce que l'on parle de grands vins ? » Il se défend cependant d'être désobligeant ou condescendant avec les vignerons n'ayant pas la chance d'être sur le 45e, « il faut être super bon pour faire des vins au Nord et au Sud, qu'il faille chercher la maturité ou gérer le soleil garanti, il faut s'arracher les cheveux chaque millésime ! »
[Photo : Olivier Bernard établissant un parallèle ce 12 juin au bar à vin du CIVB]