ur le logo Vinho de inverno ou Vin d'hiver, si le flocon de neige évoque un vin de glace, ce n'est évidemment pas le cas : au Brésil, personne n'en fait. En revanche, une cinquantaine de domaines élaborent des vins d'hiver et le mentionnent sur leurs étiquettes.
Réunis au sein de l'association Anprovin, ces vignerons produisent 8 500 hl sur 450 ha situés entre Sao Paolo et Brasilia, au centre du pays. Comparé aux 2,1 millions d'hectolitres (Mhl) récoltés sur 83 000 ha en 2024, ce volume est négligeable, mais il témoigne d'une expérience agronomique originale, à contre-saison, avec des vendanges en août, c'est-à-dire durant l'hiver de cet immense pays.
Grand comme quatorze fois la France, le Brésil distingue deux catégories de vins : les vins fins obtenus avec des Vitis vinifera et les vins de table issus d'hybrides ou de Vitis labrusca. Jusqu'à récemment, les premiers ne réussissaient que sur les terroirs frais d'altitude de la Serra Gaucha, tout au sud du pays, qui fournit 80 % des vins fins du Brésil.
Au centre du pays, où les Portugais ont planté puis abandonné les premières vignes au XVIIe siècle, « l'été chaud et humide ne convient pas aux Vitis vinifera, qui souffrent de maladies cryptogamiques et donnent des jus dilués, indique Julio Cesar Kunz, vice-président de l'association brésilienne des sommeliers. Les Vitis labrusca ne sont pas affectés par cette humidité car ils résistent mieux aux maladies et mûrissent avant les pluies ». Raison pour laquelle l'essentiel des vins brésiliens provient de cette espèce à forts rendements.
En 1993, Murillo de Albuquerque Regina, chercheur à l'Institut de recherche agricole du Minas Gerais (Epamig), a une idée singulière pour cultiver des Vitis vinifera au centre du pays. Constatant que l'hiver y ressemble à l'été bordelais, il se dit que le raisin mûrirait bien mieux à cette période qu'en janvier, comme dans le cycle normal de la vigne.
Lors de ces journées d'hiver austral, il fait jusqu'à 27 °C le jour et 5 à 10 °C au plus bas de la nuit. Jamais il ne gèle. On est loin d'un hiver français. Mais l'amplitude thermique entre le jour et la nuit est importante et il ne pleut pas, deux conditions nécessaires à une bonne maturation. Reste à forcer la vigne à produire ses raisins durant cette période propice. Comment ?
Claudio Goes, président-directeur de l'Anprovin (l'association des producteurs des vins d'hiver) et dont le domaine se situe à 60 km à l'ouest de Sao Paolo, explique : « Nous effectuons une première taille en août, après la récolte. Puis une seconde en janvier, pour forcer la vigne à repousser et à fructifier. La vigne fleurit alors en février-mars. Les grappes se forment et la récolte a lieu en juillet, durant la saison sèche, au plus fort de l'hiver austral. » Détail important : avant la taille de janvier, les vignerons pulvérisent de l'éthylène sur les vignes pour faire tomber les feuilles afin qu'elle reparte pour un nouveau cycle.
Fin juillet, les sauvignon blanc, touriga nacional, tempranillo, malbec, cabernet franc, petit verdot et autres vinifera du domaine Goes sont couverts de raisins. Des filets les protègent de l'appétit des oiseaux et des tempêtes, plus fréquentes depuis le réchauffement climatique. Au même endroit, d'autres ceps sont nus et taillés, vendangés depuis quatre mois et en pause hivernale. « Ce sont des labrusca et des hybrides : lorena, bordô, magina? », détaille Luciano Lopreto, responsable marketing chez Goes. Sur cette colline, à 970 m d'altitude, les vendanges d'hiver ou d'été sont possibles, mais une seule par an et par cep, la double récolte ne se pratiquant qu'en zone tropicale.
Les récoltes d'hiver sont très faibles. En 2023, l'Anprovin annonçait une production de 4 880 hl sur 318 ha, soit 15 hl/ha de rendement moyen. Cette année, la récolte s'est élevée à 8 500 hl sur 450 ha, soit 20 hl/ha. Selon Julio Cesar Kunz, la double taille, qui fatigue la plante, et le manque d'eau en hiver expliquent ces petits volumes. En contrepartie, les raisins sont plus concentrés, en particulier les rouges.
Chez Goes, les rendements sont meilleurs. « Chez nous, les vendanges d'hiver donnent 50 quintaux de raisins par hectare, au lieu des 200 à 220 q du labrusca. Elles exigent deux fois plus de travail avec ses deux tailles, mais c'est la condition pour produire des vins fins », explique Luciano Lopreto, chargé de faire visiter le chai. Les rendements tournent autour de 30 hl/ha car Claudio Goes produisant du vin d'hiver depuis 2016 maîtrise la technique.
Claudio Goes consacre une trentaine d'hectares au vin d'hiver et achète des raisins, afin de produire 200 000 bouteilles par an sous ce label. Ces vins d'hiver sont les plus chers de la gamme ? près de 100 ? la bouteille pour le Philosophia rouge ?, et ne représentent que 3 % de sa production de vin.
Autre atout, les vignes d'hiver offrent à la vue un paysage attrayant et varié aux visiteurs. Avec elles, leurs cultivateurs peuvent doubler leurs animations et activités liées à la vendange. De quoi raconter de belles histoires, de nature à attirer le public dans les vignobles.
Avec ses restaurants, ses bars et ses animations, le domaine Goes accueille de 6 000 à 20 000 visiteurs chaque week-end, soit 250 000 par an. La plupart viennent de Sao Paolo et de ses environs, un bassin de 30 millions d’habitants. L’entrée est gratuite mais le parking payant. Toute l’année, un camion-plateau promène les visiteurs dans les vignes. Le domaine propose quantité d’activités : des vendanges sous la lune, la course à pied Goes wine run dans le vignoble, des promenades en VTT sous les pergolas qui apportent aux cyclistes une ombre bienvenue en été. « Nous accueillons aussi des mariages », poursuit Luciano Lopreto. Ces activités donnent à un public aisé de bonnes raisons pour venir acheter des vins fins - boisson prestigieuse, raffinée et chère. Au pays où l’alcool de canne à sucre à bas coût sert de carburant automobile, le tarif des bouteilles de vin doit être justifié.


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