L
e premier comité IGP des vins et cidres, le 2 février 2010, a donné l’occasion à son président Jacques Gravegeal et au président du comité des AOC vins et eaux-de-vie Yves Bénard, de se livrer à une réflexion prospective sur les relations à venir entre les deux signes de qualité, dans le contexte de la réécriture des cahiers des charges comme de la crise économique et des mutations du marché mondial.Une différence moins grande entre IGP et AOP
Devenus IGP, les vins de pays ne font plus partie des vins de table, et ne représentent plus une solution de repli pour les futures AOP. Le statut des vins de pays est donc renforcé, mais la distinction avec les AOP devient plus ténue. Au delà de la technique vitivinicole (cépages plus nombreux, rendements plus élevés, pratiques œnologiques plus souples), la différence est sémantique, entre « lien au terroir » pour les AOP et « lien au territoire » pour les IGP. Ce qui se traduit en particulier par une délimitation parcellaire dans le premier cas, géographique (donc moins précise), dans le second, mais avec de nombreux recoupements.
L’influence du marché
L’enjeu, dans le contexte économique actuel, se situe dans l’ampleur du déplacement du curseur entre AOP et IGP dans les nombreux vignobles mixtes : chaque année avant le 31 janvier, les vignerons devront décider d’arbitrer entre les deux signes de qualité, et non plus au moment de la récolte. Cette décision sera en grande partie imposée par le marché, et surtout parce que les vins de pays sont souvent des vins de cépage, catégorie en vogue.
Les conséquences sur les AOP
De ces décisions pourraient découler une modification de la physionomie des grandes appellations régionales, qui sont à la fois les appellations les plus larges et situées le plus bas dans la hiérarchie des AOP, donc les plus proches des IGP de bassin. En découlera-t-il des fusions dans certains cas, ou tout simplement des délaissements de la part des viticulteurs, par le jeu de la demande des consommateurs, de l’attitude des acheteurs en fonction des ventes, (sous la pression éventuelle des vins de cépage sans IG), et de l’économie des exploitations (les IGP permettant des rendements plus importants) ? Certaines appellations préféreront-elles faire des demandes de classement en IGP, la question se posant en particulier pour les AOP régionales vastes que sont les Côtes du Rhône, le Languedoc ou Bordeaux ? A ce titre, la Loire est déjà dans la situation où l’IGP de bassin (Val de Loire) se substitue à l’appellation régionale, puisqu’il n’existe pas d’AOP « Loire ». La situation est comparable pour le Sud-Ouest avec le Comté Tolosan. A ce titre, la situation économique des deux ans à venir, pendant lesquels les dossiers d’AOP et d’IGP devront être rédigés pour envoi à Bruxelles, risque d’être déterminante, d’autant plus que les modifications des demandes seront quasiment gelées pendant les trois ans qui suivront (délai d’examen des dossiers par la commission).
Arbitrage annuel ou engagement pluriannuel ?
Quelle sera la conséquence sur la distinction entre territoire et terroir, si les producteurs peuvent à volonté arbitrer entre les deux noms en fonction du marché, et si donc les appellations ont des géométries très variables d’une année sur l’autre ? La protection juridique garantie par le sigle AOP sera-t-elle alors toujours aussi solide ? Au regard de ces enjeux, il appartiendra aussi aux comités des deux signes de qualité de décider si la possibilité d’arbitrer entre IGP et AOP sera ouverte annuellement, ou portera une obligation pluriannuelle.