’ambiance économique est terrifiante cette fin d’année dans les domaines viticoles de Gironde : il semble qu’il n’y ait pas une personne qui n’y soit pas en difficulté, alors qu’il semble y avoir un renoncement croissant et une vague d’arrachage encore difficile à quantifier. « Des propriétés entières vont s’arracher. On en entend pas mal qui veulent arrêter et jeter l’éponge alors qu’ils sont à l’âge de la retraite, que les enfants ne peuvent pas rester et qu’il n’y a pas d’acheteurs » soupire un vigneron de l’Entre-deux-Mers. Les temps sont durs, mais la viticulture sait être endurante : « le moral n’est franchement pas bon, mais il faut toujours faire attention à ne pas généraliser » nuance maître Alexandre Bienvenu, avocat spécialisé dans le droit viticole et les procédures collectives. En la matière, « beaucoup de clients vont s’intéresser à l’arrachage primé… Certains s’en sortent tout de même pas trop mal avec la vente en direct, mais de là à planter, certainement pas ! »
Dans le vignoble bordelais, « tout le monde a des copain qui arrachent et connait des domaines qui lâchent l’affaire » rapporte Michel-Éric Jacquin, le président des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieurs. Marquée par une faible récolte, d’importants coûts de production et un marché atone, « l’année 2025 a été l’année de trop pour beaucoup » résume le vigneron de Croignon, regrettant qu’encore récemment « tout le monde disait que ça irait mieux demain comme on arrachait et que le coefficient de stockage s’améliorait… Mais le vin de Bordeaux, ce n’est pas du pas pétrole, c’est un produit remplaçable, les ventes n’ont pas de rapport avec le coefficient de stockage. 2025 est pour beaucoup la goutte de vin qui fait déborder le vase. » S’attendant à « un effondrement des surfaces » en AOC Bordeaux en 2026 et 2027, le président de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) se projette sur « trois à quatre ans de chute » et évacue toute possibilité de chiffrer la réduction du potentiel de production de manière certaine et « intelligente ».
Porte-parole du collectif Viti 33, le jeune retraité Didier Cousiney, voit en 2025 une année de bascule : « on tombe à 800 000 hl de récolte, loin du 1 million hl d’antan… La crise continue de s’amplifier, le marché continue à bouder les vins de Bordeaux, personne ne vend rien, on ne leur propose rien. J’en entends qui ont donné au courtage des échantillons du millésime 2025 il y a 15 jours au courtage et qui n’ont toujours pas été dégustés. C’est mesquin. » Connaissant deux viticulteurs allant arracher cet hiver sans attendre de nouvelle prime d’arrachage, Didier Cousiney critique des « annonces confuses sur la prime. On dit 130 millions en bloc d’un côté et on entend 70 millions en 2026 puis le reste en 2027 de l’autre… Ceux qui ont répondu au questionnaire de FranceAgriMer espèrent qu’ils seront prioritaires… Avoir fait attendre ne fait que monter la mayonnaise » regrette le maire du Pian-sur-Garonne, pour qui Bordeaux n’en a pas fini avec l’arrachage : « on n’est pas encore au bout du rouleau. Si l’on avait eu les aides pour arracher de suite 20 000 hectares à 10 000 €/ha que l’on demandait en 2022 on aurait pu enrayer la crise. On a eu des succession de petits arrachages placebos à 4 000 €/ha à la place, anéantissant des décennies de sueur pour ne rien avoir au bout, tellement il y avait de vins en stocks que pas encore épongé. On aurait pu boucher le trou avec une pelle, maintenant il faut une brouette. Trop de gens ont attendu et n’attendent plus rien aujourd’hui. »
Coût de massue
Brutale, la décision de mettre un terme à l’activité viticole est multifactorielle. Le coup de massue peut venir d’une démission bancaire. « En arrêtant notre financement, on nous a forcé à fermer boutique. Les affaires n’étaient pas florissantes, mais j’aurais continué, même si on y laisse des plumes. Je suis sûr qu’à un moment ça va se stabiliser voire remonter avec l’arrachage » témoigne un vigneron bordelais qui arrête son activité de production et va arracher l’intégralité de sa grande propriété viticole (plus de 100 ha). Ayant reçu une lettre de son banquier lui indiquant le non-renouvellement de son encours, se comptant en centaine de milliers d’euros, et l’obligation de le rembourser avant la fin de l’année, il a dû se résoudre à stopper net son vignoble : « c’est rageant. Nous n’avions pas un retard ou un dépassement. Nous négocions l’étalement de la dette, mais nous ne serons pas capables d’assumer les coûts de production en même temps. »
Une impossibilité à autofinancer l’activité vitivinicole qui se traduit par l’arrachage d’un vignoble récemment restructuré (75 % des parcelles ont moins de 15 ans), la mise à l’arrêt à terme d’un chai moderne (poursuivant son activité sur l’élevage et le conditionnement), le licenciement des salariés (et un arrêt des commandes pour tous les fournisseurs et prestataires locaux). « C’est un choix contraint et forcé » soupire ce vigneron qui voit le travail de générations être dévalorisé et décapitalisé à cause d’un abandon bancaire : « c’est leur droit, mais c’est râlant. On pense que les grosses exploitations s’en sortent, mais plus les domaines sont grands, plus ils chutent quand le marché déconne. Et à la fin, ce n’est pas 25 000 € que vous devez, mais 500 000 €. Les gros ne s’en sortent pas. » Reste un espoir : qu’à l’avenir, la roue tourne : les terres agricoles étant limitées, d’autres cépages ou cultures pourraient revenir à terme. En attendant, ce vigneron surveille les modalités d’arrachage primé pour y être candidat.




