O
n n'a jamais tant parlé goût, gastronomie, repas à table. Cet art de vivre est associé à la modération, à la politesse, à la civilisation. Le Salon de l'Agriculture s'inspire cette année du classement du repas gastronomique français au patrimoine de l'Unesco. Le vin occupe dans ce repas une place d'honneur que Vin et Société fêtera dignement dans son Pavillon (pour lire l'interview de Marie Christine Tarby, cliquez ici).De son côté, Jacques Puisais, docteur en biologie, fondateur de l'Institut Français du Goût et auteur d'Et si nous refusions la Macdonaldization du goût (Éd. Délicéo, 160 p., 21 €) a accordé au quotidien le Figaro du 7 février dernier une interview qui a ému la rédaction de Vitisphere :
Quel est l’enjeu de cet apprentissage du goût que vous cherchez à développer ?
Jacques PUISAIS. – Se réapproprier ses sensations est essentiel. Si plus personne ne goûte, l’alimentation n’est plus pensée. Et n’importe quel expert vient goûter à votre place, vous dicter ce que vous ressentez, que ce soit au nom de normes sanitaires ou hygiéniques ou dans un but de profit. Réapprendre à goûter, c’est se libérer de ce discours extérieur, s’émanciper de l’aliénation la plus profonde qui soit, puisqu’elle touche nos sens et notre mémoire.
Pourquoi accordez-vous une telle importance au vocabulaire des sensations ?
Il suffit d’interroger des adultes pour s’apercevoir qu’ils ont du mal à s’exprimer sur ce qu’ils mangent et boivent. Ils n’ont pas les mots. Et c’est encore beaucoup plus clair pour les jeunes. Dans un groupe de quinze, une seule adolescente a su reconnaître les odeurs classiques que je lui soumettais, thym, basilic… « grâce à ma grand-mère », m’expliqua-t-elle. Or, si on a les mots pour parler de son ressenti, le plaisir n’est plus perdu, il devient un acquis, un vécu. Au contraire, quand on ne parle plus de ce qu’on ressent, l’acte alimentaire, ou toute autre action, devient purement mécanique. Le sensoriel est la source la plus importante de vocabulaire, et si l’enfant apprend à nommer ce qu’il mange, à choisir entre les adjectifs doux, douillet ou fin pour qualifier sa sensation, il est prêt pour aborder tous les éléments de la vie.
En quoi est-il utile de développer cet apprentissage à l’école ?
Former les enfants à goûter, c’est leur permettre d’aborder toutes les disciplines scolaires en leur donnant envie d’apprendre. Il ne s’agit pas seulement de retrouver un équilibre alimentaire, mais aussi de découvrir la saisonnalité, de comprendre l’endroit de la Terre où l’on vit, et le travail des hommes qui y sont implantés…