n 2022, faible offre et forte demande ont entraîné une bond très remarqué des tarifs bourguignons, prélude à un “Bourgogne bashing” pour nombre d’observateurs. Avec trois années de recul, la réalité semble toutefois plus nuancée.
En grande distribution française, les prix ont bien augmenté, mais pas explosé. “Sur ce circuit, nos données indiquent une progression tarifaire de l’ordre de 25% entre 2019 et 2024”, dévoile Manoel Bouchet, président du pôle “intelligence économique” du Comité Bourgogne. “Sachant que cela correspond à la croissance moyenne de la valorisation de l’ensemble des vins tranquilles sur le circuit. Et que l’inflation a atteint 15% pendant cette période”, relativise-t-il d’emblée.
Quoi qu’il en soit, les consommateurs français ont réagi. “Nos clients n’ont pas connaissance du contexte de pénurie. Ils remarquent simplement l’augmentation. C’est flagrant dans les commentaires laissés sur notre site”, remarque Pierre-Louis Bodin, directeur de la cave Cdiscount. “Le fin connaisseur, qui avait des demandes très précises, a pu absorber certaines hausses, tout en limitant les volumes. Mais l’amateur classique est carrément allé ailleurs. Notamment parce que les appellations régionales ont régulièrement dépassé le seuil psychologique des 10€. À 12 ou 13€, c’est simple, il n’y avait plus de consommateur en face. L’entrée de gamme avait disparu en Bourgogne”. Ainsi, “beaucoup ont commencé à délaisser la région, découvrant des pinots noirs et chardonnays d’autres régions”.
A l’export, la hausse tarifaire a été bien plus marquée. “Nous disposons de chiffres moins précis, mais on peut estimer à +50% la valorisation moyenne entre 2019 et 2024”, confie Manoel Bouchet. Ce que confirme Jason Haynes, fondateur de l’importateur britannique Flint Wines. “Je dirais que les tarifs pro ont augmenté de 50% à 60% en moyenne sur les vins de Bourgogne ces cinq dernières années. Mais avec de fortes disparités entre appellations : peut-être +30% sur les régionales, quand les grands crus ont plutôt doublé”. D’autant que “cette augmentation récente faisait suite à une hausse tarifaire plus subtile les dix années précédentes”, analyse l’importateur londonien, qui, lui aussi, estime qu’on a atteint une limite. “Nos clients particuliers qui achetaient des caisses de 12 grands vins ont commencé à en prendre 6, puis 3. Et les restaurateurs sont descendus d’un niveau d'appellation. Les gens commencent à dire : “je me souviens quand je pouvais acheter ce vin à moitié prix”.”
Des consommateurs internationaux qui ont ajusté leur comportement sans pour autant délaisser ce vignoble. “La Bourgogne est tellement unique que nos clients peuvent limiter leurs achats, mais pas la remplacer. Et si le changement climatique a poussé les cépages à leur limite par endroits, ce n’est pas encore le cas en Bourgogne. Les prix sont hauts, mais les vins sont bons!”
Une résilience de la “marque” Bourgogne également observée par Pierre-Louis Bodin sur le marché français. “Avec le retour des volumes, certains producteurs ont fait un effort tarifaire contre des commandes plus importantes de notre part. Nous l’avons répercuté sur le prix final. L’exemple typique est Chablis : nous avons pu en proposer à 10€ en foire aux vins. Et les clients se sont jetés dessus. Ce système de promotion nous a fait partir en hausse en volume depuis le début de l’année, avec +13% en volume sur la Bourgogne, alors qu’on constate une baisse sur le vin en général.”
De bon augure, car une bonne partie de la région a enclenché une baisse tarifaire. “La Bourgogne est le seul vignoble dont la valorisation moyenne est en baisse en 2024, surtout sur les vins blancs plus accessibles : -3 % sur les Bourgogne Aligoté et -4 % sur les Chablis”, expose Manoel Bouchet. Jason Haynes ajoute que “si 2024 avait été généreux en volumes, on aurait vu des réductions de prix encore plus significatives…”
Il semble donc que la tempête soit passée. Mais risque-t-elle de revenir? “L’essentiel des hausses tarifaires de 2022 est à attribuer à une pénurie, et la pénurie vient de rendements irréguliers. Or cette question de l’amont n’est pas réglée. L’urgence est de stabiliser notre offre, ce qui passe à la fois par l’augmentation de la production - donc la lutte contre le dépérissement et les aléas - et un pilotage plus poussé des stocks”, estime Manoel Bouchet. “Sinon, ce scénario d’un pilotage tarifaire par à-coups se reproduira.”
Pour le responsable du pôle intelligence économique du Comité Bourgogne, un autre débat doit être mené en parallèle. “Je constate qu’on parle beaucoup de prix. Mais moins de valeur. C'est-à-dire de la perception du consommateur. Il ne faut pas qu’elle soit décorrélée du prix, sinon on risque un changement de consommation. Au Comité Bourgogne on essaie de donner des indicateurs pour que les opérateurs puissent dire si leur valeur est sous-estimée ou surestimée. Et réajuster si nécessaire”.
Pilotage des stocks, valeur du produit. Deux enjeux fondamentaux que Jason Haynes résume en un seul exemple : “La vraie erreur, avec du recul, c'est l'augmentation brutale du millésime 2021. Il n’était pas meilleur que 2020. D’un point de vue marketing, il aurait été plus raisonnable de rester au même prix et faire une petite augmentation sur 2022, un superbe millésime.”




