’est une « double peine fiscale » intolérable pour l’Union Générale des Viticulteurs pour l’AOC Cognac (UGVC) et la Confédération nationale des AOC viticoles (CNAOC) : les vignerons charentais « après avoir été victimes de vols, ils se voient contraints par l’administration de payer des taxes sur des produits… qui leur ont été dérobés » alerte un communiqué. Une aberration qui frappe durement des domaines ayant perdu de précieux stocks d’eaux-de-vie, comme en témoignait auprès de Vitisphere Grégory Baratange (36 hectares de vignes en Petite Champagne sur la commune de Lachaise). Volé de 5 000 litres de cognacs début 2025 et redevable de 84 000 € de droits d'accises pour la Direction générale des Douanes et Droits indirects (DGDDI) : « nous sommes en régime suspensif des droits dans la région. Contrairement au coulage et à l'incendie où l'on peut bénéficier d'une exonération, en cas de vol il y a un appel de droit obligatoire selon les Douanes ». Qui ne lui ont accordé qu’une faveur : un échéancier.
D’après les vols identifiés par l’UGVC, les taxes vont de 50 à 141 000 €, et « en y ajoutant la perte des volumes volés et les éventuelles dégradations, le préjudice total s’élève jusqu’à 247 000 euros » indique un communiqué. Avec des droits d’accises de 2 508,98 euros par hectolitre d'alcool pur (1 899,18 € de droits d'accises et 609,80 € de cotisations pour la sécurité sociale), les sommes demandées par les Douanes peuvent dépasser la valeur de l'eau-de-vie… « Le vol est, par nature, un événement extérieur, imprévisible. À ce titre, le principe de force majeure doit pouvoir être pleinement examiné » plaide Anthony Brun, le président de l’UGVC, qui pointe que la situation actuelle « est d’autant plus incompréhensible que, dans n’importe quel autre contexte, un citoyen victime d’un cambriolage n’est évidemment pas tenu de rembourser à l’État la valeur des biens qui lui ont été volés. Pourquoi en irait-il autrement pour les viticulteurs ? »
Base légale
Contactés, les services douaniers expliquent que « l'accise sur les alcools est une taxe dont les règles sont harmonisées au niveau européen par deux textes : la directive établissant le régime général d'accise et la directive concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques. Conformément à cette directive, la sortie d'un entrepôt, y compris la sortie irrégulière sous forme de vol, entraîne l'exigibilité de la taxe. L'opérateur ainsi que toute personne ayant participé à la sortie irrégulière de l'entrepôt sont solidairement responsables de son paiement. » Transposés dans le Code des impositions sur les biens et services (articles L.311-15 et L.311-24), ces dispositifs font pour l’administration que « l'opérateur qui a subi un vol d'alcool est redevable des droits dus sans pouvoir bénéficier d'une admission en décharge par les services douaniers. » Il s'agit « d'une application par la DGDDI du cadre législatif, réglementaire et jurisprudentiel » appuie également la préfecture de Charente.
« Les exploitations viticoles ne peuvent être sacrifiées à cause d’une interprétation rigide et injuste de la réglementation » s’indigne Jérôme Bauer, le président de la CNAOC, qui appelle « solennellement l’administration à ouvrir sans délai un dialogue constructif, afin qu’une solution juste et équilibrée soit trouvée alors que ces situations fleurissent un peu partout dans le vignoble ». Si la gendarmerie de Charente ne communique pas sur l’ampleur des vols d’eaux-de-vie charentaises (des enquêtes étant en cours), on y entend que ces larcins présentent la particularité d’être très organisés (avec repérages, camions, citernes, pompes…) et répondent à des commandes (avec des réseaux spécialisés pour écouler ces volumes). Un brigadier soufflait ainsi que « ce sont des vols très particuliers. Il est plus risqué de voler pendant des heures des hectolitres de cognacs que de démonter dans un chai isolé le cuivre d'un alambic à la scie circulaire. »




