près la manifestation dans les rues de Béziers ce samedi 15 novembre (4 000 participants selon la préfecture, 7 000 selon les organisateurs), les actions nocturnes ciblant grande distribution et négoce dans l’Hérault malgré un déploiement conséquent des forces de l’ordre : « un magasin Lidl a été forcé et dégradé à Béziers », « un radar automatique a également été détruit par le même groupe à Nissan-lez-Enserune » et « l’entreprise Divipro à Nissan-lez-Enserune » a été visitée et dégradée rapporte la préfecture de l’Hérault sur les réseaux sociaux, ajoutant que « le contrôle exhaustif du groupe des auteurs présumés des 3 faits constatés dans l’Hérault a été réalisé en coordination entre les deux groupements de gendarmerie de l’Hérault et de l’Aude et les identités relevées ont été transmises à la Justice ».
« Lidl France condamne avec la plus grande fermeté les dégradations survenues ce week-end au supermarché de Béziers et confirme avoir déposé plainte auprès des autorités judiciaires » indique l’enseigne à Vitisphere, ajoutant que « nous tenons à exprimer notre plus totale incompréhension face à ces événements. Lidl reste un partenaire engagé auprès du monde agricole, avec qui elle maintient des relations durables et constructives. » Le négoce spécialisé dans le vin en vrac Divipro indique être mobilisé dans des opérations de nettoyage et ne pas souhaiter commenter à date. Si aucune revendication n’a été clairement portée sur ces actions nocturnes (un syndicaliste héraultais glisse que « ceux qui sont sortis de nuit ne sont pas forcément des manifestants, il y a de la compétition entre organisations »), dans la filière on voit clairement un signal envoyé à Lidl et ses fournisseurs de très petits prix : notamment 1,35 € le Pays d’Oc IGP cet été.
Jamais deux sans trois ?
Après les négoces Oenoterra et Raymond, c’était le tour de Divipro ce samedi 15 novembre. « Les opérateurs qui font systématiquement des offre à très bas prix pour alimenter la guerre du pouvoir d’achat entre Leclerc et Lidl sont bien connus. Leurs courtiers aussi… » glisse le directeur commercial de coopératives languedociennes, soulignant que toute la filière en pâtit : y compris les grands groupe du négoce : « Jeanjean, Castel et Grands Chais de France râlent pas mal, ils défendent des prix assez correct pour la production (même si ce n’est jamais assez) et ils se font damer le pion par des fournisseurs qui cassent le marché (pour faire du volume et tourner les chaînes. »
Après les saccages du 15 novembre, « sans les excuser, je m’attendais à d’avantage de points chauds. Le dispositif de gendarmerie a été dissuasif… Il y a énormément de colère et de renoncements » rapporte un vigneron de l’Aude. « On ne peut que déplorer ce qui est arrivé, mais malheureusement il y a en a qui jouent la provocation et il leur faut assumer les conséquences » glisse un coopérateur audois, qui y voit « le désespoir des gens. Quand on en arrive à ça, c’est que l’on essore trop de personnes. La grande distribution et le négoce tiennent la tête de la production sous l’eau. Aujourd’hui, même les vins espagnols ont des prix au-dessus des nôtres sur certaines gammes. »
« De telles actions après la manif, c’était normal. Il y a le mécontentement des gens et la situation est catastrophique » tonne un président de coopératives du Midi, pour qui le cœur du problème est l’opacité du marché : « des négociants signent des contrats officiellement à 80 €/hl en pays d’oc et facturent ensuite des frais de filtration pour faire descendre les prix bien en dessous. Les gens n’achètent pas de vins espagnols, les français sont moins chers, on en trouve à 30 €/hl et ça ne va pas s’arranger ! S’il n’y avait pas de pays d’oc qui trainaient, personne n’en vendrait à ces prix. 2026 va être une année catastrophique pour les caves coopératives, les frais vont monter avec la faible récolte et ce n’est pas une manifestation et des actions qui vont changer les choses. »
Sombres perspectives
Retaper le prix des contrats avec des frais fallacieux, « c’est une pratique courante » soupire le cadre d’un groupe coopératif, qui voit passer « des demandes parfois en dehors des clous de pays d’oc. Mais c’est parce qu’il y a un problème de segmentation : des vins ne devraient pas être validés en IGP. Mais ils le sont et sortent avec des prix à la casse. Le marché va se bloquer maintenant et attendre le mois de mars. Ce sera alors la panique et tout le monde va lâcher à n’importe quel prix. Il ne va pas manquer de blancs, on n’aura pas de pénurie en chardonnay, il y a plus de rosé qu’il n'en faut avec la production en Provence et Languedoc, sur les rouges il y a des stocks et on ne voit pas de retour à l’équilibre. C’est le seul problème qui compte : tant qu’il n’y a pas d’équilibre entre l’offre et la demande, on peut chanter comme on veut et demander un prix de durabilité, qui va dans le bon sens de la production, mais ne s’inscrit pas dans la logique d’un prix de marché où il y a trop d’offre. »
« Tant qu’il n’y a pas d’équilibre, on aura des gens malheureux sans trésorerie qui vont brader » abonde un coopérateur gardois, pour qui la seule solution est de réduire la production (par l’arrachage et la distillation) et de réguler la production (par des labellisations conditionnées aux capacités de commercialisation). En attendant, « le prix du vin va diminuer, les gens vont se presser pour vendre à tout prix alors qu’il faut verser les acomptes » prédit un syndicaliste de l’Aude, qui attend avec impatience le retour de la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, à la suite de la manifestation de Béziers : des rencontres sont prévues et des annonces sont attendues lors du salon Sitevi (25-27 novembre à Montpellier). « On en attend beaucoup, il faut des actions rapides, on sera déjà fin novembre ! » s’alerte ce représentant de la filière. Ayant mobilisé des vignerons en difficulté, la manifestation doit désormais aboutir à des solutions dégonflant la colère pouvant aboutir à de nouvelles actions virulentes. L’histoire des vins du Languedoc ne manquant pas d’exemples de coups de sang bien plus violentes.



