ujourd'hui, seule la viticulture bio voit ses doses par hectare de cuivre métal limitées par la réglementation, à 30 kilogrammes par hectare sur cinq ans (soit une moyenne lissée de 6 kg/ha/an). Dans le cadre d'une réforme européenne, le Ministère de l'Agriculture doit rendre en mai un avis qui devrait changer cette donne, en proposant un niveau obligatoire pour toute la viticulture hexagonale, conventionnelle comme biologique. Soutenue par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, une dose à 4 kg/ha.an est jugée bien trop basse par la filière bio, qui y voit une impasse technique (cette position a été étayée par une récente étude l'ITAB). « Ce serait un très mauvais signal, alors que la filière est à un tournant, après deux millésimes compliqués » s'alarme Gwénaëlle Le Guillou. La directrice du Syndicat des Vignerons Bio d’Aquitaine n'hésite pas à prédire un coup d'arrêt dans la dynamique de conversions, à contre-sens du projet ministériel Ambition Bio 2017.
Cette limite serait un danger « même pour les vieux briscards, en cas d'attaque de mildiou dès la feuille il est inacceptable que la récolte soit d'avance pliée » estime le vigneron Richard Doughty (château Richard, AOC Bergerac). Président de France Vin Bio, il défend le système actuel, et notamment la « mesure pédagogique du lissage, qui pousse à traiter à la juste mesure, pour garder en porte-feuille une capacité de réponse en cas de décrochage ou d'année difficile ». Concevant « que l'on limite l'usage du cuivre en viticulture, avec un niveau maximal », il remet en doute les arguments de protection de la santé publique avancés par l'AFSSA. Il rapporte en effet que la « littérature n'a montré une toxicité du cuivre que pour des doses de 40 à 50 kg/ha.an, et sur des dizaines d'années. Les doses actuelles maintiennent bien la vie microbienne ! » En attendant, la filière bio se sent bien seule à essayer de convaincre l'administration française du bien fondé de ses revendications. Si le cuivre est utile en fin de saison (avec un faible coût pour une bonne rémanence), « nos confrères en viticulture conventionnelle ne manquent pas d'alternatives. Alors que nous... » constate Gwénaëlle Le Guillou. La recherche d'alternatives au cuivre n'a pour l'instant donné aucun résultat probant, et ce malgré un long historique d'essais d'extraits de plantes*.
Le débat sur le cuivre risque d'ailleurs de prendre une autre ampleur lorsqu'il passera au niveau européen, l'Allemagne et l'Autriche défendant de faibles doses de cuivre (respectivement 3 et 4 kg/ha.an), couplées avec un usage de phosphonates (qui permet de réduire les doses de cuivre métal). Tout le contraire de la position hexagonale. Ce 20 mars, le Comité National de l'Agriculture Biologique s'est en effet unanimement prononcé contre l'entrée des phosphites de potassium dans le cahier des charges bio (cliquer ici pour en savoir plus). Pour Richard Doughty, l'utilisation des phosphites serait « contraire aux fondamentaux philosophiques bio pour trois raisons :
- cette molécule de synthèse est produite par l'industrie organo-phosphorée (alors que le cuivre est un élément présent dans la nature) ;
- le produit est systémique et laissera des résidus dans les raisins (dont les effets sur la santé sont aujourd'hui inconnus)
- les phosphonates ne sont pas un moyen d'éliminer le cuivre, mais seulement d'en réduire les doses. »
Optimiste de nature, Richard Doughty espère avoir été entendu par les services de l'Etat. Mais il précise d'avance que France Vin Bio respectera le règlement qui sortira, quel qu'il soit. Ami du vigneron bourguignon Emmanuel Giboulot (entendu fin février par le tribunal de Beaune pour non traitement de la flavescence dorée), il ajoute qu'il « n'encourage en aucun cas un vigneron proche d'un foyer de flavescence dorée à ne pas traiter ». Il reconnaît cependant que « dans ce cas personnel, le plan de traitement obligatoire a peut-être été excessif, il faut des périmètres réalistes pour éviter de baisser la garde... »
* : De récents résultats montreraient cependant que l'ajout de sucre dans une préparation de bouillie bordelaise permettrait de réduire les doses de cuivre, ce qui amusait Richard Doughty alors que la soirée des vins bio d'Aquitaine en primeurs se tenait dans un ancien entrepôt sucrier.
[Photo : Richard Doughty ce 31 mars au CAPC de Bordeaux, pour la soirée des vins bio d'Aquitaine]