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"Il vaut mieux 70 000 hectares de vignes à Bordeaux où tout le monde vit que 90 000 où on continue à mourir"
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Renaud Jean
"Il vaut mieux 70 000 hectares de vignes à Bordeaux où tout le monde vit que 90 000 où on continue à mourir"

Pour sortir le vignoble bordelais il faut pouvoir arracher, distiller et intégrer le coût de production dans le calcul des prix. C’est le plaidoyer de l’ouvrage d’urgence de Renaud Jean pour le collectif Viti 33 : "il ne s’agit plus de faire le mieux dans l’absolu mais de répondre immédiatement à une situation exceptionnelle mais durable".
Par Alexandre Abellan Le 15 décembre 2025
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'Sans exagération' : avant le vigneron vivait pauvre et mourait riche de son capital viticole : 'maintenant, en plus de vivre de plus en plus pauvrement, il meurt ruiné' diagnostique l’ouvrage. - crédit photo : DR
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lors que la crise viticole dure toujours plus et devient toujours plus dure en Gironde, la question est cruciale. Quel avenir pour Bordeaux ? pose en une centaine de pages l’ouvrage signé par le vigneron-négociant Renaud Jean (commercialisant 1,7 à 3 millions cols/an à Saint-Martin-de-Sescas) pour l’association Collectif des viticulteurs 33 (Viti 33). Précisant que « cette publication n'est ni un programme, ni une solution miracle, mais une présentation du problème dans l'intérêt de notre territoire », son auteur juge sur la quatrième de couverture « regrettable de voir l'effondrement de notre filière, mais il serait imprudent de vouloir la reconstruire à l'identique. Je pense que notre crise économique est avant tout politique, due à un manque de réflexion dans la gestion de notre communauté. »

Actuellement mis en vente dans des points de vente girondins au prix de 10 € (pour financer les frais d’avocat de la procédure intentée par Castel*), ce fascicule fait suite au toujours d’actualité Restera-t-il des vignerons à Bordeaux ? paru en 2007 (voir encadré). D’une crise à l’autre, les difficultés reviennent cruellement à l’identique, avec la critique d’un retard à l’allumage aggravant les déséquilibres à résoudre et les fonds à mobiliser pour y parvenir. « Notre filière est une vieille dame conservatrice qui n’aime pas se faire bousculer » tacle Renaud Jean, pointant que « cette institution et son organisation sont à l’agonie. Agonie à la vue de la disparition de ses adhérents, de ses surfaces et de ses volumes sans que son fonctionnement et son efficience ne changent. »

3 propositions

Appelant au sursaut, le collectif Viti 33 propose trois actions. Premièrement, « continuer un arrachage primé, partant du principe qu’il vaut mieux 70 000 Ha à Bordeaux où tout le monde vit que 90 000 où on continue à mourir ». Actuellement, une nouvelle campagne d’arrachage primée (la troisième dans l’histoire récente de Bordeaux, après celle départementale de 2023-2024 à 6 000 €/ha et celle nationale de 2025 à 4 000 €/ha) a été annoncée par la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, mais reste suspendue à l’adoption du Budget 2026 (elle devrait reconduire la prime de 4 000 €/ha, loin des 10 000 €/ha demandés par Viti 33). Deuxièmement, le collectif réclame « une distillation pour rééquilibrer notre offre, qui de toute façon ne pourra se remplir du fait des arrachages ». Une demande de distillation de crise sur les fonds européens des réserves de crise a été déposée par la France à la Commission européenne (qui en discute ouvertement, sans communiquer son avis pour le moment). L’association réclame pour finir « une reconnaissance des coûts de production dans le contrat amont » passant par une révision d’Egalim et la création d’Organisations de Producteurs (OP).

Mauvaises volontés locales

« Cette dernière disposition est sans incidence financière il s’agit juste d’une disposition politique » plaide Renaud Jean, regrettant « une ministre qui refuse de jouer son rôle politique. Elle se sert de la cacophonie de notre profession, où celui qui parle le plus fort pense avoir raison en suivant le plus souvent des raisonnements relevant plus de la superstition que du rationalisme. » Ne faisant pas consensus dans la filière vin, la mise en place d’OP est rejetée par les Vignerons Indépendants. Soit « les mauvaises volontés locales » grince Renaud Jean dans le fascicule, plaidant pour « un intérêt commun, nous avons tout à y gagner. Il est peut-être temps dans notre maison commune, que nous arrêtions de faire chambre à part ! » Signant la préface de Quel avenir pour Bordeaux ?, l’eurodéputé et conseiller régional Éric Sargiacomo (Nouvelle-Aquitaine, Parti Socialiste) juge « incompréhensible que, ministres après ministres, on bloque l’arrêté pour permettre la constitution d’OP et d’Association d’Organisations de Producteurs (AOP). Pour le Bordeaux générique, il faut pouvoir constituer des acteurs ayant la force de frappe nécessaire pour négocier, d’égal à égal, avec les mastodontes de la distribution et de pouvoir être offensifs sur de nouveaux marchés. »

Refaire le match

Au-delà de ce consensus, « ce qui manque à Bordeaux, c’est un véritable diagnostic critique de nos problèmes » estime Renaud Jean, qui cartographie les multiples ressorts de la crise actuelle. À commencer par l’analyse de la parenthèse entre la crise du début des années 2000 et celle actuelle. De 2007 à 2016, le vignoble bordelais a vécu dans « le grand décalage » pour Renaud Jean : « les producteurs de vins étaient éloignés d’un marché existant et en progression. Les coûts de production étaient contenus du fait des rendements moyens obtenus et du prix raisonnable des intrants. Les prix en vrac au vignoble n’étaient pas forcément très glorieux mais il y avait du flux et en cas de besoin de trésorerie il suffisait de réduire ses ambitions et une citerne partait. » Un monde désormais bien lointain, entre soutien bancaire facilité par les faibles taux d’intérêt et « mirage chinois » gonflant une demande qui s’est fracasse après la crise covid et l’invasion russe de l’Ukraine.

Qui dit nouveaux temps, dit nouveaux outils pour Renaud Jean qui soupire derrière sa plume face aux habitudes bordelaise et notamment « notre indicateur UNIQUE de santé des marchés mesurant la durée de stockage en mois » de commercialisation qui « ne dit rien de plus que quand il pleut, on se mouille », car « il ne dit rien de la raison de la variation de durée du stock. Il ne dit rien de l’augmentation ou de la baisse des ventes. Il ne dit rien de l’incidence d’une forte ou faible récolte. Il ne dit rien des variations de surfaces en production. » Et alors qu’« au vu des petites récoltes faites ces dernières années, le prix s’en est-il trouvé conforté ? Beaucoup y ont cru… Mais ils ont aujourd’hui la gueule de bois devant ce problème qu’ils ne comprennent pas. »

Médecine de guerre

Face à la crise des vins de Bordeaux, il faut non seulement constater les raisons de l’échec collectif, mais aussi porter une action forte et rapide, car « ce temps est comparable à de la médecine de guerre. Il ne s’agit plus de faire le mieux dans l’absolu mais de répondre immédiatement à une situation exceptionnelle mais durable » écrit Renaud Jean. Au-delà des trois demandes précédemment évoquées, le collectif Viti 33 veut également « enrayer les liquidations à vil prix » qui défraient la chronique en 2024 et 2025. Pour Renaud Jean, il revient aux Organismes de Défense et de Gestion (ODG) d’intervenir pour éviter une « atteinte à l’image de l’appellation », qui « provoque un déséquilibre sur le marché et crée un précédent nuisible pour la valorisation collective de la production ».

Militant pour un sursaut collectif, l’auteur croit aussi dans l’action locale : « l’avenir agricole de la Gironde ne se jouera pas à Paris, ni à Bruxelles. Il se joue ici, sur nos territoires. Et il se jouera avec les élus qui décideront d’agir, de protéger le foncier agricole et de donner un avenir aux jeunes agriculteurs. » Ce qui pourrait passer par le projet d’Établissement Public Foncier lancé par la Confédération Paysanne et désormais travaillé par l’État, la filière et les banques. Cet outil serait des plus utiles alors que « d’après les prévisions de déconsommation de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB), ce n’est pas 9 500 ha ou les 15 000 que nous demandions qu’il va falloir arracher, mais plutôt 40 000 ha ! (Contre 108 000 ha en 2022 et 85 000 ha aujourd’hui). Il va falloir très vite et de façon durable accompagner cette mutation du territoire. » Avec ce qu’elle implique de dévalorisation du foncier, qui décapitalise des patrimoines et des fins de carrière. « À la campagne, nous avions l’habitude de dire qu’un paysan vit pauvre et meurt riche du fait de son capital. Mais maintenant, et sans exagération, en plus de vivre de plus en plus pauvrement, il meurt ruiné » souligne amèrement Renaud Jean.

 

* : « Toutes les ventes de cet ouvrage seront reversées au Collectif Viti 33, comme précédemment, pour couvrir ses frais d'avocat, car il est assigné par les établissements Castel, suite au relais médiatique que nous avons fait d’une manifestation en hiver 2024 » indique la quatrième de couverture. L’ouvrage rapporte plus précisément que « notre association n’ayant pas de fonds propre, nous avons fait cet ouvrage pour régler les frais d’avocat de Didier [NDLR : Cousiney le porte-parole de l’association un temps poursuiviet du collectif viti 33 » désormais attaqué pour dégradations et pertes d’exploitations (aux côtés des Jeunes Agriculteurs et de la FDSEA de Gironde).

Pour survivre nous avons décapitalisé en espérant de meilleurs lendemains

Publiés il y a 18 ans, des propos de Restera-t-il des vignerons à Bordeaux ? pourraient être martelés comme s’ils dataient d’aujourd’hui : « après 5 ans de crise, où nous avons essayé de réduire nos coûts face à un marché à la baisse et plus du tout rémunérateur », « après 5 ans où nous avons arraché à grands frais », « après 5 ans où nos revenus et notre trésoreries ont passés de faibles à nuls pour être déficitaires aujourd’hui », « après 5 ans où pour survivre nous avons décapitalisé en espérant de meilleurs lendemains »… À l’époque, Renaud Jean concluait son ouvrage en estimant que « même si la filière s’effondre je ne pense pas que le vin de Bordeaux disparaisse. Cependant ce sont ceux qui en vivent qui disparaîtront et cela m’est certainement plus insupportable. »

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