Retrouvez tous les mois sur Vitisphere.com, une tribune rédigée par un professeur de l'équipe de recherche "Marché des Vins et des Spiritueux" de BEM – KEDGE Business School autour d'une problématique professionnelle.
Allons-nous enfin nous intéresser aux femmes ?
Existe-t-il une réelle différence de comportement entre l’homme et la femme amateurs de vins ? Un échantillon d’amateurs éclairés est interrogé suite à leur participation à une dégustation de renom, afin de tester l'hypothèse d'un manque de confiance féminin eu égard à l'achat ou à la consommation de vin. Au-delà, c’est aussi le rôle de la critique, comme source d’information pertinente et légitime, qui est questionné.
Les auteurs de cette tribune consacrée aux différences de genre relativement au produit vin sont Yann Rousseau, diplômé du mastère spécialisé Management des Vins et Spiritueux de BEM-KEDGE Business School et Florine Livat, professeur membre de l'équipe "Marché des Vins et Spiritueux" à BEM-KEDGE Business School.
Sommaire :
Même chez les passionnés et connaisseurs de vin, un biais de genre persiste
L’offre actuelle de critique et de prescription s’adresse à un public déjà initié
Rien ne semble vraiment changer. Et après ?
Même chez les passionnés et connaisseurs de vin, un biais de genre persiste
L’analyse statistique des réponses d’une centaine de participants à un évènement oenotouristique haut de gamme révèle la persistance d’une approche sexiste du vin sur de nombreux aspects. L’échantillon étudié est majoritairement composé de grands amateurs de vins, de professionnels du secteur, et même de critiques vin, de qui on pourrait attendre une certaine neutralité. L’analyse révèle une propension masculine à déclarer un niveau de connaissance et de confiance plus forts que chez les femmes. En outre, les hommes déclarent dépenser davantage, consommer en plus grande quantité, assister plus souvent à des dégustations, et suivre davantage les critiques.
Les caricatures subsistent, avec la perception que le vin en général et le vin rouge en particulier sont des produits "masculins", alors que les vins rosés ou effervescents sont des produits "féminins". Seul le vin blanc semble porteur de mixité. Aussi, les hommes restent très majoritairement les "goûteurs" au restaurant, alors que l’idée d’accords mets-vins gagne de l’audience auprès de la gent masculine. Quant aux paramètres d’achat, les femmes se tournent davantage vers les informations non directement liées au produit (prix, packaging, médaille), comparativement à leurs homologues masculins qui privilégient origine ou millésime. On notera que le cépage reste primordial pour les deux sexes. En termes de sources d’information, de manière similaire, les femmes n’hésiteront pas à enrichir leurs connaissances sur le lieu de vente, par la PLV (publicité sur lieu de vente) ou le conseil du caviste ou du sommelier, ce que l’homme fera moins fréquemment.
Enfin, au-delà de ces éléments de différenciation des comportements, c’est la perception même du produit vin qui semble différente. Questionnés sur la pertinence de certains mots à associer au vin, les femmes accordent davantage de poids aux termes dépréciatifs que les hommes (intimidation, routine, pression). Un jugement de valeur semble aussi émerger avec certains items (prestige, rituel) qui, a priori positifs, véhiculent peut-être également une appréhension péjorative (portant davantage sur l’environnement que sur le produit).
L’offre actuelle de critique et de prescription s’adresse à un public déjà initié
La critique dans le domaine du vin est davantage suivie par les hommes que par les femmes ; et le sexe même du critique est en soi un caractère différenciant auprès de son audience. Les critiques qui exhibent une image plus masculine ou authentique (voire austère), tels Parker, Broadbent, Bettane & Desseauve, ou encore Quarin, ont une audience qui leur ressemble ; réciproquement pour les critiques qui affichent nettement leur féminité (Miss Glou Glou, Miss Vicky Wine, Natalie McLean, Jessica Harnois). Au-delà, l'étude montre que l’audience de ces critiques est en réalité composée d’amateurs déjà chevronnés, qui déclarent un niveau de connaissance et de confiance élevés, et qui appréhendent le vin de manière traditionnelle voire orgueilleuse. Ainsi, la critique n’agit pas comme biais d’information vulgarisant le produit auprès de la très grande majorité de consommateurs (et donc de femmes).
L’industrie tarde à prendre en compte les attentes des consommatrices
L’étude s’intéresse à cette catégorie de consommateurs ‘éclairés’, pour qui l’achat et la consommation de vins restent un plaisir et non une routine. Il ne s'agit pas ici d’un segment ultra-basique ou inversement ultra-luxe, mais plutôt du cœur des connaisseurs et amateurs du produit. L’étude montre que les clichés sexistes persistent, et qu’effectivement le consommateur féminin manque toujours de confiance, et recherche toujours de l’information qui lui est à la fois utile et intelligible. Alors que la critique vin pourrait jouer ce rôle de facilitation, elle semble se cantonner à un langage d’initiés, par des initiés, pour des initiés. Quand bien même les femmes représentent les plus gros volumes d’achat et de consommation, l’industrie semble tarder à s’ajuster à ces comportements particuliers et à ces besoins exprimés. A terme, il s’agira de convaincre un public féminin sans aliéner le public masculin, notamment en densifiant le niveau et le type d’information qui offre le plus de neutralité. Tout autant qu’un packaging rose rebutera les hommes, il n’attirera pas plus les femmes qui jugeront le produit en décalage qualitatif avec leurs exigences. La consommatrice féminine est demandeuse d’information, mais pas de vulgarisation ou de condescendance ; elle a ses opinions, elle s’intéresse au produit, elle demande seulement à être écoutée…
Contact :
Florine LIVAT, Professeur, BEM – KEDGE Business School. florine.livat@bem.edu
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