n Grand Cru se veut avant tout "unique". Par son haut niveau de qualité, et par une certaine façon de le dire. La revendication de cette différence constitue une bonne partie de son fond de commerce. Pourtant, à y regarder de plus près, les signes de communication qu'il renvoie obéissent à une certaine standardisation. Ainsi, lorsque le lecteur parcourt le guide de l'Union des Grands Crus, il s'étonne du conformisme de la communication corporate des 132 châteaux présents : tous ou presque parlent de "longue histoire", de "transmission familiale", de "particularités géologiques" ou bien encore "de savoir-faire spécifique."
Une analyse plus détaillée permet de ne dégager que trois formes de discours :
- Le style "tradition" avec des termes liés à l'histoire (tradition, année, siècle), à la famille (fils, fille, génération,) aux lieux (pierre, appellation, domaine, France), à certains verbes (remonter, donner, devenir, acquérir, acheter).
- Le style "technique" privilégie les matières et les objets (bois, inox, grave, chêne, barrique, cuve), les étapes (vendange, vinification, fermentation élevage, mois) et certains verbes (rénover, pouvoir, permettre).
- Le style "terroir" met en avant la géographie et la géologie (croupe, calcaire, haut, côteau) les appellations ou les classifications et peu de verbes (produire).
On sait que les amateurs de Grands Crus aiment à reconnaître tel château dans un test en aveugle. Gageons qu'un tel test, lui aussi en aveugle, consistant à tenter d'associer chacun des 132 textes à chacun des châteaux qu'il représente, serait sans doute bien plus délicat qu'une dégustation.
On peut donc se demander pourquoi la communication des Grands Crus se montre si conformiste. Pour certains la réponse réside dans la stratégie de marque de plus en plus adoptée par ses établissements face à la mondialisation croissante de leur audience. La marque apporte avant tout une promesse de constance. Pas d'étonnement avec elle. Ce principe s'étend aujourd'hui au territoire du luxe.
Pourtant, la magie opère et des foules croissantes souhaitent traverser la planète pour voir les lieux, entendre les mots, sentir les parfums et gouter les productions de "ces lieux à part". Le classement de 1855 n'y est pas pour rien. La mondialisation des Grands Crus pourrait-elle, elle aussi, être considérée comme une forme de standardisation du goût et des styles de vie ?
Par Pierre Mora – Professeur chercheur à BEM Bordeaux Management School, membre de l'équipe "Marchés des Vins et des Spiritueux" à BEM pierre.mora@bem.edu