Des travailleurs forcés d’habiter dans d’anciennes latrines ou des porcheries, l’exposition à des produits phytosanitaires sans autre protection que des lunettes de soleil ou des foulards, l’impossibilité d’accéder à de l’eau potable malgré la chaleur, la création de syndicats empêchée par tous les moyens... » Telles seraient les conditions de vie et de travail des ouvriers agricoles dans la province du Western Cape (Afrique du Sud), d'après le dernier rapport de l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW). Ce rapport de 96 pages se base sur des entretiens réalisés auprès de 260 acteurs de la filière (dont 117 ouvriers et 16 producteurs agricoles*) entre 2010 et 2011. Kaitlin Cordes, sa rédactrice principale, tient à préciser que ce n’est pas une enquête représentative, mais plutôt un état des lieux qualitatif des abus qui sont pratiqués dans le Western Cape.
Pour Daniel Bekele (directeur de la branche africaine de HRW) « La solution n’est cependant pas de boycotter les produits sud-africains, ce serait désastreux pour les travailleurs. Ce que nous demandons, c’est que les détaillants et négociants s’assurent que ce qu’ils achètent a bien été produit dans des conditions décentes. » HRW accuse de plus l’industrie agricole locale et le gouvernement sud-africain de ne pas chercher à améliorer les choses, des rapports précédents en 2003 et 2008 faisait déjà état d’abus intolérables et de conditions de vie insalubres.
Le rapport Ripe with abuse est paru le 20 août 2011, et la réponse de l’organe gouvernemental Wines of South Africa (WOSA) n’a pas tardé. Dès le 23 août, Su Birch (PDG de WOSA) mettait surtout en cause les conclusions trop hâtivement généralisées de l’étude, alors que « les lecteurs du rapport n’ont pas les bases pour juger de la représentativité de l’échantillon interrogé. L’enquête se base sur des données anecdotiques, qui utilisent le couvert de l’anonymat pour ne pas étayer davantage leurs accusations ».
Su Birch reproche également au rapport de HRW de ne pas faire état des initiatives de la filière. Ainsi le Wine Industry Ethical Trade Association a été fondé en 2002 à l'initiative des professionnels du secteur et se penche sur les problèmes de discrimination, de harcèlement, de bonnes pratiques environnementales et de commerce équitable (l’Afrique du Sud est le pays ayant le plus de domaines viticoles certifiés commerce équitable). « Notre déception face à ce rapport n’est pas un soutien envers les abus des droits de l’homme dans les exploitations viticoles (...), c’est l’expression de notre crainte que les consommateurs et négociants du monde se détournent de nos vins. »
Les acteurs de la filière viticole sud-africaine craignent en effet que ce rapport ne ternisse durablement l’image de leurs vins à l’exportation, alors que la filière multipliait ses prises de position pour le développement durable (dans la lignée du forum qui s'était tenu sur ce sujet en 2002 à Johannesburg) . Actuellement le Royaume-Uni et l’Allemagne sont les premiers marchés de ces vins. Le cours surévalué du rand (monnaie de la république d’Afrique du Sud) par rapport à l’euro et à la livre crée déjà une situation délicate, que ce récent débat pourrait bien envenimer, en rappelant les boycotts qui avaient cours durant l’apartheid.
Pour accéder au rapport complet de Human Rights Watch, cliquer ici.
* : la province du Western Cape accueille 6 000 exploitations agricoles, pour 121 000 travailleurs agricoles et 107 inspecteurs du travail.
[Photo Alexandre Abellan]