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"C'est un fossé culturel qui se creuse" : le vin en crise de distance avec ses consommateurs pour Jérôme Fourquet
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L’archipel des buveurs français
"C'est un fossé culturel qui se creuse" : le vin en crise de distance avec ses consommateurs pour Jérôme Fourquet

Suivant la pente de la muséification, le vin a besoin d’être dépoussiéré pour être mieux saisi par les jeunes français analyse Jérôme Fourquet, le directeur du département d’opinion et de stratégies d'entreprise de l’institut de sondages Ifop. Sachant que pour ce connaisseur du vin il faut également lever des tabous : "tout ça ne peut pas passer uniquement par de la communication ou des campagnes. Il doit y aussi avoir un gros travail sur l'offre" avec de la simplification sur les packagings, du renforcement de marque, de l’innovation sur les lieux de consommation…
Par Alexandre Abellan Le 25 décembre 2025
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La culture du vin est à la fois moins transmise et moins comprise rapporte Jérôme Fourquet. - crédit photo : IFOP
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arue cette fin 2025, votre dernière étude pour Vin & Société peut être lue au travers d’un verre à moitié vide ou à moitié plein. Avec des résultats positifs sur le vin vu comme fierté nationale, repère culturel et totem de la France, mais concrètement, le vin ne semble plus être un objet de consommation franchement désiré et recherché. Peut-on parler d’un amour devenu platonique entre le vin et les Français ?

Jérôme Fourquet : Soit on peut utiliser cette métaphore-là, soit, pour essayer d'articuler les deux dimensions que vous venez d'évoquer, on peut parler d'une forme de patrimonialisation du vin. C'est-à-dire qu’on voit que tous les items qui sont attachés à cette image patrimoniale font partie de l'identité nationale : "fait rayonner la France", "appartient à notre culture"... Tout ça reste très fort, voire se renforce. Et en même temps, comme dirait l'autre, on voit que le lien charnel avec ce produit dans la vie quotidienne tend à se distendre. C’est ça qu'il faut avoir en tête. Ça se traduit notamment par la baisse de la consommation qui est tendancielle. On a des questions de pouvoir d'achat, assurément. Mais tout se passe comme si l’on continuait d'associer très fortement le vin, la vigne, à notre imaginaire national, mais que cet imaginaire national était de moins en moins incarné. Et qu’une partie de la population, notamment les jeunes générations, se détournait de ce produit.

 

Finalement, les Français seraient croyants, mais pas pratiquants pour le vin.

C'est pour ça que je parlais de patrimonialisation et de musée. Ce sont des images d'Épinal, des choses qui nous sont chères, mais qui sont moins investies dans notre quotidien et que l'on appréhende moins bien. Il y a des questions de transmission qui se font jour. Quand on compare le vin à d'autres boissons alcoolisées pour savoir s’il est de consommation courante, on avait encore 49 % des Français qui nous le disait en 2014, mais on n’est plus qu'à 37 %. Il y a une baisse qui est quand même très significative, au profit notamment de la bière. Cette concurrence se fait aussi sentir sur l’évolution avec son temps. Le taux était de 49 % pour le vin en 2014, on est à 37 % aujourd'hui. Et sur la dimension conviviale du vin, on était à 43 % en 2014, on est à 31 % aujourd'hui. C'est comme si le vin était de plus en plus investi patrimonialement, mais qu’en termes de contacts quotidiens, dans la vie courante, sa place recule du fait du renouvellement des générations, des changements sociétaux et démographiques qui sont en cours dans le pays. Mais également du fait de la concurrence d'autres types de boissons qui ont su davantage moderniser leur image.

 

En étant toujours plus patrimonial et toujours moins banal, le risque pour le vin serait de basculer dans une image devenant datée et n’étant plus dans le coup. Voire d’être vu comme un totem conservateur, devenant un rebutoir pour certainscomme peuvent l’être la chasse, la corrida, le gavage des oies… Existe-t-il un tel risque de polarisation politique de la perception du vin ?

Ça peut être l'étape ultime de ces logiques d'opinion. Je pense que l'on n’en est pas encore là. Je pense qu'il y a un risque plus évident, c'est une prise de distance et c'est un fossé culturel qui se creuse. Nous croyons beaucoup à cette question de transmission intergénérationnelle. Et nous voyons comment le monde du vin français, avec ses appellations, ses cépages, ses noms de domaine et de château, s'apparente de plus en plus à un univers assez hermétique. Assez difficile à comprendre et à appréhender pour toute une partie de la population. Et y a encore une fois ce risque de vin qui se patrimonialise, qui se notabilise en disant, que l’on se dise "ce n'est pas pour nous, c'est uniquement pour les grandes occasions". Cette culture populaire et cette compréhension du monde du vin s'effilochent progressivement. Alors le risque que vous soulignez peut devenir la pointe plus extrême, si cette culture est récupérée idéologiquement.

Mais il y a un risque plus évident, qui est aussi un véritable enjeu pour toute la filière, c'est à dire de s'inspirer à la fois de ce qu'ont fait les fabricants de bière, notamment les microbrasseries, pour donner une image plus moderne, plus dans le vent de leur production. Mais également, on va mettre les pieds dans le plat, et c'est un sujet tabou dans toute une partie de la profession, il faut une simplification de l'offre pour qu'elle devienne plus lisible. En se comparant à d’autres pays producteurs, on voit quand on achète du vin australien ou chilien ou sud-africain que c’est comme un produit de grande consommation, mono-cépage sans millésime. Et quand on achète une bouteille de chardonnay, on s'attend à ce qu'il ait toujours le même goût. Soit on arrive à évangéliser la population française, notamment les jeunes générations, sur qu'est-ce que c'est qu'un cépage, un millésime, une appellation, et cetera… Mais c'est un investissement colossal et on voit que le fossé se creuse. Soit il faut réfléchir à des produits (pas forcément tous les produits, mais certains produits) qui soient plus adaptés à ces façons de consommer et à cette culture du vin qui est moins transmise. Et moins comprise.

 

Comment refaire couler le vin dans les verres ?

Peut-être en réfléchissant aussi en direction de ces jeunes générations. Il faut savoir dans quelles occasions est consommé le vin. Il faut savoir que le vin, dans la culture française et on le voit encore dans les résultats de l'enquête, est très associé à une consommation à table pour accompagner un repas. Ça, c'est dans l'ADN français. Mais il se trouve que McDonald's a la France comme deuxième marché mondial, que McDonald's et ses concurrents ouvrent chaque année des restaurants supplémentaires, que la restauration qu'on appelle hors domicile grignote chaque jour des parts de marché, que le snacking devient une façon de s'alimenter de plus en plus répandue dans les jeunes générations. Pour le vin qui appartenait à l'écosystème du repas à la française, il est là aussi déstabilisé par cette évolution dont il n'est aucunement responsable, mais qui l'impacte fortement. Comment réfléchit-on à cette idée de la lisibilité, de la simplification de certaines offres pour développer des usages ou des images qui rendraient certains vins compatibles avec les nouvelles formes ou façons de s'alimenter qu'adoptent progressivement les Français ?

 

Vous évoquez la perte de transmissions de la culture du vin entre générations, qui est une question qui taraude la filière. Cette perte de bases rappelle le concept de France hydroponique que vous aviez développé pour la Fondation Jean-Jaurès fin 2024avec le constat du joint plus populaire que le vin. Le pétard l’a-t-il emporté sur le pinard ?

On n’en est peut-être pas encore là, mais force est de constater qu'effectivement, il y a des cultures nouvelles qui se développent. Je ne pense pas que le vin soit principalement concurrencé par le cannabis. À mon avis, la bière ou d'autres types d'alcool concurrencent plus fortement. Bien entendu, des habitudes de consommation ont grandement évolué. Est-ce qu'on mange encore tous ensemble la même chose assis à table ? Est-ce qu'on prend le temps de manger ou pas ? Il n’y a qu'à faire de l'observation un peu ethnologique autour de vous pour constater que les modes et les façons de s'alimenter des Français ont beaucoup évolué, toutes choses étant égales par ailleurs, mais ce n'est pas un hasard.

On pourrait faire un parallèle avec l'intérêt d'une partie des Français pour la cuisine. On se dit que la France reste la France : Top Chef et compagnie font des cartons d'audience, mais c’est un peu la vitrine tout ça. On va avoir une partie de la population qui admire toujours cette culture de la cuisine, mais qui ne la pratique plus forcément ou qui la pratique de manière très occasionnelle. On va espacer de loin en loin le grand repas avec la famille ou des amis. Le repas où l’on va se mettre aux fourneaux, essayer de faire des prouesses et là peut-être qu’on sortira une bouteille de vin. Mais dans la vie quotidienne ou le week-end, en vitesse de croisière, ce n'est pas du tout la façon que l'on a de manger et de cuisiner. Le vin se trouve embarqué dans tout ça.

 

Vous avez étudié la sociologie de la déconsommation française de vin, son point principal est-il le déphasage entre les vins, notamment rouges, et les consommateurs, surtout jeunes, avec une accentuation depuis la crise covid ?

Il y a un sujet qu'on n’a pas abordé jusqu'à présent, celui du pouvoir d'achat. Ce n’est pas directement lié au covid, c'est lié à ce qui s'est passé juste après, c'est-à-dire l'inflation des prix des produits alimentaires (+25 % en 2 ans). On voit que la question du pouvoir d'achat est la priorité numéro un des Français. Dans ce cadre-là, l'alimentation est un poste de dépense sur lequel pas mal de nos concitoyens arbitrent : on va sanctuariser par exemple le poste sortie/vacances et on va réduire la voilure sur d'autres postes de dépenses dont l'alimentation. C’est une vague de surface qui s’ajoute à la lame de fond : la baisse tendancielle indiquée tout à l'heure. Qui correspond au renouvellement générationnel, au développement de la restauration hors domicile qui faisait que structurellement la consommation de vin diminuait. On peut y ajouter les campagnes de santé publique, la réglementation en matière de sécurité routière qui a réduit la consommation au restaurant... Sans arrêter de consommer du vin, on peut-être espacer sa consommation ou parfois la remplacer par d'autres types de boissons comme le la bière ou le cidre.

 

Dans ces plans d’avenir, la filière vin veut reconquérir les jeunes, 18-35 ans, avec des opérations nationales de communication et d’évènements. Le vin a-t-il jamais été une boisson pour les jeunes par le passé ou vaut-il mieux cibler les consommateurs plus âgés et installés dans la vie ?

Nous voyons dans l'enquête que sur les personnes d'un certain âge, la consommation se maintient, l'image et le rapport sont effectivement très installés. Donc soit on a de l'argent et on décide de faire des campagnes d'entretien des positions acquises auprès de cette cible. Soit, comme on le voit dans l'enquête et dans d’autres travaux, on décide d'essayer de s'atteler à nouer, ou renouer, des liens avec les générations émergentes qui se construisent en matière d'imaginaire, de pratiques alimentaires, festives et récréatives de manière différente de leurs aînés. Compte tenu des moyens limités qui peuvent être consacrés à des campagnes de communication, nous serions (mais les conseilleurs ne sont pas les payeurs) plutôt enclins à recommander d’essayer de s'adresser au public jeune, même si c'est plus difficile.

C'est quand même là que se trouve l'avenir du marché dans les 15 à 20 prochaines années. Ce travail sera nécessairement de longue haleine, autant commencer assez tôt. Mais à mon humble avis, tout ça ne peut pas passer uniquement par de la communication ou des campagnes. Il doit y aussi avoir un gros travail sur l'offre pour essayer de casser les codes et de s'adresser à ce public jeune qui grandit de manière assez détachée de l'univers traditionnel du vin à la française. J’en reviens à la simplification des étiquettes, aux produits monocépages, à l’identité de marque, aux réflexion sur les formats et les contenants (tireuse, canette…), aux lieux où l’on consomme (festival, etc.).

 

Avec ces stratégies, est-il réaliste d’imaginer que la consommation de vin augmente à l’avenir ? Ou l’enjeu est-il juste de limiter la casse dans la chute de consommation annoncée ?

Nous avons déjà des tendances qui dépassent largement le seul marché du vin. Pour la première fois cette année, on va avoir plus de décès que de naissances en France. Nous entrons dans un hiver démographique. Ceux qui vont nous quitter le plus rapidement sont les générations qui sont les plus consommatrices. Tendanciellement, on va plutôt être sur une baisse. Avant d'espérer éventuellement revoir les volumes augmenter, la question c'est déjà de les stabiliser à l'heure où nous sommes en train de parler d’arracher des milliers d'hectares partout en France. Sur un marché qui n’est plus en croissance, il est peut-être temps de regarder comment il se fait que des vins étrangers arrivent à se faire une place chez nous. Sans doute parce qu’ils sont en capacité de répondre à des attentes de consommateurs qui ont évolué, soit sur le prix, soit sur le goût, soit sur le packaging, soit sur la lisibilité de l'offre.

 

Dans vos précédentes études, vous avez également étudié la sociologie du vignoble, notamment par les votespeut-on considérer les gens du vin comme un électorat homogène dans l’archipel français ?

On va avoir un certain nombre d'intérêts communs puisqu'on fait le même métier. On peut être confronté à des difficultés qui sont assez similaires. Maintenant, on pourrait aussi parler de l'archipel viticole français avec les différences entre terroirs, entre types de vins produits, entre la capacité à exporter des uns versus le marché très local des autres, entre la taille des exploitations, sur le fait de savoir si l’on est encore sur des producteurs locaux ou si ce sont des opérateurs plus capitalistiques qui se sont emparés d'une part importante du vignoble… Tout ça dessine des intérêts communs et des combats qui peuvent être menés en commun*, avec des réalités de marchés et de niveaux de vie qui sont quand même assez différentes. Il y a un monde entre l'exploitant champenois et le producteur de la plaine biterroise. On le voit aussi dans les votes. C'était l’une de mes marottes. Le vignoble français ne vote pas du tout de manière homogène parce que ça renvoie à cette diversité de situations.

 

* : Notamment « sur l'excès de réglementation, sur la question phytosanitaire et sur le sentiment d'être un peu des oubliés ou des angles morts des politiques publiques » qui sont des sujets fédérateurs pointe Jérôme Fourquet.

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