mateur de vin, prenez garde à ne pas dire du château Haut-Brion qu'il tient du Médoc ! Vignoble des villes, il est fièrement enraciné sur son tertre de graves à Pessac. Responsable des archives des domaines Clarence Dillon, l'historien Alain Puginier s'amuse ainsi que le château Haut-Brion ait été mélangé aux châteaux médocains dans la récente enquête de France 3 (Bordeaux, histoires de châteaux, diffusé le deux octobre dernier). Il s'amuse également « du gimmick de Mouton Rothschild », qui annonçait dans ce reportage avoir été le premier domaine bordelais à embouteiller systématiquement ses vins au château, dès 1924. « Haut-Brion le fait depuis 1923 » remarque l'historien, mais « ce serait trop prêter à Haut-Brion que de dire que l'embouteillage à la propriété y a été créé ! Par contre, l'idée de fédérer plusieurs techniques pour ne plus produire des clarets y est bien née ! »
Arnaud III de Pontac est l'homme à l'origine de ce grand chambardement. Fin politique (il a notamment présidé le Parlement de Bordeaux lors de la Fronde du milieu du XVIIème siècle), il avait également perçu la limitation qualitative des vins de Bordeaux médiévaux : l'absence totale de potentiel de garde. S'inspirant de techniques préexistantes, Arnaud III de Pontac a remplacé « le cerclage en bois de ses cuves par du métal, ce qui permet de traiter de plus grands volumes et de conduire une macération » rapporte Alain Puginier. Au même moment a été généralisé à Haut-Brion « l'utilisation de Dutch Match (mêche de soufre) pour les tonneaux, le tirage au fin (soutirage), l'ouillage systématique... » Cette liste laisse rêveur, il n'y manquerait plus que le chai médocain !
Mais pour l'historien, le « génie d' Arnaud III de Pontac a été d'ouvrir un restaurant à Londres, pour vendre ses vins et les faire déguster aux repas ». Cette démarche pédagogique, préfigurant les accords mets-vins, a permis de faire connaître ce nouveau vin au premier marché consommateur de bordeaux. La mode des new French clarets était lancée après que les châteaux Lafite, Latour et Margaux s'y soient joints. Depuis, le château Haut-Brion est devenu un premier grand cru classé en 1855. Mais ni cette distinction, ni les changements de propriétaires, ne lui ont retiré l'envie d'innover. Alain Puginier se rappelle qu'en 1961, « la mise en place de cuves en acier inoxydable nous a valu d'être taxé de laitiers. Depuis, c'est devenu le standard ! »
« Premier château authentiquement vinicole de Bordeaux » selon le spécialiste Philippe Roudié, Haut-Brion appartient aujourd'hui à la quatrième génération de la famille américaine Dillon. PDG du groupe, le prince Robert de Luxembourg investit actuellement sur la rive droite, avec le Château Quintus qui se donne les moyens de ses ambitions pour devenir un nouveau grand vin de Saint-Emilion (pour en savoir plus, cliquer ici).
[Photo d'Alain Puginier et des vendanges du château Haut-Brion : ce 11 octobre lors du colloque Bâtir pour le vin en Aquitaine]